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Revenus du Front

Rédigé par Julien Barlan | Mardi 6 Mai 2014 à 20:51



Revenus du Front raconte le parcours de deux militants frontistes, dont la grandeur des espérances induites par les discours séduisants de Marine Le Pen n’eut d’égale que la profonde désillusion face aux réalités constitutives du parti d’extrême droite.

Le « nouveau » FN

Nadia et Thierry Portheault, les deux protagonistes de l’ouvrage, sont représentatifs de ce qui constitue la nouvelle base électorale du Front national.

La première, en partie d’origine Maghrébine, a manifesté contre Jean-Marie Le Pen en 2002, contre le CPE en 2006 et a participé à des réunions CGT. Ses familles maternelle et paternelle ne s’entendant pas, Nadia a très tôt développé un rejet de la division. Comble du paradoxe et de l’inefficacité des politiques actuelles, Nadia se voit contrainte de former au travail une personne embauchée en emploi aidé avant d’être elle-même mise à la porte. Ce sera, pour elle, l’événement de trop.

Thierry, quant à lui, a travaillé en Afrique. Militant au RPR, il se dit « profondément gaulliste ». Aujourd’hui chauffeur routier, il voit le communautarisme religieux s’étendre au monde de la route, et subit « tous les jours les effets de l’Europe et de la mondialisation » lorsque « des chauffeurs polonais siphonnent [son] essence ». Thierry est un vrai gaulliste, il est pour l’Europe, mais « pas celle-là ».

Déçus par un système dans lequel le communautarisme s’impose au travail, où les filles doivent faire attention à la taille de leur jupe à l’école républicaine « pour ne pas choquer certaines communautés », révoltés par « l’affaire du pain au chocolat niée par la gauche alors que [le problème] existe [bel et bien] », Nadia et Thierry sont aussi enragés contre un Etat dont les policiers ordonnent de ranger les drapeaux français lors de la Manif pour tous. Profondément déçus par la droite et par Nicolas Sarkozy, dégoûtés par le gouvernement socialiste, c’est vers le FN qu’ils se sont tournés, sincèrement convaincus par le discours « antisystème, social et proche du peuple » de Marine Le Pen.

Le parti antisystème

Ces raisons poussent le couple à devenir des militants actifs du Front national en Haute-Garonne, historiquement terre de gauche. Avec une force de conviction « patriote », ils collent des affichent, participent à des réunions, tractent sur les marchés… Son efficacité propulse Nadia en tête de liste à Saint-Alban pour les élections municipales de 2014.

Mais rapidement les choses se dégradent : le double discours vis-à-vis des identitaires, les blagues racistes et homophobes à répétition, les propos nauséabonds se succèdent. Souvent, le discours de façade cède lors d’apéritifs arrosés, ou un militant éméché propose d’installer une guillotine sur la place publique pour exécuter « les homos, les Juifs, les Arabes et les traites », se demandant dans quel ordre procéder. Un autre militant se vante d’avoir dû se faire enlever son tatouage nazi et clame que les « Arabes, mêmes croisés avec un Blanc, sont bons pour le four ». L’horreur la plus totale, sous un vernis peu tenace.

Finalement, ce qui aura raison de l’engagement de Nadia et de Thierry, c’est la dichotomie entre le discours de dédiabolisation de Marine Le Pen (« il n’y a pas de racistes au FN »), et l’absence de réaction des dirigeants face au dérapage de certains militants. Comme le résume Thierry, « faut-il croire le discours officiel du FN ou sa pratique ? ». Les lettres envoyées pour signaler ces comportements abjectes restant sans réponse, ils décident de rendre leur carte.

Monsieur et Madame Tout-Le-Monde

Ecrit entièrement à la première personne, alternant les chapitres « Nadia » et les chapitres « Thierry », ce choix littéraire permet de retranscrire fidèlement la pensée des auteurs. Un peu comme dans un roman de Zola, la première moitié de l’ouvrage est teintée d’optimisme, retraçant le passé des personnages et leur enthousiasme pour le discours de Marine Le Pen qu’ils jugent « rassembleur, laïc et opposé au communautarisme ». Puis, dans la seconde partie, le désenchantement s’empare des deux protagonistes.

Un tel style permet aussi d’insister sur leur condition sociale modeste, finalement représentative du « Français moyen », ciblé par le FN. Les écarts grammaticaux sont nombreux, ce qui renforce ce sentiment du « parler vrai ». On peut notamment y lire des entorses littéraires comment « à peine j’ai terminé », « Sarkozy, il a dit », « Marine c’est la fille à son père » ou encore « soit disant qu’il a hérité ». Enfin, la candeur des auteurs s’exprime régulièrement par l’emploi de points de suspension ou des phrases comme « par la suite, j’ai compris ». On la retrouve encore lorsque Thierry se dit désormais convaincu que si des policiers lui ont confisqué son drapeau français lors de la Manif pour tous, c’était « pour le protéger ».

Revenus du Front est un ouvrage à charge, anti-FN, que les auteurs considèrent désormais comme un « ennemi ». Marine Le Pen en changeant le discours du FN, tente d’en faire un parti de gouvernement et non juste d’opposition. Le Front national se veut maintenant force de proposition et « rassembleur ». Mais on ne change pas la base militante comme on change un discours … Les nostalgiques du nazisme ou des croisades adhérant au parti d’extrême droit sont là pour le rappeler.

La responsabilité du « système »

L’histoire de Nadia et Thierry est une représentation du contexte politique actuel. Déçus du sarkozysme, jugeant Hollande « monotone », ils illustrent parfaitement le désenchantement qui gagne une grande partie des Français.

Un tel ouvrage a l’immense mérite d’exprimer une mise en garde citoyenne et de rappeler à nos politiques l’urgente nécessité de dépasser les discours d’un bipartisme manichéen. Sans cette prise de conscience, seul le Front national apparaîtra – faussement, certes – comme la puissance politique capable de briser la traditionnelle alternative devenue inefficace, voire nuisible.

Nadia et Thierry Portheault, Revenus du Front, Grasset, mars 2014, 144 p., 12 €.