Politique

Municipales : le vote musulman, la conquête par l'abstention pour l’UMP

Rédigé par Maria Magassa-Konaté et Hanan Ben Rhouma | Jeudi 6 Mars 2014 à 06:05

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a renforcé le désamour des musulmans envers l’UMP. Mais deux ans après l'alternance et face au sentiment de déception générale à charge contre les socialistes, la droite veut tirer profit de la situation pour attirer vers elle un électorat traditionnellement ancré à gauche de l’échiquier politique. Ou du moins les pousser à s'écarter de la gauche et, à ce jeu, l'UMP ne manque pas d'idées pour parvenir à ses fins.



Nicolas Sarkozy et son clan avaient fait baver les musulmans lors de son quinquennat, marqué par des débats à répétition qui ont défiguré l'image de l'islam et de ses fidèles. Alors, quand est arrivé mai 2012, une large majorité de musulmans – 86 % selon un sondage Ifop – avaient apporté leur voix à François Hollande lors du second tour de l'élection présidentielle. Bénéficiant du vote sanction plus que du vote d'adhésion, le candidat socialiste a accédé aux plus hautes fonctions de l'Etat.

Le plébiscite des musulmans, l’illustration d’une population traditionnellement ancrée à gauche qui avait promis « le changement ». Il n'en est rien. Une bonne partie de cet électorat a vite déchanté. Loin d’être acquis au PS, il est déçu par la première moitié du quinquennat de celui qu’il a porté à l’Elysée en 2012. En embuscade, à quelques semaines des élections municipales, l’UMP de Jean-François Copé en profite pour tenter d’attirer dans ses filets des électeurs.

« Discours de vérité » de l’UMP face aux musulmans

« L'UMP tient un discours de vérité à nos compatriotes de confession musulmane, qui peuvent être en phase avec les valeurs que je propose : la liberté économique, l'autorité de l'Etat et l'égalité des chances », a assuré Jean-François Copé au Monde, en février dernier. « Nos compatriotes de confession musulmane prennent conscience que seule une politique de droite moderne peut faciliter leur intégration, car nous sommes intraitables face à l'intégrisme, nous sommes très fermes en matière de sécurité, nous prônons la liberté d'entreprendre et non le collectivisme comme le propose la gauche, et nous sommes intransigeants sur les valeurs en refusant la banalisation des cultures », a poursuivi le président de l’UMP dans les colonnes du quotidien.

C’est bien sur les questions de valeurs que le parti de droite peut séduire les musulmans, nombreux à désapprouver les changements sociétaux portés par une gauche qui a promulgué, en mai 2013, une loi autorisant les couples homosexuels à se marier et à adopter des enfants.

Une partie de cette communauté est également impliquée depuis quelques mois dans le combat contre l'introduction présumée de l’enseignement de la théorie du genre à l'école, ce qui n’a pas échappé à Jean-François Copé, également maire de Meaux (Seine-et-Marne), qui a constaté qu'un bon nombre de parents musulmans de sa ville a participé à la première Journée de retrait de l'école (JRE) initiée par Farida Belghoul, la figure de proue des anti-gender. « Sur le terrain, ils me disent : "Hollande nous embête en bousculant nos valeurs" », raconte M. Copé, estimant que « les projets du gouvernement sur la famille permet à l'UMP de retrouver des électeurs pas forcément à gauche, qui ont voté pour François Hollande à la présidentielle ».

Instrumentaliser les peurs pour mieux les attirer

Copé, bien qu'il s'en défende, n'est pas le seul à faire des calculs. En pleine campagne municipale, des candidats de l'UMP vont plus loin sur le terrain et n’hésitent pas à agiter le chiffon de la peur liée aux bouleversements sociétaux introduits par le PS, qui inquiètent les musulmans.

Bruno Beschizza, le candidat UMP d’Aulnay-sous-Bois (Saint-Saint-Denis), a ainsi choisi de brandir un des symboles controversés du débat entourant la théorie du genre à l’école. Il milite en mettant en avant le livre pour enfants « Mehdi met du rouge à lèvres ». L’ouvrage, qui traite d’un garçon efféminé, a fait son apparition dans le débat après avoir été lu par son auteur devant une classe de CM1 dans une école de Versailles en février.

« Que des militants UMP aient avec eux ce livre leur permet d’avoir une preuve objective sur ce qu’ils avancent sur le travail de destruction de la famille qu’effectue la gauche aujourd’hui en France », explique Bruno Beschizza à Europe 1. Avant lui, Jean-François Copé avait fustigé un autre ouvrage pour enfants recommandé dans les écoles du nom de « Tous à poil».

« La première étape, c'est de faire en sorte que cet électorat ne vote plus pour le PS, afin de couper la gauche d'un de ses réservoirs de voix traditionnels. C'est ce qui est en train de se produire avec le mariage pour tous et la théorie du genre. Ensuite, la seconde étape, c'est qu'ils votent pour nous », explique un stratège de l'UMP au Monde. L'opération de récupération est en marche et tous les moyens sont bons pour s'octroyer un réservoir de voix qui peut s’avérer décisif lors des prochaines élections.

Fadila Mehal, une porte-voix de l'opération

Fadila Mehal.
Pour atteindre ce but, quoi de mieux qu’une personnalité issue de l’immigration pour faire la cour aux musulmans ? Fadila Mehal a naturellement été choisie. Dans une tribune publiée sur le Huffington Post en février dernier, la vice-présidente du Modem à Paris et 2e sur la liste UMP-Modem-UDI du 18e arrondissement parisien veut faire entendre que le groupe qu’elle représente est un « ami sincère » de la communauté musulmane.

« Le PS s'est fait une spécialité de traiter ces Français (à part entière) en sujets et de parler en leur nom et place. Les musulmans et les Français issus de l'immigration n'ont pas besoin d'avocats, ils ont besoin d'amis sincères et loyaux qui leur parlent en égaux, à hauteur d'homme, en dignité respectée », argue-t-elle, en expliquant que « l'égalité des chances » doit être la « première priorité » à Paris. « Si la gauche a raté sa politique publique d'intégration, par manque de vision et de volonté politique, il nous reste à nous, droite et centre rassemblés, une grande responsabilité et un défi à relever », juge-t-elle.

Fadila Mehal en profite également pour saluer le bilan, en la matière, de Nicolas Sarkozy qui « a explosé le plafond de verre gouvernemental en accueillant de façon symbolique à des portefeuilles régaliens des Françaises de branchage (Rachida Dati, Fadéla Amara et Rama Yade), sans compter les innombrables hauts fonctionnaires (préfets et sous-préfets) qui ont rendu moins pâles la haute administration. » Nommer quelques hommes et femmes politiques issus des minorités mais, en parallèle, renforcer la défiance à l’égard des populations musulmanes originaires du Maghreb, d’Afrique ou de Turquie : pas drôle cette façon de promouvoir la diversité.

Les « dérapages » toujours aussi nombreux

La page Sarkozy tournée, la stigmatisation perdure à l’UMP, la nomination d’hommes et de femmes politiques issus de la diversité en moins. Les propos outrageants de cadres du parti, que d'aucuns qualifient de « dérapages » pour les minorer, sont là pour rappeler le peu de cas avec lequel sont considérées leurs cibles. La phrase « il est des quartiers où les enfants ne peuvent pas manger leur pain au chocolat car c'est le ramadan », signée Jean-François Copé, en octobre 2012, avait été prise comme une véritable déclaration d’hostilité par les musulmans.

Après lui, d’autres élus UMP se sont illustrés dans ce registre comme le maire de Nice Christian Estrosi, qui jugeait en juillet 2013 qu'islam et démocratie ne sont « absolument pas » compatibles. Tout dernièrement, c'était au tour du député parisien Claude Goasguen de viser les musulmans en déclarant qu’« on n'ose plus enseigner (la Shoah) dans les lycées tant on a peur des réactions des jeunes musulmans qui ont été drogués dans les mosquées », sans susciter la moindre condamnation de son parti (ni des autres).

En outre, l’UMP, qui avait organisé les débats sur l'identité nationale en 2009 et la laïcité en 2011 –prétextes pour taper sur la religion musulmane en France – prévoit une convention sur l'assimilation au printemps 2014.

Pas d'efforts sur le fond sont entrepris par l'UMP pour amener les musulmans dans leur giron. Les détourner du PS est la principale tâche à laquelle elle s'est vouée, facilitée en cela par les mauvais résultats socio-économiques du gouvernement. Mais, pour cela, ces électeurs n'ont pas vraiment besoin des gesticulations électoralistes des dirigeants de l’UMP. La stratégie leur profite tout de même bien, jusqu'à favoriser l'abstention qui guette lourdement les socialistes. Mettre les musulmans hors jeu (sauf du leur), c'est encore à cette place que l'UMP préfère les voir. Quelle piètre vision de la démocratie on sert aux Français.