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Cinéma, DVD

Bande de filles : le regard exotique du féminisme blanc sur la banlieue

Rédigé par | Mardi 21 Octobre 2014 à 18:12

           


Marieme devient Vic, au fil de son émancipation féminine dans "Bande de filles", de Céline Sciamma. (Photo : © Pyramide Distribution)
Marieme devient Vic, au fil de son émancipation féminine dans "Bande de filles", de Céline Sciamma. (Photo : © Pyramide Distribution)
Solide et solitaire. Telle est Marieme, jeune fille de 16 ans à peine sortie de l’enfance. Bande de filles, troisième long métrage de Céline Sciamma, après Naissance des pieuvres (2007, prix Louis Delluc du meilleur premier film) et Tomboy (2011) − qui avait fait reparler de lui du fait des détracteurs de la théorie du genre qui avaient voulu interdire sa diffusion télévisée en février dernier − est de nouveau un film sur l’enfance et l’identité.

Tourné avec un casting composé quasi entièrement de jeunes gens Noirs (ou métissés) et jouant pour la plupart pour la première fois à l’écran, Bande de filles, s’il a pour personnages principaux Lady, Adiatou et Fily, trois jeunes filles délurées qui forment bande, se focalise sur Marieme. Comment être fille en banlieue ? S’assumer, se transformer femme, se muer en jeune adulte sans pour autant devenir une fille-mère, une pute ni non plus une mariée précoce pour éviter d’avoir une mauvaise réputation dans le quartier ? Devant elle, un horizon bien fermé se profile…

Entre la soumission à un frère aîné autoritaire chargé de faire régner l’ordre à la maison en l’absence de la mère occupée à faire des ménages dans les grandes tours de bureau à des heures indues (nulle présence d’un père non plus…), les rixes entre bandes de filles de banlieue filmées sur téléphone mobile et faisant le tour des réseaux sociaux… Entre le semblant de liberté trouvée au sein de sa bande de potes faisant la fête après avoir chapardé des robes sexy pour se faire belles et la fugue hors du domicile familial pour finalement se retrouver sous la coupe d’une petite frappe de quartier… Marieme se transformera, ses différents looks témoignant de sa quête d’elle-même.

Certaines scènes − qui ont laissé place au travail d’improvisation des actrices et donc à leur grande spontanéité – sont très belles (la fête entre filles à l’hôtel, la partie de golf…) ; certains dialogues sont dans leur pur jus, le vocabulaire et la tchatche étant dans le droit fil de cette génération d’aujourd’hui.

Mais le propos de la réalisatrice, s’il se veut empathique en montrant un milieu que l’on voit peu à l’écran, est plus qu’ambigu. Pour elle, le chemin de la libération féminine emprunte forcément celui de la liberté du corps (football américain, fringues coupées court et cheveux au vent, relations sexuelles…) et de la désaffiliation familiale. Les garçons n’ont ici pas le beau rôle (exception faite d’Ismaël, le copain du frère de Marieme, joué par Idrissa Diabaté repéré dans La Cité rose). Et si les quatre comédiennes Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh et Marietou Touré, qui jouent pour la première fois à l’écran, sont débordantes d’énergie, elles ne suffisent pas à emplir le creux du propos.

Car le film de Céline Sciamma a bel et bien pour paradoxe de renforcer les préjugés : les bons bourgeois blancs qui n’ont jamais traversé le périphérique, en croyant voir en Bande de filles un film sur la banlieue, risquent de se dire ô combien ils ont de la chance de n’avoir pas à côtoyer au quotidien cette faune Black sans avenir. Et les premiers concernés, à savoir les jeunes d’origine africaine nés en banlieues françaises, auront la fâcheuse impression de voir un film Banania urbain du XXIe siècle, sympathique certes, mais radicalement exotique.

Bande de filles, un film de Céline Sciamma (France, 1 h 52)
Avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Marietou Touré, Idrissa Diabaté, Simina Soumaré, Cyril Mendy, Djibril Gueye, Rabah Naït Oufella...
En salles le 22 octobre 2014.


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur


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