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Points de vue

Valls contre Dieudonné : pourquoi tant de haine ?

Rédigé par Nicolas Bourgoin | Mardi 31 Décembre 2013 à 06:00

           


L’interdiction faite à un humoriste d’exercer son métier en raison de ses opinions réelles ou supposées serait une première dans l’histoire de nos « démocraties ».

En réalité, elle ne serait qu’un nouvel épisode de la conversion de la France au néoconservatisme : alignement de notre politique extérieure sur les intérêts d’Israël et islamophobie galopante sur le front intérieur. Le musulman est un bouc émissaire parfait en ces temps de crise et les discours musclés contre l’ennemi intérieur fauteur de « troubles à l’ordre public » viennent à point nommé pour masquer une impuissance manifeste sur le plan économique. Comme beaucoup d’autres, cette nouvelle « affaire » nous en apprend davantage par ce qu’elle cache que par ce qu’elle montre…

L’impensable aura-t-il lieu ? S’il est vrai que Dieudonné est dans le collimateur des élites politiques depuis belle lurette – précisément depuis son sketch plutôt réussi mettant en scène un colon israélien en décembre 2003 –, un grand pas serait pourtant franchi avec l’exercice de la censure d’État pure et simple. Elle serait cependant juridiquement difficile à appliquer, la menace de troubles à l’ordre public pouvant seule être invoquée et celle-ci ne peut conduire qu’à une interdiction au cas par cas des spectacles donnés par l’humoriste suivant l’avis des préfets concernés et en aucun cas à une interdiction globale. Elle est de toute façon fallacieuse.

De même, l’accusation d’antisémitisme paraît largement infondée si l’on en juge par les nombreux procès qu’il a gagnés contre ses détracteurs, celle de racisme également quand on sait qu’il a combattu électoralement le FN dès 1983 et qu’il critique Israël justement pour la politique d’apartheid que mène ce pays.

On peut penser que c’est surtout l’effet d’annonce qui est ici recherché : mettre au pas un humoriste luttant contre l’idéologie dominante sioniste et islamophobe. Son combat antisioniste et antiraciste lui a d’ailleurs valu d’être désigné par Manuel Valls, principale cheville ouvrière de la mutation néo-conservatrice du PS, comme l’ennemi public numéro un. Cette idéologie mortifère ne cesse de se renforcer comme le montre la politique du deux poids deux mesures qui fonctionne à plein : un sketch ouvertement raciste ne suscite aucune indignation dès lors qu’il prend pour cible les Arabes (ici les Palestiniens). Il faut dire qu’elle bénéficie de nombreux appareils d’État qui en sont les relais effectifs.

La nébuleuse sioniste en France

Les manifestations visibles de la pratique de l’islam et de la résistance au néocolonialisme occidental en Irak, en Afghanistan, en Libye ou en Israël sont perçues par la classe dominante comme autant de menaces pour l’intégrité nationale.

A l’avant-poste de ce combat identitaire, l’association Ni Putes Ni Soumises. Prompte à stigmatiser la « culture des cités » qu’elle associe à l’obscurantisme, au sexisme et même parfois à l’antisémitisme, dénonçant le « fascisme vert » des musulmans, cette association a joué le rôle d’un appareil idéologique d’État face à ce qui a été perçu par les élites politiques comme une remise en question des institutions républicaines et de l’histoire coloniale officielle de la France. Elle a notamment joué un rôle actif et détestable à l’occasion des campagnes « anti-foulard ».

Plus près de nous, en compagnie de SOS Racisme et de l’Union des Étudiants Juifs de France – autre officines sionistes –, elle a récemment lancé un appel commun afin d’obtenir la libération de trois membres des Femen détenues en Tunisie. Rappelons que cette organisation est ouvertement islamophobe. L’association d’extrême droite Riposte laïque (dont la directrice est par ailleurs membre de NPNS) a participé à de nombreuses actions communes avec le Bloc identitaire et prend pour cible unique les musulmans et leurs pratiques culturelles et religieuses.

Islamophobe et sioniste, elle défend la théorie raciste d’Eurabia selon laquelle le monde arabe constituerait une menace démographique pour l’Europe. Cette thématique raciste est notamment reprise par le CRIF, qui a récemment mis sur son site un documentaire israélien sur la « menace islamique » en Europe et soutient ouvertement le journaliste islamophobe Robert Redeker.

La LICRA, de son côté, qui veut combattre l’antisionisme au même titre que l’antisémitisme – d’ailleurs au prix d’un renoncement à ses objectifs premiers, le sionisme ayant été assimilé par l’ONU à une forme de racisme et de discrimination – toujours aux avant-postes de l’antidieudonnisme, soutient Caroline Fourest dans son combat contre « l’Islam radical », laquelle affirme sans rire que « la France a tué 6 millions de juifs ».

L’islamophobie, nouvelle idéologie dominante au service du pouvoir

Alignement sur la politique israélienne et ses intérêts à l’extérieur, islamophobie idéologique, politique et culturelle à l’intérieur, les élites politiques françaises mènent une guerre de basse intensité contre le monde musulman. A l’échelle de l’Europe et des Etats-Unis, l’obsession antimusulmane s’est intensifiée depuis les attentats du 11-Septembre, ouvrant une nouvelle période marquée par la « guerre contre le terrorisme », le durcissement des tensions internationales et l’aggravation de la crise économique.

La montée en force de l’islamophobie, nouvelle idéologie officielle de nos sociétés occidentales, est l’effet d’une désorganisation à la fois économique, géopolitique et idéologique. Elle relève du mécanisme bien connu du bouc émissaire, classique en ces temps de crises et d’impuissance économique où le gouvernement en est réduit à faire des paris (perdus) sur une hypothétique inversion de la courbe du chômage : resserrer symboliquement le tissu social autour du rejet d’une victime de substitution, faible, visible et isolée, minimisant les clivages de classe au profit de « différences culturelles » séparant les « Français musulmans » des « Français de souche » afin d’affaiblir la combativité des classes populaires en les divisant tout en attirant leur attention sur une menace fictive.

En d’autres termes, masquer la réalité des chocs économiques sous la rhétorique fumeuse du choc des civilisations. Là sont les véritables enjeux de la diabolisation de Dieudonné.

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Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.






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