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Points de vue

Que dit la presse arabe sur Daesh ?

Rédigé par Nayla Haddad | Mercredi 28 Janvier 2015 à 06:05

           


Que dit la presse arabe sur Daesh ?
Les médias arabes consacrent de nombreux articles à Daesh (Dawlat al-Islamiyah f’al-Iraq wa Bilad al-Sham : l’État islamique en Irak et au Levant). Ils adoptent dans les grandes lignes une position commune.

Sur le plan religieux, ils condamnent les pratiques contraires à l’islam et l’idéologie takfiriste (fondamentalisme religieux visant à excommunier toute personne, même musulmane qui ne partagerait pas les mêmes convictions sur l’islam). Sur le plan géopolitique, cette presse dénonce la modification opérée par Daesh des frontières établies par les accords Sykes-Picot de 1916 et dont le seul bénéficiaire serait l’ÉEtat d’Israël. Enfin, Daesh est accusé de nourrir l’islamophobie grandissante en Occident. L’urgence de l’éradiquer par une lutte armée, spirituelle et intellectuelle rallie les médias arabes.

Les inquiétudes face à Daesh les fédèrent. Mais ils restent tributaires de leurs origines et des affrontements idéologiques entre deux alliances régionales : l’axe saoudien et libanais (les courants sunnites de Hariri et de la droite chrétienne, Forces libanaises et Kataeb) rejoint par le Qatar et les Émirats Arabes Unis et l’axe syro-iranien et le Hezbollah libanais chiite ainsi que certains partis de gauche.

La couverture médiatique de Daesh diffère selon les États arabes. Le considérant au départ comme un enjeu irakien et syrien, la presse jordanienne n’a réagi massivement que lors des événements de Mossoul de l’été 2014 et la presse saoudienne qui n’entrevoyait dans un premier temps qu’une révolte sunnite contre le régime irakien d’Al Maliki s’est ravisée. Cette première lecture des événements lui valut une critique cinglante de la presse de gauche libanaise.

Cette bipolarité entraîne une guerre médiatique sur deux points essentiels : la légitimité des moyens de lutte contre Daesh et son origine.

Selon les quotidiens saoudiens Asharq el Awsat et libanais El Mustaqbal, Daesh trouve son origine dans l’échec politique des régimes syrien et irakien, le premier ayant fait la guerre à son propre peuple, le second ayant promu la division entre sunnites et chiites. L’instabilité chronique sévissant et les revendications légitimes insatisfaites ont créé un environnement propice à l’incubation de l’idéologie haineuse de Daesh. Asharq el Awsat affirme que le régime d’Al Assad brandit le danger de Daesh pour se positionner en victime du terrorisme islamiste.

À l’opposé, les journaux syriens Tishrine et Al Watan (pro-régime) et les libanais Assafir (gauche) et Al Akhbar (Hezbollah) affirment que Daesh est une création américaine née dans les pays du Golfe, financée par l’Arabie Saoudite et soutenue par la Turquie. Son but est de dissiper l’attention du conflit israélo-palestinien, d’accélérer le projet fédéraliste au Moyen-Orient, d’affaiblir les armées irakienne et syrienne, de menacer l’Iran et le Hezbollah.

De nombreuses théories du complot gravitent sur l’origine de Daesh : le quotidien égyptien Al Ahram titre en août 2014 qu’Hillary Clinton affirme dans son livre Hard Choices que Daesh est un produit de l’administration américaine ; en fait, elle n’a jamais écrit cela. Cette théorie est relayée par les presses tunisienne, palestinienne, jordanienne, libanaise.

Autre point de désaccord entre médias arabes : le bien-fondé de la coalition internationale menée par les États-Unis. Bien que lui étant largement favorable, Asharq el Awsat et Al Hayat, saoudiens, déplorent le retard à se mobiliser contre Daesh et préconisent d’éviter toute coopération militaire avec le régime d’Al Assad. Imputant aux politiques iranienne, irakienne et syrienne l’origine de Daesh et la guerre fratricide entre sunnites et chiites, les affrontements dans la région ne cesseraient qu’avec le renversement de ces régimes.

À l’inverse, hostiles au départ à toute intervention étrangère − elle ne serait qu’un leurre pour dominer la région −, les journaux syriens Tishrine et El Watan soutiennent que seuls « l’armée, le peuple et le Guide syriens » mènent une résistance face à Daesh et au « projet israélo-américain », avant d’infléchir leur position et d’ériger ponctuellement le régime syrien en allié indispensable des États-Unis.

Quant aux journaux libanais Assafir et Al Akhbar, ils affirment que la coalition armée contre Daesh est vaine si des changements drastiques ne s’opèrent pas dans l’environnement saoudien. Ils font l’éloge de l’intervention du Hezbollah en Syrie, sans lequel Daesh aurait réalisé son califat également au Liban et requalifient la nature du conflit : il n’est pas sunnite-chiite mais il est une résistance face aux projets israélo-américains et de Daesh dans la région.

Au final, les diverses presses arabes constatent qu’elles ont perdu la guerre médiatique contre Daesh en raison du nombre grandissant de ses adeptes.

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Première parution de cet article dans La Lettre de Justice & Paix, n° 197, décembre 2014.
Nayla Haddad, avocate libanaise, est membre de Justice et Paix.





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