Points de vue

Caroline Fourest ou l’obsession anti-islam

Rédigé par Nicolas Bourgoin | Lundi 17 Février 2014 à 06:00



Caroline Fourest
On ne présente plus Caroline Fourest, défenseure infatigable de la laïcité, du droit des femmes et des homosexuels. Pendant un temps responsable du Centre gay et lesbien de Paris, fondatrice de la revue féministe ProChoix, ancienne collaboratrice du Monde et de Charlie Hebdo, elle pratique l’omniprésence médiatique, dénonçant inlassablement l’intégrisme dans les conférences et sur les plateaux de télévision où elle est régulièrement invitée. La constance de son engagement lui a valu en 2005 d’être lauréate avec sa compagne Fiammetta Venner du Prix national de la laïcité remis par le Comité Laïcité République, les récompensant « pour leurs actions contre tous les fondamentalismes religieux et leurs avatars liberticides, ainsi que pour leur engagement face à l’extrême droite ».

Mais, comme bien souvent, le noble combat pour la « laïcité » (à géométrie variable) et la « défense du droit des femmes » (surtout voilées) est là pour dissimuler un projet nettement moins glorieux…

D’abord engagée contre l’intégrisme chrétien et l’extrême droite, Caroline Fourest s’est vite trouvée un cheval de bataille : la guerre contre l’islamisme, ou plutôt l’islam. Le tournant a lieu en 2003 au moment de la parution de son livre Tirs croisés, co-écrit avec sa compagne, traitant de la « laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman ». Conclusion attendue : des trois, l’intégrisme musulman est bien le plus virulent. En cause : l'absence de laïcité et le manque de démocratie existant dans certains pays arabes et/ou à majorité musulmane.

En 2006, elle récidive avec Frère Tariq et la tentation obscurantiste, dans lequel elle passe au crible des discours de l’universitaire suisse Tariq Ramadan à partir de lectures et d’écoutes de ses livres et enregistrements, pour tenter de démontrer un prétendu double discours : relativement libéral lorsqu’il s’exprime dans les médias et fondamentaliste et réactionnaire quand il le fait devant ses partisans musulmans. Le retour de l’Inquisition ? Quoi qu’il en soit, ce livre s’est révélé truffé d’approximations, d’erreurs historiques et de mensonges.

Réformer la gauche

Son combat prend une tournure nettement plus politique avec La Tentation obscurantiste qui a obtenu le Prix du livre politique 2006 de l’Assemblée nationale au premier tour de scrutin, obtenant la faveur de 80 % des membres du jury composé pour l’essentiel de journalistes. Quasi-unanimité peu surprenante quand on connaît les lauréats des années précédentes : Fadela Amara, Alexandre Adler, Laurent Joffrin et Laurent Fabius, parmi d’autres. L’État sait reconnaître ses plus zélés serviteurs.

L’objectif du livre : casser les soutiens de gauche dont bénéficie l’islam qualifié de « religion réactionnaire, intégriste et totalitaire » en délégitimant le combat anti-impérialiste, anticolonialiste et tiers-mondiste de certains militants et intellectuels. En cela, il s’inscrit dans la continuité de Frère Tariq qui était déjà un pamphlet contre une partie de la gauche française qualifiée de « communautariste » par opposition à « républicaine ». Selon Pierre Tavanian, militant associatif antiraciste, le livre s’achève par une mise en cause de la Ligue des Droits de l’Homme, du Monde diplomatique, du MRAP, du journaliste au Monde Xavier Ternisien, du collectif Une école pour tous et toutes, de la militante féministe Christine Delphy et de quelques autres, « qui ont pour point commun non pas une quelconque proximité avec Tariq Ramadan (…) mais simplement le refus de diaboliser Ramadan, et surtout le souci de lutter contre tous les racismes, donc l’islamophobie et enfin l’opposition à la loi interdisant le voile à l’école ». Cible régulière des attaques de Caroline Fourest, Pierre Tavanian accuse celle-ci d’avoir, en décembre 2003, publié à son sujet un « communiqué » de deux pages qu’il estime contenir une trentaine de contre-vérités.

Assimiler défense de l’islam et antisémitisme

Réactionnaire, intégriste, totalitaire ? Ce tableau convenu serait incomplet sans l’accusation d’antisémitisme… oubli que Caroline Fourest ne manque pas de réparer. Ainsi, elle a affirmé sans rire que les familles de certaines banlieues ont empêché leurs enfants, « au nom de leurs convictions religieuses », d’assister aux cours scolaires sur la Shoah, pure affabulation déjà relayée en février 2013 par Jewish News One, une Web TV fondée par des oligarques israélo-ukrainiens. Ces banlieues sont qualifiées au passage de « territoires perdus de la République », faisant ainsi référence à un livre éponyme qualifié lors de sa parution de sinistre farce xénophobe et néoconservatrice par le philosophe franco-israélien Ivan Segré. Ecrit sous la direction d’un défenseur inconditionnel d’Israël, Emmanuel Brenner, cet ouvrage eut droit aux honneurs de la loge Ben Gourion de B’naï B’rith fin 2012 en présence d’Alain Finkielkraut.

Bien qu’adulée par les journalistes officiels, Caroline Fourest essuie parfois quelques critiques. Le journaliste Didier Lestrade s’interroge sur son obsession anti-musulmane et anti-voile. Même son de cloche chez l’ancien président de l’Institut des cultures d’islam qui reproche au discours de Caroline Fourest d’attiser les peurs et de contribuer à banaliser l’islamophobie, une critique également formulée par l’ancien président de cet Institut, Hakim El Karaoui. Mais les journalistes ne sont pour rien dans l’islamophobie médiatique – et surtout pas Caroline Fourest – puisque, comme elle l’affirmait le 8 février dernier dans un débat qui l’opposait à Lilian Thuram, les musulmans sont responsables, de par leur « intégrisme », de la discrimination qu’ils subissent : la récurrence de couvertures médiatiques consacrées à l’islam serait la faute des « intégristes et des radicaux », non pas celle des rédacteurs en chef et des journalistes. « Ils ont récolté ce qu’ils voulaient », affirma-t-elle. Et il ne faudrait pas confondre, d’après la militante, la critique de l’islam et « l’incitation à la haine » des musulmans.

Contre-vérités, manipulations et bidonnages

Caroline Fourest et Fiammetta Venner.
Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), dans son livre intitulé Les Intellectuels faussaires, qualifie Caroline Fourest de « sérial-menteuse » et avance que la caractéristique principale de celle-ci serait « d’attribuer à ses adversaires des propos qu’ils n’ont jamais tenus pour s’en offusquer ». Exemple avec son livre consacré à Marine Le Pen qui lui vaudra une condamnation pour diffamation par le tribunal correctionnel de Paris, le 9 octobre 2012. Même motif, même punition : dans le même ouvrage, Caroline Fourest et Fiammetta Venner accusent Frédéric Chatillon d’antisémitisme et de liens avec des réseaux terroristes. Ce dernier porte plainte et, le 21 janvier 2013, Caroline Fourest et Fiammetta Venner sont condamnées pour diffamation et atteinte à la vie privée.

Le faux, sa marque de fabrique. En mars 2004, Caroline Fourest et sa compagne avaient déjà inventé une fausse agression à leur encontre afin de déclencher une campagne discriminatoire contre l’Institut du Monde Arabe. En septembre 2012, lors d’une intervention à la fête de l’Humanité, Caroline Fourest s’était plainte d’avoir été prise à partie par des militants antiracistes du Parti des Indigènes de la République – allégation également démentie. Mais ces multiples mises en scène n’auront pas été en pure perte, lui permettant de bénéficier en permanence d’une protection policière impressionnante pour tous ses déplacements et interventions – le tout aux frais du contribuable.

L'islamophobie revue et corrigée par Fourest

Pour disqualifier ceux qui luttent contre l’islamophobie, elle est prête à toutes les manipulations, y compris à colporter des contre-verités. Sur l’emploi du terme d’abord, en affirmant que ce mot « a pour la première fois été utilisé en 1979, par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de "mauvaises musulmanes" ». Conséquence : il est urgent de ne plus l’employer pour combattre à nouveau le racisme et non la critique laïque de l’islam. Pour désarmer la lutte contre la discrimination, rien de mieux en effet que de délégitimer le mot qui la désigne. Sur ce point, elle a engagé des polémiques avec Xavier Ternisien qui a montré que le mot est bien plus ancien et était utilisé dès 1921. De son côté, le journaliste Alain Gresh a relevé l’usage de l’expression « délire islamophobe » dès 1925 en France. Caroline Fourest sera accusée par le collectif des Indigènes de la République d’avoir manipulé l’origine du mot dans le but de délégitimer la dénonciation de l’islamophobie.

Autre méthode : les reportages à charge avec en ligne de mire les sites de réinformation ou de lutte contre le néocolonialisme, notamment Les mots sont importants dont Pierre Tevanian est l’un des animateurs, l’assimilant à « la gauche pro-voile » pour ses liens avec les mouvements de défense de l’islam au sein des Indigènes de la République, ou encore des universitaires partisans d’une « nouvelle laïcité », comme Raphaël Liogier. Avec Fiammetta Venner, elle a consacré un ouvrage aux positions et engagements du Réseau Voltaire et de Thierry Meyssan qu’elle qualifie de « conspirationniste ». Thème fétiche des néoconservateurs – il leur permet de disqualifier la pensée critique parfois même en l’assimilant à l’antisémitisme – le conspirationnisme était au cœur de son reportage télévisé intitulé Les réseaux de l’extrême.

Au menu : bidonnages et amalgames. Sous la bannière du « complotisme » vu par Caroline Fourest on trouve en effet pêle-mêle identitaires d’extrême-droite, islamistes, et vrais militants anticolonialistes… curieux mélange qui permet à la journaliste de diaboliser ceux-ci en les associant à ceux-là… procédé malhonnête qui a fait l’objet de vives critiques, dont celle de Michel Collon mis directement en cause dans le documentaire. Sa haine profonde et viscérale de l’islam en fait une porte-parole naturelle des thèses anti-musulmanes auprès d’une certaine partie de la gauche française, ce qui lui a notamment valu en 2012 la palme du racisme aux Y’a Bon Awards.

De quoi Caroline Fourest est-elle le nom ?

Considérée comme un cerveau sain par ceux qui font l’opinion, Caroline Fourest ne manque pourtant pas de détracteurs, y compris dans son propre camp politique. Pour Esther Benbassa, sénatrice d’EELV, « c‘est un(e) stratège. Elle s’est placée du côté des islamophobes pour plaire à la fois à la droite et à une partie de la gauche au nom de la laïcité en jouant la Jeanne d’Arc au visage lisse qui va défendre les femmes contre les horribles musulmans. Ça lui a permis de grimper à toute vitesse les marches de la notoriété. » D’autres lui reprochent son inculture manifeste doublée d’une assurance à toute épreuve, comme Pierre-André Taguieff dont elle est pourtant très proche idéologiquement : « Elle n’est ni sociologue ni anthropologue ni historienne, ce qui ne l’empêche pas de parler de tout avec autorité et une certaine arrogance. »

Superficielle mais habile, politiquement proche de Manuel Valls dont elle soutient sans réserve les positions sur la « laïcité », Caroline Fourest incarne à elle seule la conversion totale et définitive de la « gauche » au sionisme et au mondialisme. Son parcours est celui de la bien-pensance de gauche qui a laissé tomber la défense des victimes du capitalisme – salariés pauvres, exclus sociaux et travailleurs immigrés – pour le pseudo-féminisme, le mariage gay et le soutien inconditionnel à Israël.

Son engagement anti-islam date précisément de 2003, première année des campagne anti-voile menées successivement par l’UMP et le PS, qui ont fait du musulman un bouc émissaire parfait, isolé, fragile et visible.

Comme tous les islamophobes, Caroline Fourest avance masquée, faisant passer son combat discriminatoire sous l’éternel alibi de la laïcité et du féminisme. En réalité, c’est toujours le deux poids/deux mesures : alors qu’on s’alarme d’une prétendue montée de l’antisémitisme dans les banlieues, que l’on stigmatise les défenseurs d’une vraie laïcité anticommunautariste, on soutient sans réserve Charlie Hebdo, passé du scato-gauchisme au néoconservatisme, dans l’affaire des caricatures. Le contraste dans le traitement des deux discriminations – antisémitisme et islamophobie – pourtant strictement symétriques, est frappante. Il met en lumière la nature du véritable engagement de Caroline Fourest – faire la promotion de la théorie du choc des civilisations et de la « montée du danger islamiste » pour masquer les vraies responsabilités dans les tensions sociales actuelles – faisant d’elle ni plus ni moins qu’une chienne de garde du système.

Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.