Points de vue

Attentats de Paris : le pouvoir et la lucidité

Rédigé par Tidiane N’Diaye | Mardi 24 Novembre 2015 à 14:00



Les peuples sont souvent victimes du manque de lucidité, voire de l’incompétence de leurs dirigeants. Le drame de Paris est dû à des stratégies géopolitiques très complexes et souvent hasardeuses.

L’émergence d’un islamisme radical remonte à l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS. Encore en pleine guerre froide, les Occidentaux foncièrement anticommunistes, Américains en tête, ont encouragé et financé une guerre sainte, au lieu d’une simple résistance nationaliste contre les Russes. L’argument de combattre un ennemi mécréant et athée était plus pertinent que combattre un impérialiste, étonnant non ?

C’est ainsi que le jeu dangereux de la CIA a fabriqué des Ben Laden, Mollah Omar, etc. Après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, la coalition occidentale a chassé les Irakiens. Toutefois, George Bush père a eu la lucidité d’arrêter ses forces à Bassora, préférant laisser le peuple irakien lui-même se charger de son destin, face à la dictature de Saddam. Mais lors de ce conflit, l’Arabie Saoudite − à la place d’un simple lieu de transit provisoire − a permis l’installation de bases américaines sur des Lieux saints jusque-là interdits à des non-musulmans.

Alors, retour de bâton, cet acte blasphématoire a scandalisé et remis sur le pied de guerre les jihadistes (endormis) de Ben Laden, ex-création de la CIA, contre leurs « sponsors » d’hier. Ce manque de lucidité se terminera sur les deux tours de Manhattan.

En outre, tandis que Bush père n’a pas voulu inverser l’ordre sociopolitique de l’Irak en renversant Saddam Hussein, son cow-boy de fils − qui voulait aussi sa petite guéguerre, son petit jouet, dans une « stratégie du chaos » −, entourés de gourous ultralibéraux qui prêchaient toujours on ne sait quelle sorte de croisades contre un imaginaire « axe du mal », fut moins lucide.

C’est l’erreur de ce crétin − ou encore manque de lucidité − que paie la France aujourd’hui. Car son conflit fallacieux contre l’Irak et le renversement du régime tenu depuis toujours par les sunnites ont inversé le rapport de force, en mettant au pouvoir les chiites majoritaires et revanchards. Cela a débouché sur la résistance sunnite de l’organisation de l’État islamique (Daesh), désireuse de créer son propre espace, à cheval sur l’Irak et la Syrie. Alors que Saddam Hussein aussi dictatorial que fut son régime, celui-ci était laïque et annihilait totalement toute forme d’intégrisme religieux.

Les Américains enfin conscients de leurs responsabilités et du caractère inachevé de leur intervention dans cette situation ont décidé des frappes contre Daesh. Et là nous arrivons au cœur de ce qui a frappé Paris le 13 novembre. Car si Chirac avait refusé de suivre Bush fils dans sa croisade injustifiée, Hollande n'a pas eu la même attitude, il a suivi les Américains dans cette aventure de frappes en Irak et en Syrie. Triste à dire, mais rien d’étonnant que les combattants de Daesh décident de le lui faire payer, en portant la guerre sur son propre territoire, plus vulnérable que les États-Unis.

Quels que soient les tâtonnements de dirigeants et de leurs médiocres conseillers, l’incompétence, la motivation et les actes criminels des uns et des autres, l’éthique et la morale commandent de s’incliner avant tout, devant l’abomination de ce drame de victimes parisiennes, de la détresse de ces femmes et de ces hommes, dont la vie a basculé sans retour dans l’horreur et la désolation.

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Tidiane N’Diaye est anthropologue. Parmi ses ouvrages parus : Les Falachas, Nègres errants du peuple juif (Gallimard, 2004), Le Génocide voilé (Gallimard, 2008) ; Par-delà les ténèbres blanches (Gallimard, 2010) ; Le Jaune et le Noir (Gallimard, 2013).