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L’« outing » des musulmans américains

Rédigé par lila13@hotmail.co.uk | Jeudi 24 Décembre 2009 à 00:01

           

Difficile pour eux d’accéder à la reconnaissance sociale dans un pays encore traumatisé par les attentats du 11 Septembre. Paradoxalement, ils sont plus nombreux à réussir dans la politique que dans les affaires ou les médias.



L’« outing » des musulmans américains
Le 15 septembre, au département d’État américain, Hillary Clinton a reçu 230 personnes pour la rupture du jeûne. Une première. Chargée de la communauté musulmane au département d’État depuis le 23 juin, Farah Pandith a ouvert la cérémonie par quelques mots en arabe : « Assalamou alaïkoum… » Souriante, concentrée, elle a expliqué que son rôle consistait à « promouvoir un partenariat entre le département d’État et les communautés musulmanes à travers le monde, de Séville à Sydney ». Le poste a été créé sur mesure pour cette Américaine née en Inde il y a quarante et un ans, qui, de 2007 à 2009, était chargée des relations entre le département d’État et les communautés musulmanes européennes.

Farah Pandith fait partie de cette nouvelle génération de musulmans américains résolus à participer pleinement aux affaires de la nation, à promouvoir une meilleure image de leur religion et à travailler à un rapprochement entre les communautés religieuses.

Depuis le mois de février, l’administration Obama a fait accéder un certain nombre d’entre eux à des responsabilités de premier plan. Le sociologue des religions Eboo Patel et la chercheuse Dalia Mogahed, une spécialiste des sondages, ont ainsi été nommés au Conseil pour le partenariat et le bon voisinage entre les religions, un organisme censé présenter des recommandations au président en février prochain.

Politologue spécialiste de l’Iran, Vali Nasr a pour sa part été choisi pour conseiller Richard Holbrooke, l’émissaire américain en Afghanistan et au Pakistan. Promotion également pour le juriste indien-américain Rashad Hussain, qui a rejoint l’équipe juridique de la Maison Blanche, et pour Arif Alikhan, un ancien maire adjoint de Los Angeles désormais sous-secrétaire à la Sécurité nationale. Certains ont fait leurs premières armes dans de précédentes administrations. Sous-secrétaire à l’Agriculture entre 1997 et 2001, Islam Siddiqui a par exemple été, le 23 septembre, rappelé à son ancien ministère pour diriger les négociations commerciales. Signalons enfin que, pour la première fois, deux musulmans siègent à la Chambre des représentants : Keith Ellison, du Minnesota, et André Carson, son collègue de l’Indiana.

« Muslim studies »

Le processus a été amorcé sous Bill Clinton, mais c’est sous George W. Bush que la nomination la plus importante a eu lieu : Zalmay Khalilzad a été ambassadeur en Irak entre 2005 et 2007, au plus fort de la guerre, puis ambassadeur auprès des Nations unies au cours des deux années suivantes. « Ces noms qui apparaissent sur le devant de la scène reflètent l’évolution de la communauté musulmane, explique J. Saleh Williams, coordinateur de l’Association des attachés parlementaires musulmans. Les musulmans de différentes régions du monde ont commencé à émigrer en masse à partir des années 1960. Les hommes et les femmes de la deuxième génération sont aujourd’hui en âge de postuler à des responsabilités politiques. »

« Le contexte racial et religieux est plus favorable qu’il y a quarante ans », note Eboo Patel. Ce que confirme Salam al-Marayati, directeur exécutif du Conseil musulman des affaires publiques : « Il y a dix ans, les assistants parlementaires musulmans à Capitol Hill se comptaient sur les doigts d’une seule main. Aujourd’hui, ils sont cinquante. » Le phénomène est toutefois limité à la politique. Dans les conseils d’administration des grandes entreprises, les musulmans restent rares. Les plus connus sont Farooq Kathwari, PDG d’Ethan Allen Interiors, et Ray Irani, patron d’Occidental Petroleum.

Même chose dans les médias, l’exception qui confirme la règle étant Fareed Zakaria, le directeur de la rédaction de Newsweek. Dans le monde de l’enseignement et de la recherche scientifique, les musulmans sont surtout présents dans les départements de muslim studies, discipline qui s’est beaucoup développée ces dernières années dans les grandes universités américaines. Citons Ali Asani, professeur de culture musulmane à Harvard, et Leila Fawaz, professeure d’études sur la Méditerranée à l’université Tufts.

Née au Caire, élevée à Pittsburgh et portant le voile islamique, Dalia Mogahed, 33 ans, est un pur produit des muslim studies. Elle dirige aujourd’hui le département « monde musulman » de l’institut de sondages Gallup. En 2008, elle a coécrit un livre intitulé Who Speaks for Islam ? What a billion muslims really think (« Qui parle pour l’Islam ? Ce qu’un milliard de musulmans pensent vraiment ») et, en mars dernier, publié un sondage sur les 7 millions de musulmans américains (estimation du département d’État). Son ambition ? « Redonner aux musulmans leur dignité. » Cette perle rare n’a pas échappé à Barack Obama, qui a eu recours à ses conseils pour rédiger son adresse au monde musulman, au Caire, le 4 juin.

Diplômé d’Oxford, Eboo Patel, 34 ans, s’est pour sa part fait connaître en créant, à Chicago, une association vouée à la promotion du dialogue interreligieux. Depuis 1998, il s’évertue à « aider les gens à comprendre que la religion est une forme de coopération, pas une source de conflits ». Il a raconté son expérience dans Acts of Faith : The Story of an American Muslim (« Actes de foi : l’histoire d’un musulman américain »), un livre très inspiré des Rêves de mon père, d’Obama, qui a remporté un franc succès.

Pour le chef de l’exécutif, toutes ces promotions participent d’un grand dessein : réconcilier les États-Unis avec le monde musulman et promouvoir la diversité. Pendant le ramadan, son administration a ouvert ses portes aux musulmans. Le 1er septembre, un iftar dinner a eu lieu à la Maison Blanche.

La tradition remonte à l’époque où Hillary Clinton était la première dame, mais a été cette année, pour la première fois, suivie par le Pentagone (le 3 septembre), le ministère de l’Agriculture (le 5), le Congrès (le 9) et même l’ambassade du Royaume-Uni (le 10). L’occasion pour les musulmans américains de faire entendre leur voix et d’accéder aux réseaux de Washington. Un moyen, aussi, de compenser le faible engagement des partis politiques et l’absence d’un lobby musulman, alors que les juifs et les diverses obédiences chrétiennes disposent de dizaines de groupes de pression.

Les droits civiques des musulmans ne sont défendus que par des associations comme le Conseil musulman des affaires publiques, dont l’influence reste limitée. « Il est encore trop tôt pour créer un lobby, estime Salam al-Marayati. Nous en sommes encore à une phase d’éducation des milieux politiques et de sensibilisation du grand public. Les musulmans restent méconnus et incompris. »

Psychose

Une gageure tant reste grande la méfiance à leur égard. La psychose post-11 Septembre est en effet très loin d’avoir disparu. Selon un sondage Gallup publié en mars, seuls 45 % des Américains considèrent les musulmans comme loyaux envers leur pays. Pis, ils ne sont que 25 % à vouloir d’un musulman pour voisin. Et le massacre perpétré le 5 novembre sur la base militaire de Fort Hood, au Texas, par Malik Nidal Hassan (treize soldats abattus) n’a évidemment pas contribué à arranger les choses !

Souvent montrés du doigt, les musulmans américains sont encore nombreux à faire profil bas. Même quand ils ont réussi socialement. C’est au sein de leur communauté qu’on trouve le plus fort taux de personnes disposant d’un emploi. Et le plus fort taux de diplômés, après la communauté juive. « Depuis l’élection d’Obama, les choses commencent à changer, estime Eboo Patel. Il y a cinquante ans, l’élection d’un président noir était impensable. Aujourd’hui, les gens se disent : “Pourquoi pas, un jour, un musulman ?” »


Auteur : Antoine Flandrin
Source : JeuneAfrique.com






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