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Société

Abayas à l'école : les limites juridiques d'une interdiction générale qui dérange

Rédigé par | Mercredi 30 Août 2023 à 18:00

           

L'interdiction annoncée des abayas dès cette rentrée a éclipsé du débat public sur l'école des priorités autrement plus importantes. Elle pose pourtant question sur le plan juridique et vient ancrer la laïcité dans une définition toujours plus excluante auprès des jeunes, alertent des spécialistes.



Abayas à l'école : les limites juridiques d'une interdiction générale qui dérange
Les abayas pour les femmes de même que les qamis pour les hommes sont dans le viseur du gouvernement. Ces tenues amples, décrétées aujourd'hui comme « religieuses » par le ministère de l'Education nationale bien que les responsables musulmans le contestent vivement, vont être interdites à l'école, a annoncé, dimanche 27 août, Gabriel Attal. Voulant faire preuve de fermeté face aux « atteintes à la laïcité », le successeur de Pap Ndiaye s'apprête à faire tomber les abayas sous le coup de la loi de 2004, au même titre que le voile et la kippa en tant que signes ostensibles d'appartenance religieuse.

Les chefs d'établissements ont globalement bien accueilli l'annonce. Et pour cause : ils n'auront plus à tergiverser. Il en serait donc fini du pouvoir d'appréciation délégué à la direction scolaire face aux élèves concernés, alors même qu'une interdiction générale pose des limites juridiques que des spécialistes sont nombreux à souligner.

C'est le cas de la Vigie de la laïcité, qui sera « attentive » à la circulaire précisant prochainement l'interdiction et la définition donnée à l'abaya.* « Seuls des critères objectifs définissant une tenue ne pouvant factuellement pas être communément porté-es par des élèves en dehors de toute signification religieuse pourraient soutenir une telle interdiction sans s'opposer au principe de laïcité et à la loi du 15 mars 2004 », appuie-t-elle.

Dire non à une nouvelle « police du vêtement »

« Lorsque des accessoires qui peuvent être communément porté-es par des élèves en dehors de toute signification religieuse sont interdits, ils ne peuvent l'être que lorsque le comportement des élèves manifeste ostensiblement une appartenance religieuse, rappelle l'association. Ainsi, un-e élève qui porte systématiquement un couvre-chef pour couvrir ses cheveux et remplacer un voile ou un turban peut être sanctionné-e au titre de la loi de 2004. De même, le port d'une robe couvrante que certain-es qualifieraient d'abaya peut être interdit s'il est systématique et s'oppose, par exemple, au port d'une tenue adaptée en éducation physique et sportive ou en travaux pratiques. Il en est de même si des propos marquant une appartenance religieuse accompagnent ce port de tenue. »

« Une interdiction générale, sans prise en compte d'un comportement marquant une appartenance religieuse, de toute robe couvrante pouvant être communément porté-es par des élèves en dehors de toute signification religieuse renverrait à une police du vêtement parfaitement contre-productive, suscitant les provocations d'élèves et entraînant davantage de replis en réaction », martèle la Vigie de la laïcité, qui précise que « la façon la plus efficace de lutter contre tout repli communautaire réside dans le renforcement urgent de la mixité socio-culturelle à l'école ».

Vers une incompréhension plus forte de la laïcité par la jeunesse

Le potentiel arbitraire et discriminatoire d'une interdiction générale des abayas est aussi gros que réel. Elle ouvre bel et bien la voie au délit de faciès, ce que ne manque pas de souligner, à leur façon, des élus de gauche qui se déclarent prêts à attaquer la disposition devant le Conseil d'Etat.

Le risque juridique, Pap Ndiaye ne l'ignorait pas non plus du temps où il fut locataire de la rue Grenelle. C'est pourquoi il n'avait pas pris l'initiative de prohiber ces tenues à l'entrée des établissements. Il avait choisi de publier en novembre 2022 une circulaire privilégiant notamment l'engagement d'un dialogue avec les élèves concernés et leurs parents face auxdites atteintes à la laïcité. Car c'est bien de cette façon que se règle aujourd'hui l'immense majorité des problèmes rapportés comme tels par l'institution scolaire.

En annonçant l'interdiction des abayas, « il est mis fin aux incertitudes mais le périmètre établi en 2004 se trouve de nouveau élargie par décision du prince. Et une autre tenue risque de ne pas tarder pas à devenir problématique ! », tance dans une tribune sur Mediapart l'historien et spécialiste de la laïcité, Jean Baubérot. « Remarquons que, désormais, c’est le ministre de l’Education nationale de la République laïque qui indique ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas. Drôle de séparation ! »

Par cette nouvelle affaire, il s'inquiète surtout de voir grandir l'incompréhension de ce qu'est la laïcité parmi les jeunes et d'entretenir une image encore plus dégradée de ce principe dont il faut réaffirmer haut et fort qu'il est avant tout fondé sur la liberté de conscience de toutes et de tous.

« La laïcité, c’est d’abord respecter l’autre, et être respecté par l’autre. Des profs tentent de le dire, bien sûr, mais leur enseignement se trouve complètement brouillé par le fait qu’institutionnellement la notion imprécise, mouvante et trop large d’"atteintes à la laïcité", et sa focalisation sur l’interdiction de certaines tenues vestimentaires, prédomine sur la laïcité elle-même et en obscurcit complètement le sens, note Jean Baubérot. Malgré ces admirables profs, l’école est en train de fabriquer une génération d’individus qui croiront être contre la laïcité, simplement parce qu’on leur en aura présenté une version tronquée et déformée. Quel gâchis ! »



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur



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