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Monde

Federico Mayor : « Ce qui compte, c’est de partager les valeurs universelles de liberté et de droit »

Interview

Rédigé par Leila Belghiti | Lundi 8 Juin 2009 à 16:41

           

Federico Mayor Zaragoza ? Une éminente personnalité politique, emblème de la paix, homme rêveur et homme d’action à la fois, plein de vigueur et d’optimisme. L’ancien directeur général de l’Unesco signe avec Saphirnews.com une interview exclusive, une bouffée d’humanisme bienvenue.



Federico Mayor Zaragoza, ancien directeur général de l’Unesco, président de la Fondation pour la culture de la paix.
Federico Mayor Zaragoza, ancien directeur général de l’Unesco, président de la Fondation pour la culture de la paix.

Lors du 8e Congrès européen des représentants religieux, qui s’est tenu à Lille et où vous étiez invité en tant qu’ex-directeur de l’Unesco, vous évoquiez l’urgence de passer d’une économie de guerre à une économie de développement global. C’est un bien noble projet qui vous tient à cœur... Mais n’est-il pas aujourd’hui dépassé ?

Federico Mayor : Il y a au contraire de grandes opportunités. Le monde est de plus en plus perplexe devant ce qui se passe. Chaque année, des millions d’enfants meurent de faim, et les gouvernements nous disent : « Nous n’avons pas d’argent » ; alors que pour la crise financière ils ont impunément investi des millions et des millions pour sauver les banques. C’est cela « ne pas avoir d’argent » ? L’escroquerie est apparue au grand jour.

Les gouvernements sont-ils réceptifs à ce message ?

F. M. : Nous protestons depuis 1991 à Porto Alegre [au Forum social mondial, ndlr]. Les gouvernements ne sont pas réceptifs, l’administration Bush n’était pas réceptive. Au lieu de réduire le fossé entre riches et pauvres, ils l’augmentent. Au lieu de préparer la paix, ils préparent la guerre. C’est au peuple d’agir. Le moment de l’action est arrivé. La soumission, c’est fini. Toutes ces réflexions, les concepts X et Y..., si nous n’agissons pas, ils ne serviront à rien.

Vous prônez une révolution ?

F. M. : Une révolution des esprits. Les mots existent pour dire la paix, dans toutes les langues ; mais dans nos cœurs, c’est différent.

Mais de quels moyens dispose le peuple ?

F. M. : Dans cinq ou dix ans, les choses vont beaucoup changer grâce à Internet et aux nouveaux médias. Ce sont de formidables outils de sensibilisation. Voyez l’actuel président des États-Unis, Barack Obama : par lui-même, il est la preuve d’un changement extraordinaire. Je me rappelle encore l’influence du Ku Klux Klan aux États-Unis. L’Amérique a beaucoup changé depuis. En arrivant au pouvoir, M. Obama n’a pas dit : « Les musulmans sont l’axe du Mal » ; mais il a dit : « Je tends la main de l’amitié au monde musulman » !

À l’Unesco, les mentalités ne semblent toutefois pas encore prêtes à évoluer, à en croire l’actuelle polémique autour de la candidature du ministre égyptien de la Culture, Farouk Hosni, au poste de directeur général de l’Unesco...

F. M. : Je ne suis pas d’accord avec ces critiques, qui proviennent d’ailleurs de représentants israéliens. J’aimerais savoir quels droits ils s’arrogent pour émettre de tels propos. Vous ne pouvez pas critiquer après avoir tué des centaines d’enfants. Vous ne pouvez pas critiquer après Gaza.

En l’état actuel de la politique internationale, un candidat arabe, cela peut servir ?

F. M. : Ce n’est pas à l’Unesco que nous allons faire ce type de considérations géopolitiques. Les pays arabes doivent, eux aussi, être capables d’avoir un candidat pour l’Unesco. Il s’agit de juger les candidats à leur capacité et à leur trajectoire, [puis, en pointant l’index sur le front :] c’est ce qu’il y a à l’intérieur qui importe.

Imaginez-vous une femme voilée à la tête de l’Unesco ?

F. M. : Et pourquoi non ? Lorsque j’étais ministre de l’Éducation, on est venu me dire qu’il y avait des filles voilées à l’école. J’ai toujours soutenu que si c’est un choix volontaire qui a conduit ces jeunes filles à porter le foulard, ce serait discriminer que de le leur interdire. L’éducation doit donner des ailes pour voler. Je suis croyant, et ne suis pas dogmatique. Peu importe que vous soyez un sikh à la longue barbe, etc., ce qui compte, c’est que vous partagiez les valeurs universelles de liberté et de droit.


PARCOURS


Federico Mayor Zaragoza (né en 1934, à Barcelone) est une personnalité scientifique et politique espagnole.

• 1974 : il cofonde le Haut Conseil pour la recherche scientifique, à Madrid.
• Décembre 1981 - décembre 1982 : ministre de l’Éducation, en Espagne.
• 1987-1999 : directeur général de l’Unesco. Sous son égide, l’Unesco a créé le programme « Culture de paix », qui vise à promouvoir l’éducation à la paix, la démocratie et les droits de l’homme, la lutte contre la pauvreté, le dialogue interculturel et la prévention des conflits dans le monde.
• 10 novembre 1998 : il soutient la proclamation, par l’Assemblée générale des Nations unies, des années 2001-2010 « Décennie internationale pour la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix au profit des enfants du monde ».
• Mars 2000 : Federico Mayor poursuit ses engagements pris durant ses deux mandats à l’Unesco, en créant la Fondation pour la culture de la paix.

Poète, écrivain, Federico Mayor est aussi l’auteur de nombreux essais tels que Science and Power (1995) et Unesco : un idéal en action (1996).





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