Connectez-vous S'inscrire

Société

Voile et signes religieux en entreprise : l'interdiction possible sous conditions pour la justice européenne

Rédigé par Lionel Lemonier | Vendredi 14 Octobre 2022 à 17:25

           

Interdire le port visible de signes religieux sur le lieu de travail ne constitue pas une discrimination directe si cette règle s’applique à tous les salariés d’une entreprise, mais le juge doit vérifier que cela ne constitue pas une discrimination indirecte. Dans un arrêt rendu jeudi 13 octobre, la Cour de justice de l’Union européenne laisse une certaine marge d’appréciation aux juridictions nationales pour apprécier le principe européen de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.



La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est une nouvelle fois prononcée sur l’interdiction du port visible de signes religieux dans les locaux d’une entreprise. Saisis dans le cadre d'une affaire opposant depuis 2018 une société gérant des logements sociaux en Belgique à une candidate à un stage qui s'est vue refuser de porter le voile ou tout autre couvre-chef, les juges européens ont été interrogés par le tribunal du travail francophone de Bruxelles sur deux points, à savoir si les termes « la religion ou les convictions » figurant dans la directive européenne relative à l’égalité de traitement en matière d'emploi et de travail sont à interpréter séparément ou comme les deux facettes d’un même critère, et si l’interdiction du port d’un signe ou d’un vêtement connoté constitue une discrimination directe fondée sur la religion.

« La directive 2000/78/CE doit être interprétée en ce sens que les termes "la religion ou les convictions" y figurant constituent un seul et unique motif de discrimination couvrant tant les convictions religieuses que les convictions philosophiques ou spirituelles », explique la CJUE dans son arrêt rendu jeudi 13 octobre. Elle en profite pour rappeler que « le motif de discrimination fondé sur la religion ou les convictions est à distinguer du motif tiré des opinions politiques ou de toute autre opinion ».

Puis, la Cour poursuit en expliquant qu’une « disposition d’un règlement du travail d’une entreprise interdisant aux travailleurs de manifester en paroles, de manière vestimentaire ou de toute autre manière, leurs conviction religieuses ou philosophiques, quelles qu’elles soient, ne constitue pas, à l’égard des travailleurs qui entendent exercer leur liberté de religion et de conscience par le port visible d’un signe ou d’un vêtement à connotation religieuse, une discrimination directe "fondée sur la religion ou les convictions", au sens du droit de l’Union, dès lors que cette disposition est appliquée de manière générale et indifférenciée ». Une prise de position similaire à celle prise dans un arrêt rendu en juillet 2021 statuant sur le cas de deux femmes musulmanes en Allemagne se voyant refuser de porter le voile par leurs employeurs.

La nécessité d'un « objectif légitime » pour justifier une différence de traitement

Néanmoins, les juges européens ajoutent que cette règle « est toutefois susceptible de constituer une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou sur les convictions s’il est établi (…) que l’obligation en apparence neutre qu’elle contient aboutit, en fait, à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données ».

Pour aider un tribunal national à rendre une décision, la CJUE précise qu’« une différence de traitement ne serait pas constitutive d’une discrimination indirecte si elle était objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires ». Elle rappelle également que « la simple volonté d’un employeur de mener une politique de neutralité, bien que constituant en soi un objectif légitime, ne suffit pas, comme telle, à justifier de manière objective une différence de traitement indirectement fondée sur la religion ou les convictions ». Elle finit par rappeler en substance ce qui constituait déjà son argument en 2021 : « Le caractère objectif d’une telle justification ne (peut) être identifié qu’en présence d’un besoin véritable de cet employeur, qu’il lui incombe de démontrer. »

Tout en prenant soin d’indiquer qu'elle « ne tranche pas un litige national » et qu’il « appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour », la CJUE précise tout de même que si une discrimination indirecte est reconnue, « le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale accorde, dans le cadre de la mise en balance des intérêts divergents, une plus grande importance aux intérêts de la religion ou des convictions qu’à ceux résultant notamment de la liberté d’entreprendre ».

Lire aussi :
Interdire le voile dans les entreprises, une discrimination ? « Non, mais » pour la justice européenne
Avec l'arrêt de la CJUE, la neutralité de l'Etat s'invite dans les entreprises privées
Voile en entreprise : l'Observatoire de la laïcité salue la décision de la CJUE




Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 16/10/2022 16:27 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
On remarquera la nécessité de démontrer le besoin de neutralité, par exemple, la nécessité pour une entreprise de prévenir soit des conflits sociaux, soit des préférences de la part de la clientèle, sachant que dans l'un et l'autre des cas, il faut que se manifeste un refus collectif de travailler avec ou d'acheter à des personnes manifestant ostensiblement leur appartenance à un système de croyances qui impose de le faire.
Une sorte de test de popularité reste autorisé donc... On pense à la situation iranienne.

2.Posté par Abdoulaye le 19/10/2022 01:40 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
@ François. En France, il y a longtemps que la question se pose dans le sens inverse: quels sont les très rares cas dans lequel le voile n'est pas interdit ? Nous, ce n'est les cas où le voile est possiblement interdit, mais bien les rares cas où il est possiblement toléré. Donc, rien de nouveau pour les musulmanes qui veulent conserver leur voile au travail :, elles auront le choix entre femmes de ménage et , quelquefois, vendeuses...

3.Posté par Rond LEDARON le 19/10/2022 14:27 | Alerter
Utilisez le formulaire ci-dessous pour envoyer une alerte au responsable du site concernant ce commentaire :
Annuler
Guerre larvée contre les musulmans ?
Guerre sociale contre celles qui prétendent à autre chose qu'une assignation professionnelle ?
En effet, les femmes de ménage en hijab ne gênent nullement l'ordre établi.


SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !