Chroniques du Ramadan

Al-Hamdulilah : le premier verset de la sourate Fatiha analysé

Chroniques du Ramadan

Rédigé par | Samedi 30 Mars 2024 à 08:00



En langue arabe, le premier verset de Fatiha se dit « Al-Hamdulillah, Rabbil Alamina ». Une phrase si commune, si usuelle en milieu musulman, qu'on la connaît avant de savoir qu'elle vient du Coran. Sa locution « Al-Hamdulillah », la toute première du Coran, est entrée ainsi dans nos langues.

On l'écrit peu, mais on dit beaucoup « al-hamdulillah » dans le monde musulman, qu'il soit arabe ou non. La conversation en français, en anglais, wolof ou dioula est ponctuée de « al-hamdulillah » à n’en plus finir, avec chacun son accent, pour dire que tout va bien même si ce n'est pas vraiment le cas.

Al-Hamdulillah, l'expression coranique, la locution arabe, n'appartient plus à une langue. Son statut d'idiome le rend intraduisible, faute d'équivalent. Parole divine, tirée du Coran, elle garde un parfum de sacré, impossible à traduire en français. Donc on dit « al-hamdulillah » pour lui garder sa précision coranique que nous allons détailler. Chacun le dit avec son accent pour exprimer deux idées en une.

Les sergents chefs de la littérature exigent que le H soit aspiré, bien soufflé dans une expiration qui part du fond de la gorge pour faire « ha » comme dans « Fatiha », le « ha » du mot « hache ». Cela reste un travers de nos cours d'arabe. Le prof d'arabe est torturé quand on écorche une syllabe coranique. Parfois, une syllabe d'un mot arabe dont on ignore le sens, dans une langue qu'on ne parle pas.

La dictature du « Coran arabe » exige que le « la » final soit appuyé. Car la lettre L est double dans le mot « Allah ». Il ne se dit pas « alla » comme le verbe aller au passé simple. Il se dit « Al-la » qui vient de « Al + ilah » dont un effet de diphtongue fait disparaître le i pour faire « Allah ». La bonne prononciation de « al-hamdulillah » est une obsession pour certains amoureux du Coran.

Apprendre le Coran sans être Arabe, la prononciation est une difficulté. Le premier tiers du cours d'arabe explique que « l'arabe est une langue difficile à prononcer ». Le tiers suivant dit que l'arabe est une belle langue, une langue riche, etc. La notion du jour occupe enfin le dernier tiers du temps.

Glorification et gratitude s'associent pour faire du culte de Dieu l'issue directe et incontournable

Le mot hamd, selon le contexte, évoque la glorification, sinon la gratitude. Les deux en un, avec des conséquences ou des implicites qu’André Chouraqui exprime dans son commentaire du Coran quand il va à la racine arabe du mot : « La racine hamada, (…), signifie en arabe le désir amoureux, la convoitise d'une réalité désirable, le désir de trouver grâce, d'être suave. »

Glorifier, ici, c'est clamer la gloire, les qualités, les prestiges sous forme d'éloges et de compliments. Glorifier est le cœur de métier des djéli du Manding dans le Mali médiéval ; nos griots. Experts en mots excessifs, en apologies et autres panégyriques. De manière prosaïque, c'est l'idée qui vaut ici.

La glorification se fonde sur des faits réels que l'on célèbre sous l'angle du succès. Les lauriers sont chantés, les grades et les gloires déployés. Tout ce qui grandit et honore l'égérie est vanté pour être radieux et éclatant. Les qualités sont magnifiées, les talents exaltés. Al-Hamdulillah résume ce droit de Dieu à l'apologie. Il n'est plus puissant, Il est « le plus Puissant de tous les Puissants », etc.

La liste des 99 attributs de Dieu est d'un secours pour trouver l'inspiration dans la glorification. Les bienfaits de Dieu à l'humanité, à Ses envoyés, interviennent souvent dans la glorification pour dire que Dieu est sans limite, que Ses faits sont authentiques, sans comparaison possible. On use donc de superlatifs absolus pour rendre les qualificatifs dithyrambiques à souhait, le but étant de glorifier.

La gratitude est le second sens de hamd, signe que l'on reconnaît le bienfait de Dieu. Pour tout ce qu'Il a fait pour nous, on Lui dit « merci » tout simplement. Les remerciements vont à « Allah », un nom déjà connu dans la culture arabe comme « le Pourvoyeur » (Al ilah), l'Unique qui pourvoit sans être pourvu. Al Mahoudoudi, par exemple, défend « Al-ilah » comme « La Source de vie ».

« De la glorification et la reconnaissance découlent le respect et l'admiration » de manière naturelle. La conséquence est alors le dévouement jusqu'à la dévotion ou la propitiation. Cette vénération est ce qui légitime le mot « louange », en français, pour restituer l'intensité du hamd en arabe.

Dans « Al-Hamdulillah », glorification et gratitude s'associent pour faire du culte de Dieu l'issue directe et incontournable. Ainsi, dans la Tradition, l'orgueilleux est celui qui refuse de rendre gloire à Dieu. Et l'ingrat est celui qui méconnaît Ses bienfaits. Ces deux-là écorchent la « louange à Dieu ».

Le bonheur est possible ici-bas pour celui qui saisit « al-hamdulillah »

« Al-Hamdulillah » ouvre la sourate Fatiha avec autorité pour discriminer ceux qui acceptent l'idée d'un Dieu et les musulmans qui l'adorent. Car non seulement le musulman accepte l'idée de Dieu mais il dit aussi « al-hamdulillah » en lui rendant grâce et en le glorifiant ; c'est « Al-Hamdulillah ».

Accepter l'unicité de Dieu est une adhésion philosophique ; « un pas dans la bonne direction. Celui-là a fait ses ablutions », dit le Maître. Puis, en acceptant la louange à Dieu avec « al-hamdulillah », le fidèle passe à l'action et obéit à la loi, « al-islam », et devient « musulman ».

Dans cette approche, « Al-Hamdulillah » ouvre le bonheur à la vie d’ici-bas, la dounia. Car la dounia offre une succession d'épreuves. Le succès suit l'échec qui suit un succès qui suit un échec dans un cycle continu. La dounia est un lieu de rencontres et de séparations cycliques. Le trouble est sa caractéristique et l'instabilité la norme. C'est pourquoi le bonheur paraît parfois impossible dans la dounia. C'est un beau leurre.

Car le bonheur est possible dans la dounia pour celui qui saisit « al-hamdulillah ». Celui-là rend grâce à Dieu dans le succès comme l'échec. Il agit toujours de son mieux et confie le résultat à Dieu, prêt à l'accueillir, toujours avec « al-hamdulillah ». Car la vibration d’Al-Hamdulillah est la conscience que tout est sous contrôle de Dieu ; que seule Sa volonté se réalise à chaque instant sans discontinuer.

Le cœur qui vibre à « al-hamdulillah » ignore la jalousie. Il se réjouit de ses succès comme des succès d'autrui. Un poison pour l’ego. Ce « al-hamdulillah » apporte une lumière qui ne cohabite ni avec la haine ni avec la vengeance. La colère ne survit pas longtemps dans un cœur qui abrite le souvenir vivant d'Al-Hamdulillah. Lâcher prise, se contenter de ce que l'on a sans courir après autre chose.

Al-Hamdulillah, la porte d’entrée vers le retour à Dieu

On raconte l'histoire du Roi de passage qui propose au Maître : « Lequel de vos désirs puis-je vous aider à réaliser pour vous rendre heureux ? » Le Maître répond : « Rien. » Mais le Roi est généreux et il insiste. Le Maître finit se confier : « Mon seul désir aujourd'hui est de n'avoir aucun désir. » Telle est la clé qui ouvre la sourate Fatiha, « Al-Hamdulillah ». Rendre gloire à Dieu, Le remercier d'être celui qu'on est, d'avoir ce qu'on possède, pour ne compter que sur Lui et Sa miséricorde dont il est question plus loin au verset 2.

Première expression du Coran, « Al-Hamdulillah » est un code d'accès à la manière de mener sa vie humaine qui est d'être heureux. « Al-Hamdulillah » ouvre la voie du bonheur ici-bas. Une âme arrive en ce bas monde avec le souvenir, sinon des réminiscences, du bonheur qu'elle a connu au Paradis dans la « proximité de Dieu ». Ce bonheur est l'état de naissance appelé fitra, dont il se décale pour intégrer les codes de la dounia. Ce processus est la création de l'ego.

Dans cette approche, la mort est une épreuve initiatique de passage, une bénédiction divine. Elle est l'occasion nouvelle d'accéder au Paradis, « s'en retourner à Dieu », en mettant la dounia à profit. Et il a la guidance des prophètes ; le Coran en cette fin des temps. Il suffit d'y entrer par « al-hamdulillah ».

C'est pourquoi, quand le fidèle rencontre Dieu dans la prière, qu'il se tient en qiyam, bien ancré au sol, debout, tout tourné vers son seigneur et coupé de ses occupation pour célébrer l'office, quel que soit son niveau de culture et d'instruction, la première parole qu'il prononce est « al-hamdulillah » !

Que Dieu accepte notre jeûne. Qu'Il nous pardonne nos manquements. Que Sa gloire et Sa gratitude rythment nos pensées, nos paroles et nos actions. Paix et bénédictions sur le Prophète Muhammad – paix et bénédictions sur lui – et tous ceux qui l'aiment. Rendez-vous dans nos dou’as, à l'heure de l'iftar. Et la suite ici de l'analyse du verset 1 de la sourate Fatiha.

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Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de… En savoir plus sur cet auteur