Points de vue

Hommage à Michel Lelong, figure du dialogue islamo-chrétien, « prêtre de Jésus-Christ parmi les musulmans »

Rédigé par Mustapha Cherif | Lundi 13 Avril 2020 à 08:30



Le père Michel Lelong, figure emblématique du dialogue islamo-chrétien, a rejoint le Seigneur en paix en ce vendredi saint 10 avril, symbole touchant. Que Dieu l’accueille en son vaste Paradis selon l'Espérance de sa vie. Que les partisans de l’amitié islamo-chrétienne continuent à s’inspirer de son souffle. Michel se voulait « prêtre de Jésus-Christ parmi les musulmans ». Il a consacré avec ferveur plus de 70 années de sa vie à cette amitié.

Sur ce chemin, nous nous sommes rencontrés, il y a 50 ans à Toulouse. Il y a 27 ans, en 1993, nous avons ensemble fondé et coprésidé à Paris le Groupe d’amitié islamo-chrétienne (GAIC), un phare pour contribuer au vivre ensemble, à la sauvegarde des valeurs spirituelles et humanistes communes et semer les graines de la paix. Le monde avait besoin de ce type de prêtre, qui, comme le précise le Coran, « ne s’enfle pas d’orgueil » (Sourate 5, verset 82). Sa rencontre avec les musulmans était ancienne et féconde.

Sa rencontre avec l’islam

En 1951, lors de la rentrée à l'Université d'Alger, Michel participait à la première rencontre islamo-chrétienne entre étudiants. Les musulmans étaient représentés par feu Ali Merad, un grand islamologue. Selon ses mémoires, auparavant, Michel avait été impressionné par le film sur la vie de Charles de Foucauld en Algérie, L'Appel du Silence. Sa décision fut prise : il sera prêtre pour vivre parmi les musulmans.

Seul prêtre à préparer une licence d'arabe dans le monde étudiant, il lie des relations avec des Algériens de toutes origines. Un groupe de rencontre se forme où chacun apprend à se connaître et à se parler. Pas de prosélytisme, disait-il, « le cœur de chacun est un mystère dans son cheminement vers Dieu ». En outre, il était sensible à la cause du peuple algérien et attentif aux œuvres intellectuelles et aux engagements de Louis Massignon et de Jacques Berque.

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Diplômé de l'Université d'Alger, Michel se rend ensuite à Tunis, à l'Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA). Il y étudie la culture musulmane. Il cultivait le sens de la tolérance, la soif de s’entre-connaitre, de se respecter dans le cheminement humain et spirituel de chacun. Il sera encouragé par Vatican II, un événement historique.

Le tournant de Vatican II

En 1965, l'Église porte un nouveau regard sur l’islam. Le temps des préjugés, était révolu; sous la conduite de Jean XXIII puis de Paul VI, et des évêques arabes et non arabes en terre musulmane, l'Église tourne une page et favorise le dialogue.

Michel va nouer des liens profonds avec les élites musulmanes en France et dans tout le monde Arabe. C’est Michel qui me présenta, dans les années 1970, Eva de Vitray-Meyerovitch, brillante universitaire française, auteure convertie à l’islam, spécialiste du soufisme, le théologien musulman indo-turc Mohammed Hamidullah ainsi que l’islamologue et historien Mohamed Arkoun,. Ce fut une époque riche en débats et en rencontres.

Un précurseur du dialogue moderne avec l'islam

Comme dans d'autres pays, l'Église de France crée le Secrétariat pour les relations avec l'islam (SRI). Michel Lelong fut appelé à le diriger après avoir travaillé à sa création à la demande de Mgr André Collini, archevêque de Toulouse, ouvert au dialogue. Michel fut parmi les précurseurs du dialogue moderne islamo-chrétien, interpellé par la présence des migrants et les questions que posaient la présence des musulmans au sein de la société occidentale désenchantée. Michel choisi d’œuvrer pour la fraternité et l’hospitalité.

Dans la région de Toulouse, nous avons organisé de passionnantes rencontres islamo-chrétiennes, notamment à l’Abbaye d’Encalcat, des Bénédictins, à Dourgne (Tarn). A Cordoue, en 1975, il m’a invité à participer à la première grande et mémorable rencontre internationale islamo-chrétienne.

Par cette vocation, Michel rappelait à tous que c'est le même Dieu qui nous appelle. Il mettait l’accent sur les convergences, sans omettre les divergences. Il précisait qu’il s'agit de rapprocher les peuples, d’approfondir la foi paisible de chacun, animé du désir de Le rencontrer en vérité et de vivre ensemble. Lors des controverses au sujet de l’islam, il affirmait auprès de Saphirnews en 2008 : « Je ne peux pas accepter qu'au nom de la liberté de la presse - que je respecte - on puisse attaquer les religions. »

Il a écrit une dizaine de livres édifiants comme J'ai rencontré l'Islam (1976), Deux fidélités, une espérance (1979), L'Islam et l’Occident, Guerre ou Paix à Jérusalem ? (1982), L'Église nous parle de l'Islam : du Concile à Jean-Paul II (1984), Si Dieu l’avait voulu (1986), De la prière du Christ au message du Coran (1986), L'Église catholique et l’Islam (1993), La vérité rend libre (1999), Jean-Paul II et l'Islam (2003), Chrétiens et Musulmans : adversaires ou partenaires ? (2007), Les nécessaires dialogues (2019).

Mis à l’épreuve

Michel savait que l’extrémisme n’a pas de visage, ni de religion, ni de nationalité. Durant les dernières années de sa vie, Il nous demandait de continuer à œuvrer ensemble fraternellement pour interroger et interpréter nos sources, éduquer les nouvelles générations et informer le monde. Pas seulement pour dénoncer l’injustifiable, mais pour énoncer une voie d’avenir, celle de la justice et de la paix. Michel croyait profondément à l’amitié islamo-chrétienne, signe de la volonté divine.

Au sujet de la question politique palestinienne et du Moyen-Orient, il était clair : « Certains évêques et pasteurs semblant se préoccuper uniquement du sort des chrétiens, certains rabbins de celui des juifs et certains imams de celui des musulmans ? Il est, certes, légitime qu’une solidarité particulière existe entre les membres d’une même communauté de foi. Mais si les croyants veulent être vraiment fidèles au message des prophètes bibliques, à celui du Christ et à celui du Coran, ils doivent être attentifs à l’être humain et, surtout, être, ensemble, particulièrement attentifs à ceux qui souffrent, à ceux qui sont rejetés, oubliés, opprimés. C’est dans cette perspective que, face à la situation actuelle au Moyen-Orient, les responsables des Églises chrétiennes, du judaïsme et de l’islam doivent se concerter, unir leurs voix et agir ensemble pour la justice et la paix. »

Tes amis musulmans ne t’oublieront jamais. Repose en paix, mon cher ami Michel.

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Mustapha Cherif, philosophe et islamologue, est auteur d’une vingtaine d’ouvrages, notamment « L’émir Abdelkader, apôtre de la fraternité » (éditions Odile Jacob, Paris, 2016). Il est aussi ancien premier coprésident et cofondateur du Groupe d’amitié islamo-chrétienne avec le père Michel Lelong.

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