Points de vue

Michel Sabbah, ancien patriarche latin de Jérusalem : « Il n'y a pas de différences entre les chrétiens palestiniens et les musulmans »

Par Laurent Grzybowski*

Rédigé par Laurent Grzybowski | Samedi 24 Avril 2010 à 21:37



Michel Sabbah, ancien patriarche latin de Jérusalem.
Jérusalem - Contrastant avec le pessimisme général qui entoure le conflit israélo-palestinien, l'ancien patriarche latin de Jérusalem de 77 ans, Michel Sabbah, veut toujours croire à la coexistence harmonieuse entre chrétiens et musulmans de Palestine. Il fait part de ses réflexions au journaliste Laurent Grzybowski.

Quelle est la situation des chrétiens de Palestine ?

Michel Sabbah : Elle est la même que pour tous les Arabes de Palestine. Chrétiens ou musulmans, nous faisons partie du même peuple et partageons la même culture et la même histoire. Un peuple qui est en conflit avec un autre peuple ; un peuple qui vit sous occupation militaire n'a pas besoin de compassion ; il a besoin de justice. Dans un contexte politique très tendu, nous essayons de faire face aux mêmes défis.

Qu'est-ce que cela signifie être chrétien ?

Michel Sabbah : C'est être dans une société, dans un monde que nous n'avons pas choisi mais qui nous a été donné. Notre vocation est donc d'être chrétien dans une société arabe majoritairement musulmane. C'est une situation que nous connaissons bien. Nous avons plusieurs siècles d'histoire derrière nous.

Pourtant, aujourd'hui, on parle de persécutions antichrétiennes...

Michel Sabbah : Des événements particuliers entre musulmans et chrétiens peuvent parfois prendre une dimension communautaire. Dans ce cas, il existe des médiateurs, des familles connues pour leur sagesse et leur autorité, capables de résoudre les conflits. Mais, je peux en témoigner, en Palestine, cela n'est jamais allé plus loin. Il n'y a jamais eu de massacres ou d'attentats terroristes contre des églises. Je n'ai pas non plus entendu parler de persécutions ouvertement antichrétiennes. Même à Gaza, les chrétiens sont protégés par le Hamas.

Est-ce la même chose en Irak ?

Michel Sabbah : Non, là-bas, les chrétiens sont victimes de violences et sont tués parce qu'ils sont chrétiens. Mais il s'agit de motivations politiques et non religieuses. Les extrémistes espèrent ainsi déstabiliser le pays. Beaucoup de sunnites et de chiites ont été tués pour les mêmes raisons. Il ne sert à rien d'accuser l'islam de tous les maux. Oeuvrer pour la paix et la justice en Irak, comme ailleurs, est le meilleur moyen d'éviter un exode massif des chrétiens d'Orient. A un problème politique, il faut trouver une solution politique.

Que répondez-vous à ceux qui défendent l'idée du « choc des civilisations » ?

Michel Sabbah : Il y a un choc mais il n'est ni religieux, ni culturel. Il est politique. L'Occident considère l'Orient et ceux qui y vivent, qu'ils soient chrétiens ou musulmans, comme étant de moindre importance. Tant qu'il y aura ce rapport entre dominants et dominés, nous n'échapperons pas à la spirale de la violence. Les origines du terrorisme mondial viennent de là.
L'Orient n'est pas libre de choisir son destin ; il est soumis à la domination occidentale. Le problème, ce n'est pas l'islam mais c'est la confrontation entre l'Orient et l'Occident. L'histoire de la colonisation a cédé la place à un autre type de colonisation, plus larvée mais non moins réelle.

L'expansion de l'islam ne vous fait-elle pas peur ?

Michel Sabbah : C'est un fantasme nourri par ceux qui ne comprennent pas l'Orient en général et l'islam en particulier. Tant que les Palestiniens se sentiront opprimés, tous les musulmans se sentiront solidaires envers eux et pourront entraîner des bouleversements à l'intérieur des sociétés dans lesquelles ils vivent. Il nous faut mettre fin à ce rapport du fort au faible entre l'Occident et le monde musulman et nous concentrer sur un enseignement positif en matière de citoyenneté et le respect de son prochain. Il nous faut développer une culture de coexistence engagée, apprendre à se connaître les uns les autres, à vivre et à agir ensemble en harmonie.


* Laurent Grzybowski est journaliste et écrivain. Première parution sur La Vie - 1er avril 2010.