Points de vue

La liberté : meilleure défense de l'Amérique contre la terreur

Par Wajahat Ali*

Rédigé par Wajahat Ali | Samedi 15 Mai 2010 à 03:45



Fremont (Californie) - L'arrestation de Faisal Shahzad, ressortissant américain d'origine pakistanaise de 30 ans et chauffeur présumé du véhicule utilisé lors de l'attentat manqué de Times Square à New York il y a quelques jours, offre l'occasion de réagir avec efficacité face à un acte de terrorisme potentiel et non avec peur et hystérie, émotions qui seraient inévitablement manipulées par des éléments extrémistes.

Depuis mardi matin, des détails se font peu à peu jour concernant les éventuels mobiles du suspect, Faisal Shahzad, arrêté à l'aéroport de JFK de New York alors qu'il tentait de s'envoler pour Dubaï. Pendant ce temps, les talibans pakistanais revendiquaient cet attentat manqué marqué par l'amateurisme.

Leur empressement en dit long sur leur désespoir d'instiller la peur dans les coeurs des Américains en commettant un acte terroriste sur le continent américain.

Des moments de tension semblables - bien qu'isolés - ont servi, dans le passé, à semer la discorde et l'hostilité à travers la radicalisation des déclarations faites dans les médias par des pontifes idéologiques sectaires issus à la fois des communautés américaines non musulmanes et des communautés musulmanes du monde entier. Nous avons récemment observé cette tendance lorsque le commandant Nidal Hassan Malik a ouvert le feu et tué treize soldats à Fort Hood (Texas) et lorsque l'étudiant nigérian, Umar Farouk Abdulmuttalab, a tenté de faire exploser un avion en plein vol le jour de Noël 2009 alors qu'il avait été signalé aux autorités peu de temps avant.

De tels événements servent à alimenter les discours des commentateurs de droite visant à promouvoir une image dangereusement biaisée d'un monolithe islamique, constitué de tous les musulmans éprouvant une aversion meurtrière pour « nos libertés ». Des attaques verbales seront sans aucun doute formulées à l'encontre des efforts de conciliation et d'association du président américain Barack Obama auprès des communautés musulmanes, telle l'interview accordée à la chaîne Al-Arabiya, le discours historique adressé aux musulmans du Caire en juin dernier et l'assistance apportée aux organisations et chefs américano-musulmans.

Certains experts médiatiques débattent avec ferveur, sur la chaîne de télévision Fox News, de la « mise à l'écart par le profilage » des malfaisants - prônant en réalité le profilage racial des minorités ethniques, en particulier des Moyen-IOrientaux et des Asiatiques du Sud. Anticipant l'inquiétude du public, Barack Obama a réagi à la demande d'une plus « grande sécurité » qui a fait suite à l'attentat manqué de Noël 2009, en introduisant des mesures fourre-tout - récemment amendées - pour étendre les fouilles corporelles et un profilage exacerbé à l'encontre des personnes en provenance de quatorze pays, la plupart à majorité musulmane.

Le profilage racial et l'érosion des libertés civiles et des jugements en bonne et due forme sont contre-productifs dans la lutte contre le terrorisme. Néanmoins, je crains que la peur et la rhétorique à l'origine des divisions ne soient engendrées par les mesures en train d'être mises en oeuvre, sapant ainsi la confiance mutuelle et la coopération qui se sont progressivement installées au cours de ces deux dernières années entre les musulmans américains et les agences du maintien de l'ordre.

Il faudrait rappeler aux démagogues de droite qui proclament les vertus de l'Occident et soutiennent que le terrorisme est propre au « monde musulman », que neuf membres appartenant à un groupe terroriste, les Guerriers du Christ, ont été récemment arrêtés pour avoir programmé de tuer des agents de police et de partir en guerre contre le gouvernement américain. Le groupe a été étiqueté comme étant une anomalie par des chrétiens et groupes chrétiens.

Et quid du vol suicide du revêche Joseph Stack contre un immeuble des impôts au Texas causant la mort d'un fonctionnaire innocent qui a été ignoré par de nombreux experts médiatiques, même lorsque la colère contre les institutions gouvernementales fédérales s'est exprimée par de grandes et violentes protestations publiques?

Assurément, des éléments musulmans radicalisés manipulent les événements, telles les représentations du Prophète dans le dessin animé satirique comme preuve formelle que l'Occident « impérialiste » perpétue la guerre contre l'islam et tous les musulmans. Les actes de violence et menaces proférées récemment contre les dessinateurs ayant représenté le Prophète d'une manière irrévérencieuse ne sont pas gratuits. Ils sont plutôt symptomatiques d'une croyance soutenue en une description faussée et réductrice d'un « Occident belliciste » qui trouve ses arguments dans la guerre en Irak, le soutien d'Israël par les Etats-Unis, les victimes civiles en Afghanistan et au Pakistan et les relations intimes qu'entretiennent les Américains avec les dictateurs arabes.

Ce sont ces éléments qui, en fin de compte, sont les premiers en cause dans la trahison de l'héritage et de l'esprit du Prophète, lequel préconisait la modération et la politesse.

Face à la peur suscitée par les extrémistes, le plus grande erreur que les Américains pourraient commettre serait de reprendre la rhétorique du « nous contre eux » et les mesures sécuritaires envahissantes de la précédente administration tel que le US Patriot Act, qui a facilité l'accès aux informations confidentielles, l'arrestation des immigrants et la fouille les domiciles et bureaux de la part des agences gouvernementales. Ces mesures se sont révélées désastreuses pour juguler le terrorisme mondialm mais très efficaces pour saper la réputation des Etats-Unis auprès de l'opinion publique mondiale. Qui plus est, elles ont nui à la coopération avec les communautés musulmanes du monde entier.

En fin de compte, la meilleure défense est d'être attaché aux mêmes valeurs de liberté et de démocratie que celles que les Américains - tant musulmans que non-musulmans - entendent défendre et protéger.

La triste réalité de l'existence moderne et globalisée du XXIe siècle est que la menace du terrorisme et de la violence est un aspect constant de la vie quotidienne. Toutefois, l'attitude réactionnaire, la progression des stéréotypes au regard des ethnies, le fait que les minorités servent de boucs émissaires et le fait de provoquer la méfiance des américains musulmans et des alliés n'ont fait qu'accroître les risques. L'histoire récente a montré qu'un point de vue raisonné et modéré accompagné de mesures sécuritaires intelligentes, d'un maintien de l'ordre vigilant, de la protection des libertés civiles et de l'entraide sont notre meilleur espoir.

Souhaitons que ce point de vue empreint de raison et de modération prévaudra au fur et à mesure que les indices seront recueillis ces prochains jours autour de la tentative d'attentat à la bombe de Times Square.



* Wajahat Ali est rédacteur adjoint de Altmuslim.com, dramaturge et avocat, dont la pièce The Domestic Crusaders est la première grande oeuvre sur les musulmans vivant dans une Amérique post-11-Septembre.