Points de vue

Pegida : bienvenue au cœur de l’extrême droite européenne

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Mercredi 2 Novembre 2016 à 08:00



DRESDE. − Disons-le sans ambages : la première fois que j’ai pris mes billets pour cette ville d’Allemagne de l’Est, j’ai un peu flippé devant les nombreuses mises en garde de mes amis et de mes proches. Je vous mentirais si je vous disais que je n’avais pas pensé au mouvement Pegida en réservant mes billets.

Pegida, pour les néophytes, dans la famille « Galaxie des extrêmes droites en Europe », c’est ce mouvement né en Allemagne de l’Est, précisément à Dresde, et qui a fait du mythe de l’islamisation en Europe une réelle revendication politique. Pour de vrai.

Chaque lundi, ses membres (qui visiblement n’ont pas beaucoup d’autres passions) se retrouvent sur la place centrale de la vieille ville pour dire non à l’islamisation de l’Europe, non aux migrants, non à l’Islam tout court. Bref, ils disent non. Voilà leur combat.

Dans la tête de Pegida, comme de ses acolytes d’extrême droite à commencer par les nôtres, les français de souche et autres sites que je ne citerai à dessein pour accroitre leur popularité dangereusement élevée et qui se délectent allègrement de mes nombreux écrits au regard des nombreux articles qu’ils m’ont accordé (peace, les gars !), donc je disais dans la tête des Renaud Camus and co, les musulmans comme les martiens sont des envahisseurs qui n’ont une seule préoccupation : vivre ? non ; fuir la guerre ? non plus ; espérer un avenir meilleur ? tout faux.

Non, non, non. Les musulmans sont des agents du Grand Remplacement de l’Europe, devenue pour eux Eurabia. On soulignera le talent de leurs spécialistes en néologisme.

Comme pour les lecteurs de Les Protocoles des sages de Sion, livre de chevet de tous les antisémites européens au XXe siècle qui voyaient des juifs partout, en embuscade, prêts à ruiner l’Europe et son identité, les mouvements d’extrême droite du XXIe siècle voient derrière chaque musulman un agent de l’imposition de la shariah, du wahhabisme, de l’islam. Bien sûr, ils détestent l’Union européenne et ses technocrates, ils continuent de détester les juifs, même dans des pays où les communautés juives se sont rétrécies comme peau de chagrin.

Ce qu’il y a de sympathique avec les racistes/populistes/xénophobes, c’est que même quand l’objet de leur détestation n’existe pas ou plus ou si peu , ils parviennent toujours à se mobiliser, à haïr.

C’est le philosophe Sartre qui, dans ses écrits contre les préjugés et la question juive, disait : « Si le juif n’existait pas, l’antisémite l’aurait inventé. » Il ne croyait pas si bien dire. À Bratislava il y a quelques semaines, j’ai découvert la peur, le rejet de l’Islam sans les musulmans. Une énigme. J’ai beau essayé de comprendre, je vous assure, cela me dépasse. Alors que j’étais invitée par le Centre des droits de l’homme à la suite d’une conférence que j’avais donnée l’année précédente sur le même sujet (« Le fait musulman en Europe ») à Vilnius, j’ai appris que, sur 5,5 millions d’habitants, ce pays d’Europe centrale dont on entend si peu parler accueille moins de 4 000 habitants citoyens ou étrangers de confession musulmane. Je vous laisse faire le calcul ! Cela ne pèse pas lourd.

Pourtant, dans ce si petit pays, aujourd’hui à la tête de la présidence de l’Union européenne, le Premier ministre a fait de l’islam son objet de campagne. Les Slovaques ne s’y sont pas trompés en affligeant une défaite cinglante au pouvoir en place.

Arrivée à Dresde, je m’attendais à voir un skinhead en embuscade à tous les coins de rue. J’ai été étonnée de ce que j’ai découvert. Au premier abord, Dresde est une ville paisible située au bord de l’Elbe, avec sa vieille ville historique et ses monuments, détruite (puis reconstruite) par les bombardements massifs des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale puis, sur la rive droite, la nouvelle ville, plus jeune, peuplée de vélos et de restaurants végétariens et vegans.

Ce sont Mourad et Khaled qui m’ont servi de guides dans la ville, eux qui y habitent depuis deux ans. Tous les deux ont la trentaine, l’un est Érythréen, l’autre Syrien. L’un a quitté son pays pour rejoindre le Soudan comme réfugié politique fuyant un pouvoir militaire despotique ; l’autre a fui les bombardements que l’on connait à Alep.

Ils se sont retrouvés et connus dans un des nombreux centres d’accueil créés par les Länder allemands pour répondre à l’urgence de la crise migratoire. Leur lieu de vie pendant quelques mois était une école désaffectée et gérée par l’Ordre de Malte avec la municipalité. Des conditions de vie sommaires, des cours d’allemand et une aide sociale proposée. Ils ont très vite quitté ce lieu qu’ils ont décrit comme peuplés d’hommes seuls avec son lot d’addictions et de violences aussi.

Tous les deux, aujourd’hui, vivent dans la nouvelle ville en colocation dans une « House Project », habitat collectif tenu par des militants de gauche, qui sert de lieu de vie mais aussi d’accueil et propose des activités aux colocataires. Le communisme new age avec ses nouveaux codes de gauche altermondialiste.

C’est Mourad le Syrien qui m’initie aux lieux de sociabilité de cette jeunesse de Dresde, qui donne de son temps, qui use de ses talents pour ne pas donner raison à Pegida.

Il me raconte comment ses amis et contacts ont récolté la somme nécessaire pour qu’il puisse reprendre des cours d’allemand et acquérir une qualification. À la clé, un nouveau métier dans l’entreprise qui l’accueillait en tant que réfugié.

C’est lui aussi qui m’amène à la pièce de théâtre Roméo et Juliette en arabe et en allemand, jouée par des réfugiés et des Allemands.

C’est lui qui me parle de sa nouvelle vie. Et de ses nouveaux rêves.

À Dresde, je pensais trouver l’enfer, j’y ai entendu parler de rêves.

J’étais partie à Dresde pensant retrouver le fer de lance de l’extrême droite européenne. Effectivement, je l’ai trouvé. Les ratonnades des migrants sont une réalité pour les Syriens, les Soudanais ou les Érythréens qui se retrouvent seuls dans certains quartiers de la ville. C’est une réalité qu’il faut documenter.

De retour de Dresde, je suis rentrée avec mon autocollant « Refugees welcome, Bring your family » que je voyais un peu partout, dans les cafés, les écoles, les centres culturels.

Au même moment, c’est une autre affiche qui défrayait la chronique. Celle de Robert Ménard, ancienne figure de la liberté de la presse devenue pourfendeur de la gauche « bien-pensante » et coqueluche de l’extrême droite. Il y a des trajectoires comme cela qu’on n’explique difficilement. Bref, Ménard est maire d’une ville. Une ville qui n’accueillait pratiquement aucun migrant et a réussi à faire une affiche digne des envahisseurs, reprenant le thème de l’invasion, du grand remplacement. Toutes les antiennes de la fachosphère.

Au même moment, je découvrais que les sites politiques les plus fréquentés et lus étaient ceux des complotistes et racistes en tout genre. Entre celui qui est tenu par un phallocrate antisémite, conseiller de Marine Le Pen, et celui qui est tenu par des héritiers de la France collabo qui fichent toutes les têtes basanées et colorées qui osent s’exprimer sur l’avenir de notre pays, il y a de quoi s’inquiéter.

Pourtant leur succès tient à notre échec. Leur succès, c’est notre échec à faire entendre d’autres voix. À ne pas crier assez fort.

Aux vociférations hebdomadaires de Pegida, j’ai préféré les murmures de Mourad et de Khaled.
Aux cris d’orfraie de Ménard, j’ai préféré les applaudissements des citoyens inconnus de la région du Maçonnais qui ont accueilli la quelque centaine de migrants venus de Calais.

À chaque discours d’exclusion qui tourne en boucle sur nos ondes, je répondrai par les centaines de récits d’anonymes qui font de l’inclusion leur combat au quotidien.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.




Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les… En savoir plus sur cet auteur