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Cinéma, DVD

« La Cité rose » : la banlieue-mitraillette

Rédigé par | Mercredi 27 Mars 2013 à 12:37

           


« La Cité rose », un film générationnel sur la banlieue, de Julien Abraham, en salles le 27 mars 2013. Photo : © Sebastiaan Deerenberg.
« La Cité rose », un film générationnel sur la banlieue, de Julien Abraham, en salles le 27 mars 2013. Photo : © Sebastiaan Deerenberg.
Karcasse, Manu, Narcisse, Cheveux, Isma, La Crête, Mitraillette… Une galerie de jeunes de la Cité rose, un quartier d’une ville de banlieue de Seine-Saint-Denis, avec ses grandes tours, son terrain de basket, son collège…

Rares sont ceux qui sortent de la Cité rose, à l’instar de Djibril (Ibrahim Koma), étudiant en droit des affaires à la Sorbonne, qui file l’amour (chaotique) avec Lola (Juliette Lamboley), habitant à Paris, dans l’appartement que lui paient ses parents : une liaison amoureuse, typique de la mixité d’aujourd’hui, que Djibril cache à sa famille.

Il y a son frère, Isma (Idrissa Diabaté), en dernière année de collège, qui sèche ardemment les cours parce que la carrière de « guetteur », que lui propose Narcisse (David Ribeiro), le caïd « blanc » à la chevelure tressée, apparaît tellement plus lucrative. Il suffit à Isma, du toit des immeubles, de guetter l’arrivée des flics pour prévenir suffisamment à temps les dealers du quartier pour qu’ils puissent s’évaporer illico presto dans la Nature, bétonnée et grise de la Cité rose.

Enfin, il y a Mitraillette (Azize Abdoulaye Diabaté), haut comme trois pommes, la bonne bouille innocente, le regard pétillant, l’air gouailleur de tout gamin de 12 ans, cousin de Djibril et d’Isma. Mitraillette, le narrateur, est celui qui nous présente les personnages, nous plonge dans la vie de la Cité rose. Amoureux transi, il nous fait partager ses émois de préado envers Océane (Anaïs Begue), la plus belle fille du collège – blonde évidemment ! –, et nous fait vivre ses moments de complicité avec son copain de toujours, Raoul (Ismail Ouazzani Ibrahimi) alias La Crête, prêt aux 400 coups bon enfant.

« La Cité rose » dresse ainsi le panorama d’une banlieue française, plutôt « black et beur » mais aussi « blanche » et « jaune » (selon le vocabulaire populaire que l’on nous pardonnera…), où chaque jeune s’en sort comme il le peut. Les femmes sont peu représentées, mais les scènes où elles apparaissent sont savoureuses : les mères africaines qui cotisent à la tontine ; la mère d’Isma (Marie-Philomène Nga), autoritaire, qui essaie de resserrer la vis auprès de son fils après avoir été convoquée au collège pour absentéisme répété du rejeton ; la mère aimante de Mitraillette (Neva Kehouane), d’origine guadeloupéenne, bibliothécaire municipale, une mère courage qui pallie l’absence du père de Mitraillette, Malien d’origine mandingue…

À travers la série de portraits, c’est aussi la question du métissage et de la mixité qui est évoquée en filigrane : La Crête, fils d’une mère portugaise et catholique et d’un père arabe et musulman, fait le pari de manger du porc si Mitraillette parvient à s’attirer les charmes d’Océane… ; Lola et Djibril sont confrontés aux affres bien connus des couples mixtes (comment se présenter aux parents, quelles concessions accepter pour faire perdurer le couple…) ; Mitraillette, lui-même, guadeloupéen et chrétien par sa mère, africain et musulman par son père, part à la recherche de ses racines.

Le film commence à prendre réellement son envol, quand Isma, de simple guetteur, entre de plain-pied dans la délinquance en volant sa première voiture et en rapportant au caïd Narcisse un « bon plan de 3 kilos de cocaïne ». L’acmé du film se déclenchera quand les principaux protagonistes, jusqu’à présent plutôt filmés comme une série de portraits, se retrouveront sur la même scène.

Le plus beau personnage est sans doute celui d’Isma, joué tout en finesse par Idrissa Diabaté, ce grand ado filiforme, qui n’a pas les muscles ni les tatouages pour s’imposer dans la Cité. Pas encore délinquant mais en passe de le devenir. Chargé par sa mère de garder sa petite sœur qui joue à la trottinette en bas des immeubles, et chargé par Narcisse de surveiller le quartier du haut des tours de la Cité rose. Entre haut et bas, le personnage d’Isma est symbolique du basculement possible que peut connaître tout jeune de banlieue, une sorte d’errance psychologique : donner les apparences du bon fils auprès de sa mère (pour ne pas la décevoir, mieux la protéger ?) ; tenter de devenir un homme auprès des bandes de la cité, à travers des actes de délinquance.

« Le meilleur trajet d’un point A à un point B n’est pas la ligne droite, rappelle l’oncle de Mitraillette, c’est le rêve. » Et parce qu’il s’achève sur le rêve, le film « La Cité rose », premier long métrage de Julien Abraham, qui a mis 5 ans à le réaliser, n’est ni un polar ni un tableau social sur la banlieue : plutôt un conte, loin des regards anxiogènes que peuvent porter les médias mainstream sur la banlieue ; un conte qui n’a d’autre ambition que de nous faire partager la vie de préadolescents, d’adolescents et de jeunes adultes d’une ville de banlieue, en lesquels de nombreux spectateurs retrouveront des traits de caractère ou de comportements et des bons mots de tchatche qui leur sont familiers.

Un film générationnel donc, qui rencontrera certainement un succès public : son fort capital de sympathie étant drainé par un casting jeune et multiculturel (la diversité à la française enfin reconnue sur grand écran) et une musique originale concoctée notamment par Youssoupha, Soprano et Sexion d’Assaut.


La Cité rose, de Julien Abraham, avec Azize Abdoulaye Diabaté, Idrissa Diabaté, Ibrahim Koma, Ismail Ouazzani Ibrahimi, Zouher Rahim, Anaïs Begue, Juliette Lamboley, David Ribeiro, Steve Tran, Mahamadou Coulibaly… En salles le 27 mars.




Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur


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