Points de vue

Misogynie, homophobie, transphobie : pourquoi les musulmans « progressistes » ne sont-ils pas tous inclusifs ?

Par Ludovic Mohamed Zahed*

Rédigé par Ludovic Mohamed Zahed | Samedi 18 Aout 2012 à 00:00



L’association nord-américaine des Musulmans pour des valeurs progressistes (MPV) a organisé un colloque de trois jours, à la veille de Ramadan, du 13 au 15 juillet 2012, au Manhattan College de New York. Le concept liturgique clé sur lequel est fondée l’association tout entière, présenté par la présidente et membre fondatrice de MPV Ani Zonneveld, étant la création d'un « espace sûr » et fondamentalement inclusif envers tou-tes les musulman-es (1) ; c’est « l'épine dorsale » de ces mosquées du « Tawhid » que l’association a fondé dans plusieurs villes du Canada et des Etats-Unis.

Il est intéressant de constater que c’est la prière en commun, pratiquée de manière fondamentalement inclusive, qui est l’un des piliers soutenant ce projet de réforme de la représentation que nous avons de l’islam (2), entrepris par l’association MPV depuis 2006.

Dans leur projet, les MPV sont souvent aidé-es par des congrégations chrétiennes, ou même par des sociétés privées, qui leur laissent utiliser une partie de leurs locaux notamment pour la prière du vendredi. L’un des autres piliers sur lequel est bâtie l’association, l’un des plus controversés, est celui du respect fondamental du droit des individus LGBT ; un principe qui est même allé jusqu’à confier l’une des mosquées de l’association, celle de Washington, à l’imam gay Daayiee Abdullah.

L’espoir d’un islam de France inclusif

En France, au regard de cette problématique particulière de la lutte contre l’homophobie et la transphobie, le collectif citoyen des Homosexuel-les musulman-es de France (HM2F) a travaillé à une telle inclusivité de l’islam de France, afin de considérer nos frères et sœurs LGBT comme des concitoyen-nes de confession musulmane au même titre que n’importe quel autre citoyen-ne.

HM2F a ainsi organisé plus d’une dizaine de conférences et colloques, en France et en Europe, sur ce sujet-là ; tout en luttant par là-même contre l’islamophobie primaire de certains politicien-nes ou intellectuel-les qui essentialisent l’islam, qui croient que les musulman-es ne peuvent élaborer une représentation fondamentalement égalitaire et inclusive, éclairée, humaniste, de leur héritage culturel et cultuel.

Des centaines de citoyen-nes, d’intellectuel-les et de militants pour les droits humains ont ainsi été sensibilisé-es, en France ou en Europe, au cycle de séminaires, de conférences ou de colloques organisé-es dans le cadre de la dynamique interassociative nommée CALEM (Confédération des associations LGBT, européennes ou musulmanes).

HM2F est par ailleurs parvenu à engager une ébauche de dialogue avec certaines « autorités religieuses », notamment lors du colloque organisé au moment de la Journée mondiale contre l'homophobie, qui s'est tenu en 2010 à l'Assemblée nationale française (voir la vidéo ici ).

Ce jour-là, imams, moines bouddhistes, prêtres et rabbins ont tous été unanimes pour condamner sans réserve toutes discriminations ou violences perpétrées en raison de l’identité de genre ou de l’orientation sexuelle et au nom de nos traditions religieuses. L’imam Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, a même confirmé que nulle part, ni dans le Coran ni dans la sunna, « l’homosexualité » en tant que telle n’est condamnée ; c’est selon lui « l’éthique » de certain-nes musulman-es qui est homophobe.

Cette position, vivement critiquée, fut à l’époque une porte ouverte vers l’espoir d’un islam de France inclusif, à long terme, puisque l’éthique cela évolue. C’est dans cette perspective, de la lutte contre l’homophobie et contre l’islamophobie, qu’en Europe des associations comme HM2F ont tenté de maintenir un dialogue avec plusieurs associations musulmanes et intellectuel-les qui acceptaient de discuter de ces problématiques, et ce jusque récemment.

Qu'est-ce qu'une « réforme de l’islam » si les préjugés culturels demeurent ?

Pourtant il y a des intellectuels qui nous ont fait comprendre qu’ils n’étaient plus en mesure de dialoguer sur la question de l’homophobie de certaines autorités religieuses en France, de peur d’être pris eux-mêmes pour un homosexuel, voire d’être menacés dans leur intégrité physique ; il y a des associations musulmanes françaises qui se disent « réformistes » et qui nous affirmé ne plus vouloir traiter de ces questions, de peur de continuer à « perdre des membres » (3), qu’ils ne fallait plus dire que nous « travaillions ensemble » et que nous n’étions « pas mariés ».

Ces mêmes interlocuteurs nous avaient pourtant convaincus de participer à leur réflexion sur la réforme et sur la question de l’homophobie, motivé-es qu’ils étaient par le « buzz », nous ont-ils dit, autour de la question d’islam et homosexualité en particulier.

Reste à savoir ce que vaut une réforme islamique motivée, non pas par le désir de justice, le désir de Dieu, mais par des considérations quantitatives de la sorte ? Il est clair que l’avant-garde est menée le plus souvent par des êtres humains qui n’ont pas peur de payer le coût de la lutte contre les préjugés de certains de leurs concitoyen-nes, dussent-ils être dans un premier temps minoritaires.

Plus encore, ne serait-ce pas là le pire de la « réforme de l’islam » que de ne garder presque rien de la merveilleuse tradition spirituelle − la solidarité humaine par l’aumône, l’élévation spirituelle par le jeûne, la méditation par la prière et l’invocation de l’universel du Tawhid −, tout en conservant tout des préjugés culturels − statut inférieur des femmes, droits des individus appartenant de fait à une minorité LGBT, fermeture sur les autres formes de spiritualités − ? Seul Dieu, à l’avenir, nous le dira.

Il s’agit là de questions de métaphysique primordiale, loin de toutes considérations politiciennes et partisanes, préoccupées plus par la lutte contre toutes discriminations − dont l'islamophobie autant que l'homophobie −, par l'amour de son prochain, de Dieu, et moins par le partage de ce que certains considèrent comme le « marché », nous ont-ils dit, de la réforme de l’islam.

Car il est clair que ces associations, et les citoyen-nes de confession musulmane qui disent les représenter, semblent se trouver, à n’en pas douter, au cœur d’un dilemme cornélien, pris entre des dogmatiques musulman-es qui ne les soutiendront plus s’ils s’engagent positivement sur la question de l’homophobie, et des militants pour les droits humains − droits des femmes, LGBT en particulier − qui ne leur accorderont aucune crédibilité s’ils ne se prononcent pas clairement en faveur de l’autodétermination de tout un chacun-e, c’est-à dire de la façon dont chacun-e veut s’approprier son héritage culturel et cultuel.

Incorporer les droits de l’être humain dans le corpus théologique

En somme, force est donc de constater qu’en France et en Europe, à l’heure actuelle et pour des raisons diverses et variées, la plupart de ceux et celles qui nous parlent de « réforme » semblent en difficulté lorsqu’il s’agit d’incorporer la question des droits de l’être humain à notre corpus théologique islamique.

Quelles sont les raisons de cette sclérose axiologique ? Une partie des musulman-es de France et d’Europe ne semblent en effet capables de produire − ou incapables de lutter contre ce qui n’est − qu’une énième forme de dogmatique exclusive et excluante, reproduisant d’une manière plus ou moins soft l’ordre social patriarcal, conservateur ; au lieu d’encourager chaque musulman-e à trouver sa propre identité.

Il apparaît pourtant de plus en plus clairement aujourd’hui qu’en matière de religion ce n’est pas la question de l’élargissement du cadre, selon des critères plus ou moins calculés, qui pose problème. C’est bien la question du cadre lui-même (4), de la « norme », qui est à revoir de manière radicale, au sein d’un État laïc qui ne saurait reconnaître d'autre interdit juridique que ceux promulgués de manière démocratique, égalitaire ; autrement cela reste, quelle que soit la couleur du ruban autour du paquet, qu’une forme de « sincère schizophrénie » (5) qui voudrait être imposée à tou-tes, unilatéralement et sans consultation réelle, par une élite autoproclamée.

Quoiqu’il en soit, encore une fois la question de « l’homosexualité ne (…) permet pas de porter des revendications particulières ; elle (…) permet d’adresser, de manière incandescente, des problématiques qui concernent l’ensemble des musulmans de France, et au-delà même, l’ensemble de nos concitoyens. En cela, la problématique posée par l’homosexualité au sein de l’islam permet d’adresser la question fondamentale du rapport à l’autorité religieuse, au dogme, et par conséquent à la liberté de disposer de soi-même et de définir son identité, encore une fois sans concession, ni compromission, ni soumission » (6).

En cela l’exemple nord-américain, sans doute en raison de son pragmatisme (notamment d’un communautarisme poussé à l’extrême, tranchant, parfois difficile à appréhender) et de ses conflits répétés avec le dogmatisme musulman (ombreux sont les musulman-es nord-américain-es à avoir confié que les attentats du 11-Septembre ont provoqué en eux un retour à un islam plus ouvert sur l’universalité de notre humanité), pourrait être un exemple à suivre pour de plus en plus de musulman-es de France et d’Europe.

Certains représentants de MPV seront les principaux invité-es du prochain colloque CALEM, à Paris, du 17 au 19 novembre.
Ils nous exliqueront les raisons qui les ont poussés à élaborer cette représentation d’un islam « réformé », qui pourrait être l’espoir d’un islam qui, demain, partout, encouragera l’autodéfinition (7), en plus de l’autodétermination de chacun, loin des dogmes, de la stigmatisation des femmes et de la crainte des minorités, ayant pour objectif fondamental le bien-être des individus et de l’humanité entière, dans une perspective axiologique universellement inclusive.


Notes
1. Notamment envers les femmes qui peuvent faire l’appel à la prière ou y être imam ; ainsi qu’envers les individus appartenant de fait à une minorité LGBT (lesbienne, gay, bisexuel-le, transidentitaire musulman-es).
2. Les dix principes de MPV étant l’identité, l’égalité, la laïcité, la liberté de parole, les droits universel de l’être humain, le droit des femmes, le droit des individus appartenant de fait à une minorité LGBT, l’analyse critique et interprétative, la compassion et la diversité.
3. Certaines associations musulmanes qui se disent « progressistes » ou « réformistes » vont même jusqu’à discuter plutôt librement de la question de la consommation de l’alcool ou des relations sexuelles libres avant le mariage ; mais la question de l’homosexualité semble être le dernier des tabous.
4. Bidar A., L’islam face à la mort de Dieu : actualité, Bourin Éd., 2010.
5. Zahed L.-M., Le Coran et la Chair, chap. « Aider nos frères atteints d’une sincère "schizophrénie" », Max Milo Éd., 2012.
6. Zahed L.-M., op. cit.
7. C’est à chacun-e de dire qui il ou elle veut être à l’avenir, en fonction par exemple du rapport qu’il ou elle entretient à son héritage culturel, voire cultuel.


* Ludovic Mohamed Zahed, fondateur de HM2F (Homosexuel-les musulman-es de France), coordonnateur de la conférence CALEM, auteur de Le Coran et la Chair, Max Milo Éd., 2012.