Religions

Le CFCM se déchire autour de la désignation de l'aumônier musulman des prisons : les coulisses d’une énième crise

Rédigé par | Jeudi 18 Mars 2021 à 13:30

Info Saphirnews. A moins de quatre semaines du mois du Ramadan, une nouvelle crise au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM) éclate au grand jour. Cette fois, elle porte sur la désignation de l’aumônier national musulman des prisons. Vraiment ? Explications.



Alors que la désignation d'un nouvel aumônier militaire en chef du culte musulman s'est fait sans accroc, celle de son homologue national des prisons est la source - ou le prétexte - d'une nouvelle crise interne au Conseil français du culte musulman (CFCM), déjà divisé depuis des mois autour de la la charte des principes pour l'islam de France dont l'adoption partielle n'a pas été de tout repos.

Mohammed Moussaoui, président de l'Union des mosquées de France (UMF), est aujourd'hui mis en cause dans cette situation par les représentants de la Grande Mosquée de Paris, du Rassemblement des musulmans de France (RMF), de Musulmans de France (MF) et de la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA). Ces quatre organisations ont annoncé, mercredi 17 mars au soir, « leur retrait définitif du bureau exécutif » de l’instance représentative du culte musulman.

Ensemble, elles dénoncent la décision prise « unilatéralement » par le président du CFCM de tenir, ce même jour, une réunion du bureau exécutif visant à désigner un nouvel aumônier national des prisons. « Cette réunion a été organisée en dépit du bon sens, de manière illégale et contre l'avis des principales fédérations fondatrices », font part les protestataires dans un communiqué au vitriol. Selon nos sources, il était question, lors de cette réunion, de choisir un candidat sur les quatre en lice, afin de remplacer Hassan El Alaoui Talibi, en poste depuis 2005. A son issue, un choix l’a emporté (voir encadré plus bas).

Une attitude « illégale et irresponsable » dont Moussaoui se défend

Les fédérations ont pourtant émises à Mohammed Moussaoui « à plusieurs reprises de fortes réservés sur cette initiative qui n'était en rien justifiée » et ont signifié au préalable « leur refus de participer à cette réunion ». Sans succès. Son maintien a ainsi été dénoncé comme un « coup de force malheureux et inacceptable » qui « met en péril le bon fonctionnement de l'instance représentative ». Leur retrait vient marquer le profond désaccord des quatre fédérations face à une « attitude illégale et irresponsable » de Mohammed Moussaoui.

Ces reproches sont formellement contestées par le président du CFCM, qui assure avoir « respecté les règles statutaires ». Pour lui, des fédérations lui reprochent d’avoir tenu cette réunion en présence des membres du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) et du Milli Görüs (CIMG). Avec Foi & Pratique, elles ont refusé de signer la charte, qui sert de jalon à la constitution du Conseil national des imams (CNI) dont la mise en orbite se fait attendre.

Or, il serait exigé à la présidence « que toutes les réunions du bureau exécutif soient suspendues jusqu’à nouvel ordre, jusqu’à ce que les fédérations non signataires paraphent le texte », selon Mohammed Moussaoui à l'AFP. « Mais on ne peut accepter de paralyser le CFCM » en attendant leur signature, d'autant qu'elles ne sont pas prêtes d’être apposées sur la charte. « Autrement, le CFCM se trouverait dans l’illégalité et le non respect de la loi qui régit les associations », précise-t-il dans un communiqué.

Pour lui, « cette action hostile et incompréhensible, par laquelle les quatre fédérations veulent prendre le CFCM en otage a été rendue possible » par le « système arbitraire de cooptation » dont l'UMF ne bénéficie pas et qui permet « (la) désignation de la moitié des sièges du Conseil d’administration du CFCM que ces fédérations se sont généreusement octroyées ».

Une obstination du président du CFCM incomprise

« La réunion a-t-elle été organisée de manière illégale ? Non », nous assure une source proche du CFCM, qui souhaite garder l’anonymat. Les représentants des fédérations protestataires – à l'exception du RMF, absent du bureau exécutif – étaient certes absents mais « le quorum était atteint par la présence de 9 personnes sur les 17 que compte le bureau ». « Etait-elle opportune ? Ceci est une autre affaire et on est en droit de s’interroger sur les raisons de la volonté de (Mohammed) Moussaoui de précipiter la désignation de l’aumônier des prisons malgré les avertissements qui lui ont été adressés. »

Cette énième crise aurait-elle donc pu être évitée ? La menace de retrait faite par les fédérations pesait en tous cas lourdement ces derniers temps sur le CFCM pour que Mohammed Moussaoui l’ignore, indique à Saphirnews une autre source, cette fois au sein de l'aumônerie des prisons. « Les fédérations l'ont prévenu à diverses reprises. Elles voulaient du temps. Mais il n'a pas respecté les modalités de la concertation » préalable qui fonde, sur le principe, les décisions prises au sein du CFCM.

Dès son arrivée à la tête du CFCM en janvier 2020, « on a compris que la volonté de remplacer l'aumônier national était là. Il n'a pas arrêté de dire que l'aumônerie qui dysfonctionne est celle des prisons », et ce sur la base d'éléments jugés « incompréhensibles », affirme cette même source.

« Si le changement doit s'opérer, il faut qu'il se fasse dans la sérénité », plaide-t-elle. Or, en pleine période de crise sanitaire, à la veille du mois du Ramadan, et alors que la plateforme d'assistance aux détenus fonctionne à plein régime, le moment est mal choisi pour changer brutalement les équipes dirigeantes, surtout quand elles sont installées depuis plus de 15 ans maintenant, estime-t-on. « Ce désir, maintenant, est incompréhensible. »

En toile de fond, se jouerait des bras de fer entre plusieurs fédérations, notamment entre le RMF et l'UMF, la seconde étant née d'une scission avec la première en 2013. Or, Hassan El Alaoui Talibi, qui fut le choix du RMF en 2005, est demeuré proche de l'actuel président du RMF, Anouar Kbibech. Ce qui fait dire à un observateur avisé qu’il s’agirait aussi là d’un « règlement de compte de l'UMF avec le RMF ».

Le bilan de l’aumônier national est « controversé », se contente d'indiquer Mohammed Moussaoui, pour qui la réunion du 17 mars était bel et bien justifiée contrairement aux dires de ses détracteurs, le CFCM s’étant engagé « dès le mois d’octobre 2020 auprès du ministre de la Justice pour nommer un nouvel aumônier des prisons dans les meilleurs délais et de mettre en place en urgence un plan d’action pour lutter contre la radicalisation dans le milieu carcéral ».

Les nouvelles dissensions, qui se mêlent à d’anciennes et qui ne sont que trop fréquentes dans la jeune histoire du CFCM, ne sont pas pour redorer l'image de l’institution, affaiblie dernièrement par les contestations générées par l’adoption de la charte. et le projet de création du CNI.

Mohamed Loueslati
Un nouvel aumônier national désigné en dépit du choix du Conseil national de l'aumônerie

Mohamed Loueslati a été élu « à l’unanimité » des membres présents à la réunion du bureau exécutif mercredi 17 mars, apprend Saphirnews d’une source proche du dossier. Le nom de l'aumônier régional pour le Grand Ouest (englobant la Bretagne, les Pays de la Loire et la Normandie), qui n’est lié à aucune fédération membre du CFCM, devrait donc être proposé dans la foulée au ministère de la Justice. « Il a été exclusivement choisi pour son expérience et ses compétences loin de toute considération partisane », affirme Mohammed Moussaoui dans un communiqué.

Or, selon nos informations, ce choix n’est pas celui du Conseil national de l’aumônerie (CNA) musulmane des prisons. Sur la base d’un vote organisé en janvier, l’organe, constitué des aumôniers régionaux, régionaux adjoints et de l’aumônier national, c’est Chana Benaissa, vice-président du CRCM Rhône-Alpes, candidat du RMF, qui a obtenu 15 des 19 voix face à Missoum Chaoui, candidat de la Grande Mosquée de Paris qui officie en Ile-de-France, et Mohamed Loueslati. Faisant face à un deuil familial, le quatrième candidat, Alain Rajii, le choix de l’UMF, n'avait finalement pas pu se présenter, nous explique-t-on.

Le résultat du scrutin est « le fruit d’une préparation ayant débuté en octobre 2020 » selon les termes d’une lettre du CNA informant Mohammed Moussaoui de sa proposition dont Saphirnews a pris connaissance. « À la suite de ce vote, nous pouvons acter que le CNA a choisi son nouveau représentant : Monsieur Benaissa Chana. En outre, nous sommes convaincus que le CFCM saura prendre en considération cette proposition. » Peine perdue au vu des choix opérés par la présidence de l'instance. Dans ces conditions, l'avenir de Mohamed Loueslati s'annonce plein d'embûches si sa nomination finit par être entérinée par le ministère de la Justice.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur