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Hajj, une sacrée inspiration !

Rédigé par | Mardi 15 Septembre 2015 à 01:10

Lecture de récits de voyages ou contemplation d’œuvres d’art sont autant de chemins possibles pour nourrir les imaginaires des pèlerins en devenir et faire naître des émotions.



I’m Sorry, I Forgive You, d’Arwa Abouon (2012). Cette photo fait partie d’un diptyque qui met en scène un homme et une femme (les deux parents de l’artiste), présenté lors de l’exposition « Hajj » à l’Institut du monde arabe, en 2014. Née à Tripoli (Lybie), Arwa Abouon est une artiste vidéaste et photographe basée à Montréal (Canada). © D. R.
Le pèlerinage à La Mecque est un rêve chéri par tous les croyants musulmans qui n’ont pas encore eu la chance ni l’occasion de pouvoir l’effectuer. Étant le cinquième pilier de l’islam, il parachève l’accomplissement de la foi pour ceux et celles qui ont les moyens financiers, physiques et matériels de l’accomplir.

Mais, surtout, il est le rendez-vous ultime avec le Très-Haut où la multiplicité des cultures, des ethnies, des âges, des peuples et des catégories socioprofessionnelles converge pour L’invoquer, Le louer en des rites et des invocations appris au préalable.

Voyager dans le temps

En attendant ce voyage ultime, on se complaît à la lecture de récits de voyages qui nourrissent notre imaginaire. Il en est ainsi de la Rihla (Relation de voyages) d’Ibn Jubayr (1145-1217), intellectuel d’Andalousie, secrétaire du gouverneur almohade de la ville de Grenade. La tradition rapporte que, sous la pression du gouverneur, il dut boire sept coupes de vin.

Pour expier sa faute, il se décida à effectuer le pèlerinage à La Mecque. Une première fois en 1183, voyage qu’il acheva en 1185, en passant d’abord par la mer (Tarifa, Ceuta, Sardaigne, Sicile, Crète, Alexandrie) puis par la route des pèlerins remontant le Nil jusqu’à Djeddah et La Mecque. Il effectua ensuite deux autres pèlerinages en 1189-1191 puis en 1217. Selon les historiens, les récits de voyages de ce mystique soufi, qui n’y a relaté que son premier pèlerinage, constituent les plus importantes sources d’information sur le monde musulman à la fin du XIIe siècle (VIIe siècle de l’Hégire).

Bien qu’il n’existe pas de sources écrites subsahariennes (les traces historiques proviennent notamment des œuvres de l’historien Ibn Khaldûn et de l’explorateur Ibn Battûta), le pèlerinage à La Mecque de Kankan Moussa est ancré dans la mémoire des africanistes. Empereur du Mali de 1312 à 1337, sur un territoire qui s’étendait alors du Fouta Djalon (actuelle Guinée Conakry) à Agadez (Niger), Kankan Moussa (ou Mansa Moussa) est considéré par le site Celebrity Networth, qui évalue la fortune des célébrités, comme ayant été l’homme le plus riche de tous les temps, avec une richesse estimée à 400 milliards de dollars actuels (300 milliards d’euros) grâce à ses ressources en or, en cuivre et au sel.

Les récits rapportent que lorsqu’il fit son pèlerinage en 1324, accompagné d’une suite de 60 000 hommes et de 12 000 serviteurs, Kankan Moussa fit construire une nouvelle mosquée dans chaque localité où il s’arrêtait le vendredi et distribua à tour de bras ses richesses partout où il allait, faisant ainsi chuter le cours de l’or, une dévaluation qui aurait eu des effets durant dix ans.

À son retour de La Mecque en 1325, Kankan Moussa entreprit de construire de nombreuses mosquées, notamment à Gao et à Tombouctou. Tombouctou, surnommée la « ville aux 333 saints », deviendra le centre névralgique de l’islam d’Afrique noire, aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco et un temps menacée de destruction par des islamistes en 2012.

Représenter la spiritualité

Outre les récits de voyages, notre imaginaire peut aussi voyager à la simple contemplation d’une œuvre d’art. La Kaʻba, cette pièce de maçonnerie d’environ 14 mètres de haut, qui contenait des idoles à l’époque antéislamique, lesquelles furent détruites par le Prophète Muhammad lors de la conquête de La Mecque en 630, est désormais vide.

Magnetism II, d’Ahmed Mater (2012). © D. R.
Vide d’idoles, mais pas vide de symboles, à tel point que la Kaʻba inspire de nombreux artistes contemporains. « J’ai été surpris de voir la place du pèlerinage dans l’art contemporain arabe et en particulier saoudien. Il y a une cohérence entre les arts les plus anciens et les arts contemporains, ce sont les mêmes émotions mais racontées différemment et avec différents supports », explique Omar Saghi, docteur en sciences politiques et commissaire de l’exposition « Hajj », présentée à l’Institut du monde arabe en 2014.

« Le pèlerinage est un thème majeur d’inspiration artistique. Pour les artistes contemporains, le jeu avec l’interdit de la figuration permet d’aller beaucoup plus loin dans l’expression des émotions », constate-t-il. « Il n’est pas interdit dans l’islam de faire de l’art figuratif, puisqu’il est présent dans les miniatures persanes par exemple, même si l’art figuratif entre toutefois dans des cadres assez complexes. En revanche, il est plus rare d’avoir de la figuration concernant directement les rites religieux. »

Seven Times, d’Idris Khan (2010). © D. R.
L’œuvre du Saoudien Ahmed Mater, Magnetism, est de ce point de vue emblématique. Cette œuvre est constituée d’un cube en métal situé au centre d’un plateau, sous lequel est placé un aimant, et autour duquel est disposée de la limaille métallique qui, du fait de l’aimant, se positionne en direction du cube.

Bien que l’artiste explique que la Kaʻba n’est pas le sujet de son œuvre, il va de soi que celle-ci l’évoque bel et bien pour toute personne de culture musulmane.

Seven Times, d’Idris Khan, artiste d’origine iranienne vivant à Londres, est éminemment en lien avec le hajj. L’œuvre évoque le tawaf (circumambulation), c’est-à-dire les sept tours effectués autour de la Kaʻba lors du pèlerinage.

Elle est composée de 49 cubes d’acier alignés : 49 comme 7 × 7 tours, ou les 49 cailloux que chaque pèlerin jette lors du rite de la lapidation de Satan. Respectant proportionnellement les dimensions de la Kaʻba, chaque cube est gravé par cinq fois des mots de la salât, la prière rituelle accomplie cinq fois par jour.

The Black Arch, de Raja Alem et Shadia Alem (2011). © Saphir Média
The Black Arch, de Raja Alem et Shadia Alem, deux sœurs saoudiennes, respectivement romancière et plasticienne, est tout aussi chargé de symboles. Impressionnant par ses dimensions, The Black Arch est composé d’acier inoxydable, de fonte, de tissu et de pierre, avec des photographies projetées et du son provenant du pèlerinage.

Il comprend en son centre un cube posé sur sa pointe (la Kaʻba), reflétant des centaines de boules métalliques (les pèlerins) disposées en cercles concentriques (le tawaf).

Le sommet de la forme cubique est lui-même creusé, que l’on peut interpréter comme étant le réceptacle des cailloux de la lapidation (que les artistes ont ramassés le long de la route des pèlerins et intégrés dans l’œuvre).

Quant à l’œuvre Zamzam, de Nasser al Salem, artiste saoudien né à La Mecque, elle s’organise autour d’une étoile à huit branches représentant l’infini et se déploie en entrelacs qui rappellent la course de Hajar entre Safa et Marwa (saʻîy, un des rites du pèlerinage). La symétrie de part et d’autre de l’étoile centrale pourrait représenter l’envergure des ailes de l’archange Gabriel (Jibrîl), qui, selon la tradition, transmit le Message divin au Prophète de l’islam.
Zamzam, de Nasser al Salem (2010). © D. R.

« La calligraphie “Zamzam” redessine le signe de l’infini. On a donc énormément de jeu sur la calligraphie, sur la géométrie, le noir et le blanc, qui parfois, de manière surprenante, répondent à des normes de l’art figuratif occidental », décrypte le commissaire d’exposition Omar Saghi. Pouvant être lue de gauche à droite et de droite à gauche, de haut en bas et de bas en haut, l’œuvre Zamzam, porteuse de multiples symboles explicites de l’islam, invite pourtant à une lecture universelle de la spiritualité.

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Première parution de cet article dans Salamnews, n° 54, septembre-octobre 2015.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur