Religions

Aïd el-Kébir 2014 : les musulmans de France, entre sacrifice chez soi et don ailleurs

Aïd al-Adha 2014

Rédigé par | Vendredi 26 Septembre 2014 à 11:00

Entre l'obligatoire et le surérogatoire, les musulmans sont sensés choisir le premier sur le deuxième. Pourquoi ne pas dédier cette année l'argent destiné au sacrifice d'une bête aux populations en souffrance ? Palestine, Syrie, Somalie, Centrafrique, Birmanie... les appels en ce sens se multiplient et chacun y va de ses priorités.



« Nul parmi vous ne sera (totalement) croyant tant qu’il ne souhaitera pas pour son frère ce qu’il souhaite pour sa personne. » C’est sur ce récit prophétique (hadith) que plusieurs responsables musulmans de France, dont l’ancien président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) Ahmed Jaballah et le recteur de la mosquée parisienne Addawa Larbi Kechat, ont appelé leurs coreligionnaires à marquer leur solidarité pour le peuple palestinien, et spécifiquement celui à Gaza frappée par 50 jours d’un conflit sanglant contre Israël à l’occasion de l’Aïd al-Adha 2014.

« Face à ce malheur qui s’est abattu sur les habitants de Gaza, il ne nous est pas possible de rester comme des spectateurs, non concernés par ce qui se passe. Au contraire, il est maintenant obligatoire à tout musulman de tendre la main à ses frères palestiniens », lancent-t-ils dans un appel diffusé sur Saphirnews.

L'obligation de secourir les démunis, une dérogation valable

Entre « le sacrifice surérogatoire d’une bête et l’obligation de secourir nos frères » et « en vertu de ce qui est reconnu en droit des priorités, à savoir que l’obligation passe avant le surérogatoire », ils appellent les musulmans de France « à destiner cette année le prix de la bête du sacrifice (soit 200€) à la reconstruction de Gaza, afin d’offrir un toit à celui qui n’en a pas et soigner celui qui attend un traitement » à travers des associations telles le Secours islamique France ou le Comité de Bienfaisance et de Secours aux Palestiniens (CBSP).

« Celui qui a les moyens de remplir à la fois l’obligation d’aider les Gazaouis avec 200€ et la très forte recommandation du sacrifice de procéder aux deux », indiquent les signataires de l’appel, avant d’inciter les responsables des mosquées et associations « à parler avec insistance aux fidèles, dans leurs sermons et prêches du vendredi, de l’obligation d’aider leurs frères à Gaza (avec 200€), qui doit passer avant la recommandation du sacrifice cette année, voire de son annulation cette année ».

Pour appuyer cet appel, un collectif nouvellement crée à Vigneux-sur-Seine (Essone), le Collectif Aide Sans Frontières (CASF), a vu le jour afin de susciter à terme auprès des musulmans « une dynamique d'entraide et de soutien aux populations opprimées dans le monde ». « Sacrifions ailleurs, un acte parfois bien meilleur ! », tel est le slogan de leur action.

Un appel entendu...

Cet appel, de nombreux musulmans de France devraient y être attentifs lors de l'Aïd el-Kébir cette année, en grande partie en raison des difficultés techniques et financières que posent le sacrifice des moutons en France et son coût parfois exorbitant pour les familles. Un constat qui a poussé notamment le Conseil régional du culte musulman (CRCM) Languedoc-Roussillon à appeler au boycott de la célébration.

Cependant, Gaza n’est pas la seule région où l’aide humanitaire est aujourd’hui nécessaire. Sur les mêmes bases théologiques que les signataires de l’appel parrainé par l’UOIF, d’autres en appellent à donner l’argent de leur sacrifice à des populations qui ont tout autant besoin d’une expression de la fraternité musulmane.

...qui ne vaut pas que pour Gaza

« Je n’enverrai pas l’argent de "mon mouton" à Gaza. Pour une raison simple : il y a énormément de structures associatives et d’organisations humanitaires qui vont envoyer dons, matériel médical et humanitaire », estime Nabil Ennasri, le président du Collectif des musulmans de France (CMF), dans un billet sur son site cette semaine. « Nos sacrifices de cette année devraient aller dans deux directions : Syrie et Corne de l’Afrique », l'une ravagée par la guerre, l'autre par la famine, juge-t-il. En Syrie, l'association Pour une Syrie Libre a lancé sa campagne de l'Aïd consistant à offrir des moutons à 180€ l'unité.

D'autres associations appellent aussi à consacrer l'argent de leur sacrifice à des populations musulmanes en Birmanie ou en Centrafrique, dans l'extrême précarité. C'est le cas de Dignité International qui appelle à venir en aide aux réfugiés centrafricains au Tchad et aux Tchadiens qui ont fui la Centrafrique. « Durant ce dernier mois de Ramadan, l’actualité a bouleversé le planning de nombreuses ONG. Avec le bombardement de Gaza et le nombre élevé de victimes (2 200 morts), l’attention des donateurs s’est focalisée sur la Palestine. (...) Du coup, des pays comme la Centrafrique ou le sort des Rohingyas, ont été relégués au second plan », nous explicite-t-on.

Quelque soit le choix des musulmans en France, l'Aïd el-Kébir 2014 sera résolument marquée par une hausse de la pratique du don ou du sacrifice par procuration à des fins d'une solidarité intercommunautaire plus affirmée à l'endroit de régions traversées par de graves crises humanitaires. Cette pratique ne saura cependant jamais remplacer la tradition du sacrifice chez soi qui, fortement recommandée en islam, se doit aussi de ne pas se perdre auprès de millions de familles musulmanes.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur