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Société

Le succès du forum contre l'islamophobie sans l'attention médiatique

Rédigé par | Mercredi 18 Décembre 2013 à 06:05

           

Le succès au rendez-vous. Le Forum international contre l'islamophobie, organisé samedi 14 décembre à Paris, a drainé plusieurs centaines de personnes préoccupées par l'aggravation de ce racisme en France. Toute une journée durant laquelle des dizaines de chercheurs et de militants associatifs et politiques se sont succédé lors de tables rondes de réflexion et d’ateliers pratiques visant à construire et à intensifier la lutte sur le terrain. Saphirnews, un des rares médias qui se sont déplacés au colloque, revient sur cet événement qui fait date. A condition que les musulmans et leurs soutiens tirent profit, en toute autonomie, des expériences pour organiser leur lutte en faveur de l’égalité.



Le succès du forum contre l'islamophobie sans l'attention médiatique
La Bourse du travail de Paris fut pleine à craquer ce samedi 14 décembre. A l’appel de nombreuses associations telles le Parti des indigènes de la République (PIR), le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et Mamans toutes égales (MTE) ainsi que des personnalités regroupés dans le collectif 14 décembre, plusieurs centaines de personnes se sont déplacées pour assister au Forum international contre l'islamophobie, qui suit une initiative académique inédite produite à l’EHESS les 12 et 13 décembre à Paris.

Organisé par le CADIS et l’Université de Berkeley (Californie), les intervenants du colloque étaient revenus sur les enjeux autour de la reconnaissance de l’islamophobie en Europe et aux Etats-Unis. Une initiative salutaire tant il s’agit d’une thématique qu’il est nécessaire de promouvoir dans le milieu académique français afin de porter un coup d’arrêt aux discours xénophobes construits par les élites politiques et médiatiques.

Hatem Bazian et Ramon Grosfoguel, experts du racisme anti-musulman venus tout droit de Berkeley, se sont joints à l’initiative de samedi, naturellement. Une motion condamnant les restrictions aux libertés des musulmans de France avait été adoptée à l’unanimité à l’issue du colloque annuel sur l’islamophobie, organisé en avril 2013 dans cette prestigieuse université américaine, et ce en présence de Houria Bouteldja, porte-parole du PIR. Le contact fut rapidement créé.

Enrayer le processus de « racialisation »

D’entrée de jeu, Hatem Bazian, qui dirige le Centre de recherches sur l’islamophobie de Berkeley, n’a pas manqué d'exprimer sa solidarité auprès des musulmans de France et sa ferme volonté d’enrayer « le processus de construction de la race musulmane ». Dans cette optique, le sociologue Abdellali Hajjat, auteur avec Marwan Muhammad de l’ouvrage « Islamophobie », présente l’espace universitaire comme un terrain important à exploiter pour mettre un coup d'arrêt au déni général du fait islamophobe, en expliquant notamment le processus historique de construction du problème musulman.

Si discuter d’islamophobie est possible dans les sphères académiques, les discriminations à l’encontre de femmes voilées sont une réalité soulignée par la sociologue Nacira Guénif. Elle dénonce, face à une assemblée diversifiée, « la fausse bonne conscience » dans laquelle se complaît le milieu universitaire, à savoir que « les intellectuels (seraient) vertueux, forcément bien intentionnés » et qu’ils ne reproduiraient pas « les travers de la société ».

Les sciences sociales rigoureuses vs les raccourcis médiatiques

En parallèle du militantisme, « les sciences sociales ont un rôle important à jouer dans la connaissance de la réalité sociale islamophobe » et leur mise à l’écart consistant à « privilégier une vision médiatique essentialisante et caricaturale de l’islam » participe à la « problématisation » de l’islam, signale Abdellali Hajjat. Il faut « exercer une forme de vigilance sur les productions journalistiques » qui discréditent les travaux universitaires sérieux, souligne Nacira Guénif.

Pour sa part, Tariq Ramadan a appelé les militants contre l’islamophobie à se doter d’une « définition claire » de ce concept, non alimenté par « une position victimaire », mais aussi à s’unir pour ne pas « conforter la position des islamophobes », les plus fervents d’entre eux, rappelle-t-il, étant les défenseurs d’Israël et du sionisme.

« La division sur le terrain nous rend nous-mêmes responsables d’un front lancé contre nous », déclare le professeur d’études islamiques à Oxford. Une allusion probable au conflit ouvert entre le CCIF/PIR et la Coordination contre l’islamophobie et le racisme (CRI), exclue de la participation au forum.

Du discours au retour d’expériences…

Chaque atelier (quatre au total) a fortement mobilisé, à l’image de la session « Comment lutter contre l’instrumentalisation du féminisme et de la laïcité ? » qui a réuni près d’une centaine de participants autour de personnalités comme Ismahane Chouder, co-présidente du Collectif féministe pour l’égalité (CFPE), Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité, ainsi que des mères discriminées lors de sorties scolaires.

Pour déconstruire le lien, il faut « resituer le sens et la lettre » des concepts susnommés et « refuser les termes du débat » dans lesquels les femmes musulmanes sont assignées depuis 10 ans, affirme Ismahane Chouder. Elle appelle à l'occasion les solidaires à signer une pétition du CFPE pour l’abrogation de la loi anti-voile à l’école et de ses avatars qui ont suivi, préconisée dans le dernier rapport sur l'intégration.

… pour préparer une offensive

Ces ateliers dynamiques ont donné lieu à une séance de comptes-rendus, après une intervention remarquée de l'avocat de la salariée licenciée de Baby Loup et la projection des témoignages de femmes musulmanes agressées cet été à Argenteuil (Val d’Oise). Il existe « une construction sociale du silence » chez les discriminés contre laquelle il convient de « construire socialement la visibilité et le bruit », rapporte notamment le sociologue Saïd Bouamama, de l’atelier sur les réponses locales aux agressions islamophobes.

Il faut « créer du contentieux », en portant plainte systématiquement, « politiser les cas les plus emblématiques » et s’inscrire dans un rapport de forces qui poussent les tribunaux à faire jurisprudence, relate aussi Marwan Muhammad, porte-parole du CCIF, d’une autre session de discussion.

Une manif à venir pour l’abrogation des lois islamophobes

Clap de fin. Houria Bouteldja a souligné le « succès » d’une « initiative historique » intervenant 30 ans après la Marche contre le racisme, qui rappelle que les héritiers de l’immigration postcoloniale sont « toujours confrontés à un racisme structurel ». Pour dénoncer l’islamophobie institutionnelle, elle annonce une manifestation en mars 2014 pour réclamer « sans complexes » l’abrogation de la loi « funeste » promulguée 10 ans plus tôt.

Bien qu’opposés à la loi, tous les membres du collectif 14 décembre ne sont pas signataires de l’appel à manifester, estimant que l’abrogation n’est pas la première des revendications à faire valoir. Le rendez-vous national est néanmoins fixé dans l’agenda pour une grande partie d’entre eux. Le groupe n’a d’existence que pour l'organisation du forum, porté par « le mot d’ordre "l’islamophobie est un racisme d’Etat" » selon les mots du PIR mais l'idée d'un front commun très large contre ce fléau fait son bout de chemin dans les esprits. Le chemin est long mais possible si les défenseurs sincères de la cause se donnent les moyens véritables de le concrétiser.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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