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Société

Un Conservatoire national des Harkis, un projet de grande envergure mis sur orbite

Rédigé par | Mercredi 14 Décembre 2022 à 12:30

           

Depuis plusieurs années, l’association Mémoire du camp du logis d'Anne porte l’ambitieux projet d’un conservatoire national de la mémoire harkie. Zoom sur l'initiative, ses avancées et les perspectives en vue à l'occasion d'une présentation publique du projet fait début décembre.



Le Mémorial national des Harkis de France se dresse à l'entrée du site de l'ancien camp du Logis d'Anne à Jouques, dans les Bouches-du-Rhône.
Le Mémorial national des Harkis de France se dresse à l'entrée du site de l'ancien camp du Logis d'Anne à Jouques, dans les Bouches-du-Rhône.
Le projet d'un conservatoire des Harkis a été officiellement rendu public samedi 3 décembre lors d'une cérémonie à Peyrolles-en-Provence, dans les Bouches-du-Rhône. Une initiative de l'association Mémoire du Camps du Logis d'Anne, porteur du projet.

La soixantaine d'invités furent reçus au Frédéric Mistral, salle de spectacle du village, avec une belle exposition rendant compte du périple des Harkis. On y voyait des posters sur la vie quotidienne dans les camps, les initiatives éducatives et les luttes des années 1970 pour protester contre l'exclusion...

En ouverture de séance, Thomas Arcamone, premier adjoint au maire de Peyrolles a exprimé tout le soutien qu'il accorde à ce projet de conservatoire dont il se sent partie prenante en tant que fils de rapatrié d'Algérie. Boudant à peine sa surprise agréable devant l'exposition qu'il venait de visiter, il s'est engagé à l'accueillir au « Château » de la ville pour une meilleure visibilité.

« Un lieu de mémoire vivante »

Avant de découvrir le projet, le public a fait connaissance avec l'association Mémoire du Camp du Logis d'Anne, créée en 2015. Une idée inspirée par le Mémorial national des Harkis de France qui se dresse à l'entrée du site de l'ancien camp du Logis d'Anne en bordure de la D96.

« Ce fut une idée des aînés du camp. On leur doit ce mémorial à l'entrée du camp pour le souvenir et les commémorations. Dans le prolongement de cet monument, nous voulions un lieu de mémoire vivante qui comporte un centre d'archives, une salle d'expositions et des espaces pédagogiques et artistiques », précise le responsable de la communication de l'association.

Pour Kamel Sadji, président de l'association Mémoire du Logis d'Anne, « le Conservatoire national sera une institution nationale pour l'ensemble des Harkis. Car les Harkis, nos parents, sont de moins en moins nombreux. Les petites-filles et les petits-fils sont, par contre, nombreux. Ma génération a vécu dans des camps. Nous avons donc un travail mémoriel à faire. Personne ne peut le faire à notre place. C'est ainsi qu'on pourra transmettre une mémoire apaisée aux générations à venir ».

Un projet ouvert sur l'ensemble des « mémoires meurtries »

En choisissant le site de l'ancien camp, Mémoire du Logis d'Anne fait d'une pierre deux coups. La mémoire du lieu est préservée et le site sert une cause citoyenne d'envergure nationale. Ce lieu dit du « Logis d'Anne », actuellement classé en zone verte, est situé à cinq kilomètres environ du centre du village de Jouques.

Quand l’État met ces 27 hectares en vente, l'association se mobilise en 2016 pour que la mémoire du camp ne disparaisse sous un projet économique. Une délégation est reçue par préfet de l'époque, Serge Goutheyron, qui apprécie l'idée d'un conservatoire à condition que le lieu ne soit pas « ethnique » et qu'il soit capable de mobiliser les populations concernées. Kamel Sadji et son équipe vont, durant les années qui suivent, peaufiner leur idée pour en tirer un projet. Le résultat présenté ce samedi 3 décembre a ravi l'admiration du public présent. Dans la structuration finale du projet, le patrimoine mémoriel des Harkis est ouvert sur l'ensemble des « mémoires meurtries ».

D'une part, Mémoire du Logis d'Anne affiche le soutien de 80 associations de Harkis de toutes les régions de France. D'autre part, l'association a mené une concertation et recueille près de 600 signatures de soutien des anciens habitants du camp.

Pour porter la réflexion, l'équipe du conservatoire s'est dotée d'un comité scientifique co-présidé par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik et l’historien Benjamin Stora. « Boris Cyrulnik nous a séduits par le discours qu'on lui connaît sur la résilience (la capacité à surmonter un traumatisme, ndlr). Nous l'avons sollicité et il n'a pas hésité. Il nous a rejoints. Nous lui avons confié le comité scientifique », explique Kamel Sadji.

Dans son rapport, commandé par la présidence de la République sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie », Benjamin Stora avait listé, parmi « les signes de détente et de coopération entre les sociétés civiles », l’association Mémoire du camp du Logis d’Anne qui « porte depuis plusieurs années un projet de Conservatoire National de la Mémoire des Harkis au Camp du Logis d’Anne à côté d’Aix en Provence ».

Dans son discours d'accueil, son président Kamel Sadji a ainsi déclaré avoir été « sensible au regard que porte Benjamin Stora sur la question mémorielle. « Il est historien et sociologue, mais la place qu'il donne à la mémoire nous a vraiment séduits. Nous l'avons sollicité aussi et, le mois dernier, il a accepté de co-présider le comité scientifique », a-t-il ajouté.

Kamel Sadji, président de l'association Mémoire du Logis d'Anne.
Kamel Sadji, président de l'association Mémoire du Logis d'Anne.

Le financement en question

Ce conseil s'est réuni, mercredi 7 décembre, à la Rotonde du Conseil régional de Marseille pour prendre connaissance de l'état d'avancement du projet. Une première réunion s'était tenue en début d'année, à Aix-en-Provence. Depuis lors, le conseil s'est étoffé notamment avec la présence remarquée de Benjamin Stora qui, selon nos informations, a rejoint le projet il y a un mois.

Si ce conservatoire national est bien reçu de tous, si sa conduite scientifique est assurée, il reste à en réunir le financement. Pour l'heure, le terrain est chose acquise grâce à une aide indirecte de l’État qui avait mis le site du Logis d'Anne en vente à 2 millions d'euros. Mais, en réponse à la demande de l'association Mémoire du Logis d'Anne, l’État l'a cédé à 75 000 euros (environ 4 % de sa valeur) à la condition que le site accueille « le conservatoire national des Harkis ». L'acquéreur n'est autre que la municipalité de Jouques, à l’issue d'un conseil au mois de mai 2018.

Combien de temps faudra-t-il pour voir s’ériger ce conservatoire ? La question fut posée par l'assistance et le porteur du projet estime qu'il faut « en général cinq ans pour un tel projet. Nous sommes suivis par AG Studio, une agence parisienne d'architectes depuis six ans. Ils ont une expérience de ce type de projets et nous espérons poursuivre avec eux comme partenaire jusqu'au bout ».

Par visioconférence depuis Paris, François Guiguet d’AG Studio a présenté les enjeux que recouvre un conservatoire des Harkis en France. En développant les objectifs d'un tel lieu, les concepts possibles ainsi que les styles, il a permis à l'auditoire de se projeter et de rêver. L'on a pu imaginer la dynamique d'ensemble de ce que revêt l'expression « lieu de mémoire vivante ».

Benjamin Stora a résumé la situation actuelle du conservatoire dans son rapport en janvier 2021 : « Entre le musée mémorial et le centre de réflexion, ce projet reçoit le soutien de nombreux acteurs publics, dont les maires de Marseille, d’Aix en Provence, de Jouques, de la Région PACA, et de l’État par le Préfet de Région. Au-delà d’un encouragement moral, aucun concours financier n’est encore assuré. »

En plus du comité scientifique, Mémoire du Logis d'Anne a constitué un comité en charge de réunir le financement du projet. C'est la dernière ligne droite. « Il fallait d'abord finaliser le projet jusqu'à un certain point d'accord avant de démarcher les institutions capables d'endosser un tel projet. Nous avons des idées et des contacts », explique Kamel Sadji.

Les propositions sont multiples. Depuis les municipalités de Jouques, de Peyrolles jusqu'à certains services de La Région PACA, Mémoire du camp de Logis d'Anne n'exclut aucune possibilité. Mais, dit Kamel Sadji, « il fallait d'abord que le projet soit abouti, qu'il soit chiffré et qu'il soit rendu public comme nous venons de le faire aujourd'hui. Nous avons franchi un cap. Le travail mémoriel est un travail pour l'avenir, un travail à long terme. C'est ainsi que nous le prenons. »

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Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de... En savoir plus sur cet auteur


Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Rond LEDARON le 14/12/2022 14:03 | Alerter
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Imaginons deux secondes que l'on érige en Allemagne un monument à la mémoire de la Division Charlemagne ou des collaborateurs français d'une manière générale.

2.Posté par Joseph le 15/12/2022 13:25 | Alerter
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" Fille de Harki " de Fatima-Lancou, les éditions de l'atelier.

J'ai été surpris par la sincérité de ce livre. Je l'ai lu d'une traite. Ce n'est pas un plaidoyer pro-domo pour les Harkis , mais simplement une femme qui raconte sa vie de petite fille durant la guerre d'Algérie, ainsi que son arrivée en France dans les camps de Harkis.

Une femme merveilleuse .

3.Posté par francois.carmignola@gmx.com le 26/12/2022 20:18 | Alerter
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@ledaron Votre point de vue, largement partagé dans certains milieux assez différents, (mais pour des raisons différentes) a le tort d'être inutilement agressif et donc profondément injuste.

Les harkis ont sans doute pour vous le tort d'avoir voulu être français dans un cadre national aujourd'hui disparu historiquement (le territoire algérien français d'avant l'indépendance) mais le sont devenus dans un autre cadre, qui se trouve être exactement celui de ceux des immigrés algériens "indépendantistes" que l'histoire a aussi, mais pour des raisons différentes (en fait pas si différentes) amené sur le territoire français en Europe.

On sait par contre que "tous" les Algériens ne considèrent pas les harkis comme des criminels de guerre dont les descendants sont à jamais les héritiers de la traitrise. Ce sont ceux qui sont lucides sur les ignobles crimes dont se sont rendus aussi coupables les indépendantistes, que ce soit sur les Français pour les combattre, sur leurs compatriotes pour les dominer et sur les harkis pour les punir.
Certains de ces Algériens vivent en France, sont devenus français et croient en l'apaisement nécessaire des mémoires.

Quant à ceux qui sont violemment opposés aux harkis, il y a aussi ceux qui considèrent que la présence maghrébine en France est injustifiée et inutile, qu'elle soit celle de supplétifs (l'armée harkie victorieuse était en 1962 très supérieure en nombre à la guérilla indépendantiste et fut loin d'être entièrement évacuée) ou d'ex "i...  

4.Posté par Rond LEDARON le 28/12/2022 16:52 | Alerter
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@françois,
Il fut un temps ou une épuration fut menée avec zèle contre ceux qui frayairent avec l'ennemi allemand. Ce fut le moment opportun pour régler des contentieux, des milliers d'hommes et femmes (tondues ou non) en ont été victimes . En effet, pour tout les peuples du monde, la traîtrise est un acte rédhibitoire. Les codes de la guerre ne passent pas par mille chemin : traîtrise = mort.
Je comprends de ton point de vue de colon, ta prise de position.
Le cas algerien est particulier avec la guerre psychologique qui fut menée presque d'une main de maître : la bleuite mis mise en place par le capitaine Léger fit d'énormes dégâts (se souvenir des massacres entre le MNA et le FLN). Les enfants de harkis n'ont pas à supporter la traîtrise de leurs parents ils peuvent d'ailleurs aller en Algérie.
Les traites sont toujours mal perçu y compris par ceux qui les ont utilisé en vertu de l'adage qui stipule que celui trahi une fois peut trahir deux fois. C'est la raison pour laquelle la métropole très peu reconnaissante, les a abandonné à leur sort. Ce ne fut qu'à l'initiative personnelle des gradés français que leurs hommes furent sauvés.


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