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Points de vue

Ben Ali, apprenti sorcier du terrorisme

De l’inconscience de la France à soutenir le dictateur tunisien

Rédigé par Vincent Geisser | Mardi 6 Décembre 2005 à 23:39

           

Ben Ali peut se frotter les mains. A chaque bombe qui explose à Djerba, Rabat, Madrid, Londres ou ailleurs, son pouvoir dictatorial se trouve renforcé. Le terrorisme est désormais l’essence du régime tunisien, une essence, certes, de piètre qualité, mais un carburant mortifère qui lui permet de poursuivre sa course diabolique.



A l’occasion de la première commémoration des attentats de New-York, une personnalité tunisienne, déclarait d’ailleurs de manière très lucide : « Aujourd’hui, s’il y a un anniversaire que Ben Ali célèbrerait avec euphorie, c’est bien celui du 11 septembre dans la mesure où cette date constitue une sorte de renaissance pour son régime » [1]. Instrumentalisation sécuritaire d’un évènement dramatique que Sihem Bensedrine, militante tunisienne des droits de l’homme, résumait par une formule choc : « Ben Laden a voté Ben Ali » [2], tant il est vrai que le régime tunisien a su tirer profit du contexte post-11 septembre pour se refaire une « virginité internationale » à bon frais (une sorte d’hymen démocratique, certes, totalement artificiel, mais, ô combien efficace en terme de légitimation externe), tout en accentuant la répression et le maillage sécuritaire sur sa propre société.

De ce point de vue, il est clair que les attentats du 11 septembre ont représenté un événement providentiel pour un régime à bout de souffle, caractérisé par une ambiance de « fin de règne qui n’en finit pas » [3]. A cet égard, la formule de Sihem Bensedrine pourrait être aisément retournée en « Ben Ali a voté Ben Laden ! », l’autocrate tunisien ayant intérêt à entretenir la menace terroriste à l’échelon local et régional pour apparaître aux yeux des Etats occidentaux comme le « bonne élève » de la classe sécuritaire du Monde arabe, loin devant Bouteflika, Moubarak et tous les autres. C’est pour lui une question de survie, les bases populaires de son régime s’érodant de jour en jour comme peau de chagrin : l’image de Ben Ali, « Sauveur de la nation tunisienne » en novembre 1987 (date du coup d’Etat médical renversant Bourguiba), cédant désormais la place à celle du « mangeur d’hommes », tant la corruption et le népotisme sont devenus des pratiques banalisées dans un pays qui avait été jusqu ‘à là relativement épargné : Bourguiba était, certes, un dictateur, mais « aux mains propres », établissant clairement une distinction entre son patrimoine personnel et le domaine de l’Etat.

Aujourd’hui, les frontières ont éclaté sous l’effet du développement du familialisme et de la « lutte des clans », les courtisans du régime (les Ben Ali et les Trabelsi) se partageant à la fois le gâteau économique et sécuritaire. Mais il y a aussi une conséquence de cette dérive sécuritaire qui n’est presque jamais abordée par les observateurs internes et externes : celle de la radicalisation d’une partie de la jeunesse tunisienne qui faute de perspectives socio-économiques et politiques est tentée aujourd’hui de se tourner vers des solutions radicales.

En Tunisie, les discours culturalistes et identitaires (la bipartition du monde en Occident chrétien/Orient arabo-musulman), « version locale » de la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington connaît un certain succès. L’idée que la démocratie pluraliste n’apporte que misère, chômage et corruption gagne du terrain dans certains secteurs de la société tunisienne et ceci d’autant plus que les dites « démocraties occidentales » (la France chiraquienne en tête) apporte un soutien inconditionnel au régime de Ben Ali. Comment ceux qui prétendent donner à la terre entière des « leçons de démocratie » peuvent-ils soutenir un dictateur qui se livre à une politique de répression à l’égard des militants des droits de l’homme et de pillage systématique des richesses nationales ? De là, le risque de confusion est grand dans les esprits tunisiens entre « démocratie pluraliste » et « autoritarisme néo-libéral », comme le souligne fort pertinemment l’opposant Moncef Marzouki [4]. C’est à ce niveau que la formule « Ben Ali a voté Ben Laden » prend tout son sens : non seulement le régime autoritaire tunisien tire pleinement profit de la « menace terroriste » en terme de légitimité internationale mais, en plus, par ses pratiques coercitives et népotiques, il tend à susciter un vivier de « radicalisme en puissance ».

Loin d’apparaître comme un antidote au radicalisme islamique, le régime de Ben Ali fait figure d’apprenti sorcier du terrorisme international. C’est pour ne pas avoir compris cette évidence (ou faire semblant de ne pas la comprendre) que les démocraties occidentales risquent de payer très chère la facture en termes de vies humaines et de stabilité politique.



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* Vincent Geisser : Politologue et co-auteur avec Michel Camau du Syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Presses de Sciences Po, 2003.

** Chokri Hamrouni : Politologue, chargé de la coordination du Congrès pour la République (CPR).

[1] Slim Bagga, « Le 7 novembre et le 11 septembre », L’Audace, 93, novembre 2002.

[2] Sihem Bensedrine, « Ben Laden a voté pour Ben Ali », La Nouvelle Lettre de la FIDH, 59, septembre 2002.

[3] Vincent Geisser, Chronique politique « Tunisie » année 1999, Annuaire de l’Afrique du Nord, CNRS-Editions, 2000.

[4] Moncef Marzouki, Le mal arabe. Entre dictatures et intégrismes : la démocratie interdite, L’Harmattan, 2004.





Réagissez ! A vous la parole.

1.Posté par Marwenn le 07/12/2005 12:24 | Alerter
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M. Geisser,

Quelle serait alors et selon vous la solution au problème ? La dénonciation des pratiques de Ben Ali par la France, l'Europe ou l'Amérique ? Ou alors, le soulèvement du peuple Tunisien dans les rues de Tunis ?? Les risques seraient pourtant collatéraux : guerre régionale, civile ou même (allons loin) attaque occidentale et donc KO !

Le peuple Tunisien connait depuis 15 ans un éssor économique sans précédent, malheureusement taché par la dictature qu'il se cache eux-même. Et je crains que leur choix est déjà tout fait (à + de 90% de la population).

Cordialement,

ML

2.Posté par Mériem Chabbi le 07/12/2005 20:30 | Alerter
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Il est faux de parler de miracle économique tunisien , la Tunisie est un des pays les plus endettés du monde , la campagne se desertifie , le niveau de l'éducation est au plus bas , la pauvreté est à son zénith , la corruption , la spéculation , les détournements et la fuite des cerveaux sont des données évidentes et vérifiables.Ne parlons pas de la situation des libertés et des droits de l'homme....

3.Posté par Marwenn le 07/12/2005 21:47 | Alerter
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Qui parle de miracle ??? J'ai employé : ' éssor économique '!
Par ailleurs, Soeur Mériem ou sont tes chiffres pour parler de : "niveau de l'éducation au plus bas, pauvreté à son zénith, fuites des cerveaux" ??? Connaissant très bien ce pays, tes éléments me paraissent très loin de la réalité.
Salam

4.Posté par yassine le 08/12/2005 16:17 | Alerter
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L\'essor est bien là autant au point de vue économique que sur l\'education. Le modèle tunisien fonctionne plutôt bien comparé aux autres pays tunisiens. Je comprends votre interrogation malheuresement le changement ne passe que par les crises et je pense que la stabilité économique de la tunisie empêche cela.
Que choisir ? une stabilité économique ou une démocratie qui entrainera une certaine instablilité.
Je vous l\'avoue, je nesais pas.
Seul Dieu le sait

5.Posté par slim cherif le 21/08/2007 18:15 | Alerter
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ben ali sa famille et ses proches sont en train de detourner le maximun d'argent publique , la corruption de la famille regnante est a son paroxisme et gare a celui ou celle qui ose le denoncer , harcellement , persecution , torture ....tous les moyen sont bon pour les faire taire , on assiste a une veritable dilapidation organisé du pays , les principaux interessé sont : les familles Ben Ali , Trabelsi , Materi , Mabrouk , Zarrouk , Chiboub ...la colere du peuple gronde et .la chasse sera impitoyable ....

6.Posté par nader1er le 09/01/2008 19:21 | Alerter
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corruption+dictature+complaisance de l occident = BENAVIE

7.Posté par Kachim le 05/03/2008 13:53 | Alerter
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http://tunisie-harakati.mylivepage.com

Marwenn, j'ai du mal à croire que vous connaissez bien la Tunisie, je me demande même si vous y avez un jour était ????? La réalité de cette nation est catastrophique, on parle de liberté de la femme et des droits de la femme, surfez donc sur le site de madame Sameh Harakati ; on parle d'une évolution économique de la nation tunisienne ? le pays est criblé de dette, le peuple a du mal à trouver du travail et de quoi manger ! On parle de dictature, les gens vont en prison pour un "oui" ou pour un "non", alors pitié, revenait à la réalité et arrêtait de parler de chose dont vous ne connaissez rien. La Tunisie fonce vers son déclin à cause d'une mauvaise gestion général, il suffit de s'y rendre pour constater les dégâts occasionnées.

http://tunisie-harakati.mylivepage.com


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