Points de vue

Hommage à un homme du monde, Stéphane Hessel

Rédigé par Brahim Senouci | Lundi 3 Mars 2014 à 09:55

Le 27 février, à l'Institut du Monde Arabe, un hommage vibrant a été rendu à Stéphane Hessel, devant une salle de 400 places entièrement comble. Voici l'allocution que Brahim Senouci* a donnée pour ouvrir la séance.



Stéphane Hessel est mort. Pourrait-on dire qu’il a disparu ? D’habitude, on utilise indifféremment l’une ou l’autre de ces deux expressions. Elles ne sont pourtant pas équivalentes. Si la mort est le lot commun, la disparition est celui du plus grand nombre mais elle épargne certains, dont le souvenir subsiste longtemps encore dans la mémoire humaine, pour le meilleur mais aussi hélas pour le pire. Ne nous attardons pas sur celles et ceux qui ont assuré leur postérité par leur sauvagerie, leurs crimes de masse. Songeons plutôt à ces privilégiés, poètes, artistes, inventeurs de génie, dont nous admirons encore aujourd’hui les œuvres. D’autres nous ont laissé une pensée, une idéologie qui constituent encore aujourd’hui le vademecum de militants politiques. Marx, Adam Smith, Lord Keynes, continuent d’inspirer des leaders politiques…

Stéphane Hessel est mort il y un an. Il n’a pas laissé de message, ni de doctrine politique. Il n’a pas été un maître à penser.

Non, ce que nous conservons de lui, c’est une attitude, une manière d’être, un optimisme résolu, nourri par une sorte d’impossibilité du mal qui était chez lui un état mental. C’était aussi un radical à la voix douce, voix qu’il n’élevait jamais, y compris pour dire que l’indignation ne saurait se limiter à soutenir un parti, y compris pour dire son impatience face aux tergiversations des leaders politiques de son camp.

Nous retenons la cohérence de sa vie, la manière dont il l’a conduite, en étroite conformité avec ses idéaux, son penchant à rechercher ce qu’il y a de meilleur chez l’autre, à rechercher dans la nuit la plus noire des raisons d’espérer, son humanisme qui était sa boussole, le fil directeur de son action.

C’était un Européen, comme Walter Benjamin ou Stefan Zweig. Mais l’Europe n’était pas son seul horizon. Il regardait au-delà, vers la communauté des hommes, de tous les hommes. C’est pour tous les hommes qu’il rêvait de liberté, de progrès, de beauté. Il croyait que la civilisation n’avait de sens que si elle était le lot de l’humanité, qu’il était non seulement immoral mais insensé de penser que des îlots de prospérité pouvaient perdurer dans un océan de misère, que la démocratie et les droits de l’homme pouvaient être la norme ici et qu’ils pouvaient être bafoués ailleurs.

Il s’indignait, toujours d’une voix douce, que les mêmes leaders occidentaux de pays démocratiques régis par le droit contribuent à ce que ce même droit soit bafoué ailleurs. Comme en Palestine par exemple...

Il ne se contentait pas de le déplorer. Il s’engageait personnellement et de toute son âme dans le combat contre les dénis de droit. Il rêvait d’un monde de citoyens, d’une démocratie monde, d’un suffrage universel planétaire. Vouloir le bien de quelqu’un ne signifiait pas pour lui le convertir, mais se battre pour ses droits. Il ne faisait pas partie de cette espèce des amis condescendants qu’Hannah Arendt détestait autant que les ennemis malveillants.

Frère des hommes, de tous les hommes, c’était un homme du monde, à la bonté inépuisable, bonté à propos de laquelle il aimait à citer ce vers d’Apollinaire, extrait de « La jolie rousse » : Nous voulons explorer la bonté, contrée énorme où tout se tait.

A des visiteurs d’un soir qui, au moment de le quitter, lui avaient glissé dans l’oreille « Tiens bon », il répondit : « Non, c’est fini, c'est à vous maintenant ! » Il ne les désignait pas personnellement, évidemment. Il désignait ces 7 milliards d'humains qu'il imaginait se pressant derrière sa porte.