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Monde

Ukraine : contre le tri des réfugiés, une association toulousaine se mobilise pour « faire respecter le droit »

Rédigé par Emir Kaplan | Lundi 21 Mars 2022 à 17:05

           

Les discriminations sévissent aux frontières avec l’Ukraine. Alors que la guerre y fait rage, des images et des témoignages faisant état de personnes d’origine extra-européenne refoulées à la frontière polono-ukrainienne par les autorités locales ont choqué. Tandis que l’Association française des talents juridiques se mobilise, le président de l’association des étudiants sénégalais d’Ukraine, Ibrahima Badiane, qui a vécu les premières heures du conflit, témoigne.



Contre le tri discriminatoire des réfugiés aux frontières avec l’Ukraine, une association toulousaine s’est mobilisée en Pologne pour « faire respecter le droit ». © Flickr / Matt Brown
Contre le tri discriminatoire des réfugiés aux frontières avec l’Ukraine, une association toulousaine s’est mobilisée en Pologne pour « faire respecter le droit ». © Flickr / Matt Brown
L’Association française des talents juridiques (AFTJ) ne pouvait pas rester insensible aux images des réfugiés d’origine extra-européenne refoulés aux frontières ukrainiennes. Créée en 2020, cette association toulousaine, qui apporte une aide juridique à toutes les personnes dans le besoin en France, a ainsi pris l’initiative d’envoyer quatre juristes à Stryï et Przemysl, à la frontière polono-ukrainienne, pour venir en aide aux personnes réfugiées, comme l’explique auprès de Saphirnews Rachid Abardi, le co-fondateur de l’AFTJ.

« On s’est rendus sur place pour faire respecter les droits des réfugiés auprès des douaniers et des consulats car on a eu vent que des personnes d’origine extra-européenne avaient du mal à passer la frontière. Or, aucun réfugié ne peut être refoulé conformément à l’article 33 de la Convention de Genève », indique l’avocat. En effet, cet article de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et ratifiée par 145 pays stipule qu’« aucun des États contractant n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ».

Un tri racial complètement « illégal »

La Pologne comme l’Ukraine ont toutes les deux ratifié cette Convention, respectivement en septembre 1991 et en juin 2002. Toutefois, comme le souligne Rachid Abardi, cette signature « n’est pas toujours respectée dans les situations de conflit ». Sur place, « les autorités locales, qu’elles soient polonaises ou ukrainiennes, privilégient les ressortissants qui ont déjà la nationalité ukrainienne mais il y a aussi des critères de couleur de peau (pour passer la frontière). Ce tri se fait de manière tout à fait illégale ».

Ainsi, l’AFTJ s’est rendue sur le terrain pour s’assurer de « faire respecter les droits des personnes auprès des douaniers et de leurs consulats respectifs ». Au total, depuis le début de la crise ukrainienne fin février, sa petite association est venue en aide à 16 personnes, trois familles et sept étudiants, pour un coût total de 6 000 euros, « pris sur nos deniers personnels », précise le trésorier.

Des conditions particulièrement difficiles pour les non-Blancs

Ibrahima Badiane, président de l’Association des étudiants sénégalais d’Ukraine, vivait à Kiev depuis 2013 jusqu’au début du conflit le 24 février dernier. « On a été tellement surpris quand Poutine a balancé des bombes sur l’Ukraine. Nous nous sommes réfugiés dans les stations de métro pour se cacher. On voyait des familles, des vieux. Un jeune homme essayait de convaincre une personne plus âgée de partir mais elle ne voulait pas », nous raconte-t-il aujourd’hui depuis la Pologne.

Ce professeur à l’Université, ancien étudiant en marketing, a réussi à s’y rendre sans encombre, même s’il estime avoir eu de la chance car il s’est rendu jusqu’à Ternopil « où il y a moins de monde à la frontière ». Mais des compatriotes sénégalais, une centaine au total et avec qui il est en relation, lui ont rapporté que la situation était toute autre, notamment pour ceux qui viennent de Lviv, située à 70 km de la frontière polonaise. « Il y avait une file pour les Ukrainiens et une autre pour les étrangers », lui ont-ils raconté. L’homme fait état de conditions particulièrement difficiles vécues par les personnes non-blanches car « il fait très froid et il n’y a pas à manger. Elles pouvaient rester deux à trois jours bloquées au niveau de la frontière. Certains des étudiants congolais se battaient », assure-t-il.

La principale difficulté qui se pose, fait remarquer Rachid Abardi, est que « l’effet de panique a poussé les réfugiés à quitter précipitamment le pays sans prendre leurs papiers, leurs diplômes ou leurs documents de voyage ». Un problème qui est décuplé dès lors que les personnes sont assimilées à des étrangers et qu'elle souhaitent non pas être rapatriées mais poursuivre leur vie en Europe. « Même avec des laisser-passer de leurs consulats, ils avaient quand même des difficultés à passer », déplore-t-il. Ceux qui auraient pu attester de leur présence légale en Ukraine ont été traités comme des migrants illégaux. « C’est le fait d’être étrangers ou supposés comme tels qui posent visiblement problème aux autorités locales. »

Un appel « aux bonnes volontés » lancé

Après trois semaines de conflit, la situation semble s’être améliorée pour la plupart des Sénégalais dont Ibrahima Badiane a connaissance, même s’il fait état de réfugiés d’origine extra-européenne « bloqués à Soumy, au nord-est de l’Ukraine », dit-il. Le professeur parvient à vivre en Pologne avec l’aide de l’ambassade du Sénégal, qui « prend en charge sa nourriture et son logement ».

Comment envisage-t-il son avenir ? L’issue du conflit étant incertaine, il ne sait pas s’il pourra un jour retourner à Kiev, une capitale où il appréciait sa vie et où le racisme anti-Noirs n’était « pas plus présent qu’ailleurs » en Europe. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), dix millions de personnes ont fui leurs foyers.

L’AFTJ, souligne Rachid Abardi, n’a « pas la portée de grandes associations comme Human Rights Watch et Amnesty International pour aider des milliers de personnes. Nous aimerions faire plus mais nous sommes limités par notre petit nombre ». Et de faibles moyens. Parce que l’absence d’assistance juridique « laisse la liberté aux abus et à l’impunité », il lance « un appel à toutes les bonnes volontés, dans le domaine juridique ou humanitaire pour nous aider à faire respecter le droit, apporter leur pierre à l’édifice et soulager quelques peines ».

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