Cinéma, DVD

« Fatima » auréolé aux Césars, un couronnement très politique ?

Rédigé par | Lundi 29 Février 2016 à 12:01

La 41e cérémonie de remise des Césars a primé, vendredi 26 février, le film « Fatima », de Philippe Faucon. Une récompense hautement symbolique dans le contexte de raidissement identitaire qui secoue la vie politique française mais qui n'annonce cependant pas de changement notable dans les mentalités du cinéma français.



Soria Zeroual (à gauche) incarne Fatima, une mère de famille qui lutte pour aider sa fille Nesrine (Zita Hanrot) à poursuivre ses études de médecine.
Aux lendemains de la polémique du boycott des Oscars aux États-Unis, la cérémonie des Césars était très attendue. Les Afro-Américains se plaignaient de ne pas avoir droit de cité lors de la prestigieuse cérémonie du cinéma américain. Des personnalités telles que Spike Lee ou Will Smith ont décidé de ne pas se déplacer. La querelle a été largement commentée en France et y a même connu un rebondissement après les propos malheureux de Charlotte Rampling au micro d'Europe 1.

Il était évident que les Césars 2016 et le sort réservé aux minorités françaises allaient être scrutés. La liste des nominations a de suite annoncé « la couleur » avec la présence du film d'animation Adama (de Simon Rouby) et des films Fatima (de Philippe Faucon, prix Louis-Delluc 2015), Dheepan (de Jacques Audiard, palme d'or du festival de Cannes 2015, Mustang (de Deniz Gamze Ergüven, déjà multiprimé et en lice pour les Oscars) et Nous trois ou rien (de Kheiron Tabib).

Résultat des courses : Mustang rafle quatre prix, dont celui du meilleur scénario et du meilleur premier film, tandis que Fatima gagne trois prix, dont le César du meilleur film et celui du meilleur espoir féminin pour Zita Hanrot, métisse franco-jamaïcaine.

Fatima, une réalité française

Dans Fatima, Philippe Faucon réussit à dépeindre de façon assez réussie certaines réalités de la société française actuelle. Fatima (Soria Zeroual) est une mère courage qui doit subvenir seule aux besoins de ses deux filles. Souffrant de son statut de femme de ménage analphabète en français, elle sacrifie sa santé au travail pour permettre à sa fille Nesrine (Zita Hanrot) de suivre ses études de médecine. Celle-ci est un personnage symbolique d'une jeunesse issue de l'immigration, en voie d'ascension malgré un capital socio-culturel désavantageux. La cadette Souad (Kenza Noah Aïche) est, en revanche, une adolescente en rébellion, insolente et en défiance vis-à-vis de l'autorité, à commencer par celle de sa mère. Un beau portrait de trois femmes, assez révélateur de ce qui se joue dans les parcours féminins issus de l'immigration au sein de la société française.

Philippe Faucon pose ici un regard bien plus intéressant (et convaincant) que celui de son précédent film La Désintégration (2012) où l'on suivait l'itinéraire fulgurant d'un élève en bac pro qui, ne trouvant pas de stage, se radicalise dans l'islam et devient kamikaze. Fatima devient ainsi un bel hommage à toutes ces femmes immigrées, quelles que soient leur culture d'origine ou leur confession, qui se saignent aux quatre veines pour offrir à leur progéniture née en France un avenir meilleur : « Seule avec mes deux filles et cette énergie bouillonnante, c'est ça mon intifada », confie la personnage principale tels ces milliers de travailleurs de l'ombre, ces éternels invisibles que la France ne veut pas reconnaître.

Les minorités assignées aux mêmes rôles

La victoire du film Fatima aux Césars ne change cependant pas la donne et n'augure absolument pas un quelconque changement des mentalités. Bien que l'héroïne porte le voile, elle n'en reste pas moins une femme de ménage, profession largement ignorée et épargnée par les tenants d'une laïcité agressive. Si cela avait été Nesrine qui portait le voile plutôt que Fatima, le regard bienveillant porté sur le film aurait certainement été tout autre.

Si l'on peut saluer son audace, l'académie des Césars a toutefois primé un film où les minorités restent assignées aux rôles qu'on attend d'elles. Que ce soit dans les films d'Abdellatif Kechiche avec des élèves de banlieue au langage fleuri (L'Esquive, quatre Césars en 2005, dont celui du meilleur film) ou une famille qui se lance dans la restauration orientale (La Graine et le Mulet, multiprimé, notamment le grand prix du jury de la Mostra de Venise 2007 et quatre Césars en 2008) ou encore dans les films de Jacques Audiard (Un prophète, grand prix du jury au festival de Cannes 2009 et prix Louis-Delluc ; Dheepan), cela ne change pas. Et cela recommence tous les trois ou quatre ans.

Finalement, la situation française n'est pas très éloignée de celle des États-Unis, où Denzel Washington a dû jouer le rôle d'un policier noir traumatisant son jeune adjoint blanc (Training Day) pour obtenir une statuette et non pas lorsqu'il jouait Malcolm X ni un avocat brillant dans Philadelphie. Mieux vaut incarner une servante, une esclave ou un roi africain mégalomane pour espérer remporter un Oscar lorsqu'on est Noir dans le pays de l'oncle Sam.

Dans le contexte actuel où ne cessent de progresser le Front national, les discours xénophobes et l'islamophobie, Fatima offre une bonne dose de déculpabilisation. Les réactions enthousiastes ont fusé sur les réseaux sociaux.

Le lendemain de la cérémonie, le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) et BFMTV annonçaient que Zita Hanrot était la première femme noire récompensée aux Césars. Une information démentie dans la journée par Euzhan Palcy, réalisatrice martiniquaise qui avait remporté le prix de la meilleure première œuvre en 1984 avec Rue Cases Nègres. La même erreur avait été produite en 2012 avec Omar Sy désigné comme le premier acteur noir primé alors qu'Isaac de Bankolé avait reçu le prix du meilleur espoir en 1987.

Les progrès en termes de « diversité » dans le cinéma français sont en réalité bien minces et cette édition 2016 des Césars ne marque pas de changement révolutionnaire, si ce n'est une évolution à tout petits pas.