Société

Du pré à l’assiette, le halal est un impératif éthique

Rédigé par | Mardi 21 Aout 2018 à 08:30

Dans un monde de gaspillage et de surexploitation des ressources, adopter une philosophie de vie respectueuse des animaux et des végétaux est une gageure. Au-delà de l’estampillage halal des produits, c’est notre mode de production et de consommation qu’il faut revoir.



« Make our planet great again. » Le slogan d’Emmanuel Macron a eu son effet bœuf. Prononcé en juin 2017 en réplique à la décision du président américain de se retirer des accords de Paris sur le climat, il est vite devenu un hashtag au top trend des réseaux sociaux, symbolisant la volonté française de sauver la planète.

Un an après, le projet de loi agriculture et alimentation, promise par le candidat Macron, a été adopté par l’Assemblée nationale puis le Sénat. Visant notamment à promouvoir une production plus respectueuse de la Nature et une alimentation plus saine, la loi agriculture et alimentation répond-elle aux attentes des consommateurs ? Loin s’en faut.

500 millions de poussins mâles broyés ou gazés vivants chaque année

Certes, parmi les principales mesures, on peut relever des avancées. En restauration collective publique, les repas devront comprendre, au plus tard en 2022, au moins 50 % de produits issus de l’agriculture biologique ou tenant compte de la préservation de l’environnement. La part pour le bio sera d’au moins 20 % de la valeur totale.

Seul un tiers des œufs produits en France vient de poules élevées en plein air.
En février 2017, le candidat Macron avait promis à WWF (Fonds mondial pour la nature) que soit interdite d’ici à 2022 la vente d’œufs pondus par des poules élevées en batterie. Il n’en sera rien. Seule est interdite l’installation de tout nouvel établissement d’élevage de poules pondeuses en cage. Actuellement, 68 % de la production d’œufs vient de batteries. L’interdiction de broyer des poussins mâles n’a pas non plus été adoptée. En sites industriels, pour sélectionner les poules pondeuses, ce sont pourtant quelque 500 millions de poussins mâles qui sont broyés ou gazés vivants chaque année.

Autre demi-mesure : l’utilisation de la vidéosurveillance en abattoir ne sera pas obligatoire. Elle sera expérimentale dans les abattoirs volontaires pour une durée de deux ans. Les vidéos chocs de l’association L214 montrant les conditions scandaleuses d’abattage, voire des actes de cruauté envers les bêtes, avaient pourtant montré toute leur utilité.

En revanche, la loi permet aux associations de se constituer partie civile en cas de maltraitance animale. Les sanctions sont doublées en cas de mauvais traitements sur les animaux, passant à 1 an d’emprisonnement et à 15 000 € d’amende. Ce délit s’étend aussi aux mauvais traitements dans les transports et les abattoirs.

L’animal, un être sensible

« Asidcom défend le droit des consommateurs, donc le droit à l’information, le droit à la conformité des règles religieuses. Mais elle dénonce aussi la maltraitance de l’animal sur toute la chaine de production », relève Hanen Rezgui, présidente de l’Association de sensibilisation, d’information et de défense du consommateur musulman (Asidcom), une association née en 2006.

« Les musulmans se sont beaucoup intéressés à la question de l’abattage, qui est malheureusement le dernier moment de la vie de l’animal. Mais l’abattage rituel est un acte d’adoration, ce n’est pas seulement un geste technique. Il y a une approche spirituelle qui confère des droits à l’animal », explique Hanen Rezgui.

« Le droit à la maternité, à la nourriture naturelle, au transport dans de bonnes conditions… Les hadiths (paroles et actes du Prophète) abondent en ce sens. Ce que les militants de la protection animale appellent “sentience” (capacité à éprouver douleurs, plaisirs et émotions), l’islam l’a déjà reconnue en considérant l’animal comme étant un être sensible qui a droit au respect de la naissance jusqu’à l’abattage », poursuit l’auteure de La République et le halal (éd. Al Qalam, 2015).

« Le droit de tuer un animal n’est donné à l’homme que sous conditions : pour se défendre ou pour sa consommation. Mais la grande cadence de l’abattage industriel, symbolique de la supériorité imaginaire de l’homme, aboutit à un énorme gaspillage de la viande. Or selon la conception islamique du respect de l’animal, il ne devrait pas y avoir de gaspillage, ni donc de surproduction. »

Lire aussi : Aïd al-Adha - Tareq Oubrou : « Les animaux sont des êtres spirituels »

Étourdissement, gazage, électronarcose : un débat hypocrite ?

À la question de l’étourdissement préalable à l’abattage qui diminuerait la souffrance animale, la présidente d’Asidcom rétorque : « C’est un débat hypocrite. Les méthodes d’étourdissement n’ont pas fait leurs preuves pour favoriser le bien-être animal. L’étourdissement va avec l’abattage intensif, car il permet d’augmenter les cadences. Le gazage des porcs est mauvais mais il est accepté car personne ne le combat. Le bain électrique pour les volailles est mauvais mais il est utilisé car les conditions économiques l’imposent. »

Et de poursuivre : « Aucune étude scientifique ne prouve clairement que l’abattage rituel est contraire au bien-être animal. Il existe des pratiques qui ne sont pas bonnes pour le bien-être animal mais qui peuvent être du fait de l’abattage rituel ou de tout autre type d’abattage. On l’a bien vu dans les vidéos diffusées par l’association L214. S’il y a des mauvaises pratiques chez les musulmans, c’est parce que les sacrificateurs ont obtenu une carte de sacrificateur sans avoir jamais reçu de formation », dénonce-t-elle.

« Il y a un an, j’ai contacté une des trois mosquées habilitées par l’État à délivrer des cartes de sacrificateur pour en obtenir une. Juste pour tester… », témoigne la présidente d’Asidcom. « Ils m’ont seulement demandé d’envoyer une recommandation morale et une attestation de mon employeur (un abattoir), sans avoir besoin de me voir ni de vérifier mes compétences. C’est scandaleux ! » Aucune réglementation n’existe en effet pour exiger une formation des sacrificateurs (qui relève des institutions religieuses). Seule la formation à la protection animale est exigée depuis 2013 pour toute personne intervenant en abattoir européen sur des animaux vivants.

Lire aussi : « Plus halal que moi, tu meurs »

Une double formation religieuse et technique

Une double exigence que s’est pourtant donnée À votre service (AVS), association de certification halal créée en 1991, qui emploie quelque 200 salariés. « Outre la formation au bien-être animal, les sacrificateurs ont, à l’instar des contrôleurs, une formation théorique, religieuse et technique (sur nos procédés de contrôle, notre mode de traçabilité, le monde industriel, le secteur commercial des boucheries et des restaurants que nous contrôlons…). Puis ils suivent une formation pratique, qui peut aller jusqu’à 3 mois de suivi », détaille Fouad Imarraine, responsable des relations publiques.

Alors que le business model de l’association de certification repose sur le volume de viandes et de produits d’origine carnée labellisés « halal », AVS a décidé de ne pas certifier les moutons de l’Aïd al-Adha. Un manque à gagner financier assumé au nom des principes islamiques.

« Nous gérons les contradictions de manière permanente. La réalité d’aujourd’hui est qu’on est pris dans un rouleau compresseur de demande de consommation auquel les musulmans sont, eux aussi, soumis, quel que soit leur niveau de spiritualité. Or comment faire en sorte que le rapport à la viande ne soit pas centrale dans la vie du musulman, dans une société où la consommation de viande a beaucoup d’enjeux : économique, industriel, politique ? Dans un pays comme la France qui a un grand cheptel, cela devient une question centrale », souligne Fouad Imarraine.

L’avenir est aux projets alternatifs à taille humaine

Les chiffres sont édifiants. Les consommateurs de culture musulmane achètent 70 kg de volaille par personne et par an (Office national interprofessionnel de l’élevage, 2011), soit 3 fois plus que la moyenne nationale. Le mouton – symbole du sacrifice du prophète Abraham – est bien évidemment une viande très prisée par les musulmans dont la consommation connait un pic lors de l’Aïd. Sans oublier que le marché halal représente 10 % du marché total de la viande (hors viande de porc).

Alors qu’AVS exerce en milieu industriel depuis 26 ans, son représentant est catégorique : « L’avenir est aux projets alternatifs à taille humaine, qui répondent aux critères du halal, aux critères sanitaires et d’hygiène, et qui respectent l’esprit premier du bien-être de l’animal. » Depuis cinq ans, elle accompagne des porteurs de projets, qu’il s’agisse de produits bio et halal ou d’abattoir à la ferme. « Cela correspond 100 % à notre vision du halal. Le halal, ce n’est pas seulement la saignée. C’est la question du rapport à la Nature. Comment les animaux sont élevés naturellement, comment ils sont abattus naturellement avec le minimum de souffrance. »

Lire aussi : Le halal, c’est manger bio et végétarien

Aller dans le concret : permaculture et moindre consommation de viande

« Ce n’est pas tout que de dire qu’il faut manger sain, il faut créer des alternatives autour des grands centres urbains pour que les consommateurs cessent d’aller au supermarché et d’acheter n’importe quelle viande ! », s’exclame Jean-Philippe Cieslak. « Il faut aller dans le concret : acheter des terrains, mettre en place de l’élevage, que les gens puissent venir acheter directement à la ferme. » Le cofondateur de l’Ilot des combes donne l’exemple.

Né en 2015 de l’initiative d’un groupe d’amis souhaitant « faire prendre conscience de la nécessité de changer notre mode de production et de consommation », l’Ilot des combes est situé dans le Creusot (Bourgogne). Trois ans seulement après son ouverture, le lieu a obtenu le label des Colibris, le mouvement de Pierre Rabhi, chantre de l’agroécologie.

Lire aussi : Pierre Rabhi : « Il y a un luxe extraordinaire dans la simplicité »

L’Ilot des combes, ouvert en 2015 dans le Creusot, comprend, notamment, une microferme en permaculture.
Sur un terrain de 1,5 hectare poussent en permaculture une centaine d’arbres, des plantes médicinales et aromatiques, des légumes et des fruits. Des bâtiments d’une superficie de 500 m2 comprennent 25 places d’hébergement, une salle de restauration pour une trentaine de personnes, des espaces collectifs (bibliothèque, salle de travail, salle pour les enfants). Une vingtaine de poules pondeuses picorent en liberté et trois moutons d’agrément paissent pour entretenir le terrain.

Bien qu’on ne se revendique pas végétarien, à l’Ilot des combes on ne mange pas de viande. « Si on suit les recommandations prophétiques quant à l’abattage de l’animal, on ne peut pas suivre la cadence industrielle. Aucun éleveur n’accepte d’élever ses moutons durant un an (âge minimal recommandé en islam). Toutes ces normes industrielles conduisent finalement les musulmans à consommer moins de viande », estime Jean-Philippe Cieslak. « La logique productiviste utilise les animaux comme des objets. En islam, il n’y a pas que l’aspect utilitaire de l’animal, il y a aussi la notion de bienveillance, que l’homme a perdue dans nos sociétés industrialisées. »

Le binôme « halal wa tayib »

« Le comportement écoresponsable est intrinsèquement liée à l’éthique musulmane. Cette prise de conscience des musulmans est un juste retour des choses », reconnaît Abderrahman Bouzid, consultant chez AB Associates Conseil. « Dans le Coran, quand il est fait allusion au halal en matière d’alimentation, on trouve le binôme : “halal wa tayib”, tayyib voulant dire qualité. »

« Or l’estomac du consommateur musulman est devenu une machine à recycler. La VSM (viande séparée mécaniquement) est un véritable scandale : elle provient de carcasses de volailles (dindes et poulets). Et l’Organisation mondiale de la santé a interpellé sur la dangerosité de surconsommation de VSM », qui constitue pourtant le gros de la production de charcuterie dite halal. « Cela traduit bien que la notion de tayyib a été occultée », dénonce Abderrahman Bouzid.

Celui qui fut ancien responsable « halal » au groupe Casino constate que « même si le marché bio et halal n’en est qu’à ses balbutiements, la qualité des produits viendra de plus en plus comme une exigence dans l’inconscient des consommateurs de produits halal : avec des circuits courts, avec une empreinte carbone réduite a minima ». Et de conseiller : « Il appartient à tout le monde de choisir le contenu de son assiette. »

Lire aussi : Justice écologique, justice sociale et justesse intérieure : les « trois J » de l’écologie musulmane

Première parution de l’article dans Salamnews, n° 68, août-septembre 2018.


Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur