Politique

De premiers ateliers franco-allemands qui dressent le portrait d’un islam qui s’enracine aux pays de Goethe et d’Hugo

Rédigé par | Vendredi 16 Décembre 2022 à 12:25

Les premiers ateliers franco-allemands portant sur le dialogue entre l'Etat et les acteurs du culte musulman ont été organisés ce mois de décembre à Paris. Présenté comme « un complément aux travaux respectifs du Forum de l’islam de France (FORIF) et de la Deutsche Islam Konferenz (DIK) », ce rendez-vous a été l'occasion pour les uns et les autres de partager les bonnes pratiques en cours des deux côtés du Rhin et d'évoquer les pistes de coopération possibles.



Paris a accueilli, lundi 12 décembre, les premiers ateliers franco-allemands sur le dialogue entre l’Etat et les acteurs du culte musulman.
Paris a accueilli, lundi 12 décembre, les premiers ateliers franco-allemands sur le dialogue avec les acteurs du culte musulman. La participation de Sonia Backès, secrétaire d’État auprès du ministre français de l’Intérieur, chargée de la citoyenneté, et de Juliane Seifert, secrétaire d’État au ministère fédéral allemand de l’Intérieur, montre l’importance qu’accorde le couple franco-allemand à ce dossier. Malgré les différences entre l’histoire et le modèle de société de ces deux pays frontaliers, le sujet du culte musulman fait apparaître des convergences tant sur les enjeux et objectifs que sur les modes d’actions.

C’est sous les auspices de l’ambassade allemande à Paris, et à l’invitation de son ambassadeur Hans-Dieter, que les invités, composés de responsables de mosquées, d’aumôniers, d’universitaires et de fonctionnaires ont été reçus. Le cadre chaleureux de l’Hôtel Beauharnais ont facilité les échanges sur les expériences respectives au cours de cet après-midi hivernal.

Le premier atelier avait pour tâche de dresser l’état des lieux des aumôneries musulmanes. Le second workshop s’est penché sur la formation du personnel religieux tout en questionnant le rôle de l’action publique et des acteurs religieux. Le troisième atelier était consacré à la définition du rôle et du métier de l’imam, tandis que le dernier s’intéressait à la gestion des mosquées. Après la restitution des ateliers, Saphirnews a pu assister à un échange entre Augustin Jomier, directeur adjoint scientifique du nouvel Institut français d’islamologie (IFI), et de Bülent Ucar, membre du conseil d’administration de l’Institut allemand de formation en théologie musulmane, l’Islamkolleg, soutenu par l’Etat allemand. Avant le très attendu échange entre les secrétaires d’État.

L’organisation des aumôneries en France prise en exemple

Malgré une différence d’importance du rapport de l’État avec ses religions qui s’exprime, côté allemand, par le concept de « séparation-coopération » et, côté français, par « une séparation plus stricte s’apparentant à une relative ignorance » selon les mots de l’universitaire Céline Beraud, rapportrice du premier atelier, il y a une volonté commune de vouloir institutionnaliser dans les deux pays l’aumônerie musulmane au sein des institutions de l’hôpital, des prisons et des armées, même si, côté allemand, ce n’est pas encore atteint au sein de la Grande Muette.

L’État fédéral allemand et ses länder semblent disposer de plus de marges de manœuvre, rappelle Augustin Jomier, qualifiant la France d’« État manchot » à propos de l’organisation du religieux. Cela dit, concernant les aumôneries, la France marque une longueur d’avance sur son voisin outre-Rhin car, confronté à son obligation du respect de la liberté de culte, l’État se doit d’apporter un soutien logistique et financier aux citoyens privés de liberté comme c’est le cas, pour des raisons différentes, dans les milieux carcéraux, hospitaliers et militaires. Selon les termes de Sonia Backès, « la neutralité de l’État n’empêche pas les pouvoirs publics d’intervenir dans les endroits où les libertés sont limitées pour permettre au citoyen de respecter sa liberté de culte. C’est bien le cas des aumôneries ».

Céline Beraud a souligné que la fonction d’aumônerie est étrangère au référentiel musulman puisqu’il est tiré du registre chrétien et particulièrement catholique. Ce qui doit engager une réflexion théologique de la part des musulmans car le statut de l’aumônier diffère de celui de l’imam. Si les femmes des deux pays frontaliers ont pu s’approprier ces nouvelles professions, l’aumônerie est cependant à l’étape de semi-professionnalisation, a constaté l’universitaire, pointant la nécessité pour elle de s’ouvrir davantage aux générations nées et socialisées en France et en Allemagne. Plusieurs interlocuteurs allemands, et au premier chef la secrétaire d’État allemande, apprécient cette efficacité française et souhaitent s’en inspirer.

Une longueur d’avance allemande sur la formation des cadres religieux

Deux raisons essentielles alimentent cette volonté commune aux deux pays. La première, très souvent rappelée par les invités, est de conforter la liberté de culte et de conscience auprès de populations installées depuis plusieurs générations qui souffrent d’un retard institutionnel comparé à leurs autres coreligionnaires. La seconde raison est d’ordre régalienne. L’Etat ne veut pas être confronté à des « religieux dérégulés » qu’ont révélés notamment les attentats de 2012 et de 2015 en France. La question de la connaissance scientifique de l’islam et de de la formation des cadres religieux deviennent des enjeux cruciaux. Et sur ces sujets-là, l’Allemagne semble marquer une certaine avance sur notre pays. Augustin Jomier n'hésite d’ailleurs pas à dire qu’il y a une forme de crise allemande dans la pensée française, faisant référence aux élites universitaires françaises qui s’interrogeaient au lendemain de la défaite de 1870.

« Depuis plusieurs années, les islamologues français regardent avec beaucoup d’envie l’islamologie allemande », a-t-il indiqué. Mais citant la récente création de l’Institut français d’islamologie à l’initiative du président de la République, il se dit confiant dans l’avenir tout en citant déjà les diplômes universitaires (DU) laïcité créés ces dernières années afin d’offrir un complément de formation aux cadres religieux.

Toutefois, il reconnaît que, contrairement à l’Allemagne, l’État français, du fait de la loi 1905, ne peut intervenir sur les enseignements confessant et de théologie pratique. Quant à l’Allemagne, elle a, durant plusieurs décennies, été en total retrait, comme l’a reconnu Bülent Ucar : « L’État allemand ne souhaitait toucher à rien. L’immigration des Balkans et de Turquie venait sous le statut de "travailleurs invités", on estimait qu’ils allaient retourner chez eux. Par conséquent, il était inutile de s’intéresser à la gestion du culte musulman. »

Ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui fera prendre conscience en Allemagne des enjeux de l’intégration culturel des musulmans. Comme partout ailleurs dans le monde, les discours médiatiques en Allemagne ont suscité beaucoup de confusion générant des stéréotypes négatifs envers les musulmans. Mais le professeur a rappelé en souriant que « les préjugés en Allemagne n’ont pas commencé avec les musulmans. L’Allemagne de Bismarck n’a pas été tendre avec les catholiques ».

Ce même professeur a aussi relevé les craintes des musulmans d’Allemagne à ne surtout pas négliger de voir les corpus d’enseignement plus proches de la vision étatique au détriment de celle des croyants. C’est pourquoi il estime qu’il est important de visiter les milieux académiques des pays musulmans comme il l’a récemment fait avec le Maroc, l’Égypte et la Bosnie. Affirmant vouloir à l’avenir intensifier les discussions avec d’autres pays, il a souligné « qu’il n’y a pas que l’Allemagne et la France qui s’intéressent à la formation de l’islam. Tous les États au monde sont tout autant intéressés et particulièrement les pays musulmans ».

Pour la secrétaire d’État allemande, la formation des imams reste toujours un sujet d’importance car elle estime « nécessaire de multiplier pour que l’islam puisse reposer sur les fondements de notre Constitution en ayant des imams qui non seulement parlent bien allemand mais qui soient vraiment ancrés dans le pays de sorte qu’ils puissent assurer la médiation avec les autres communautés religieuses, l’État bien sûr, les structures socio-culturelles diversifiées, sportives, etc. C’est très difficile lorsque nous sommes en présence d’imams qui n’ont pas grandi en Allemagne et qui ne disposent des connexions sociales encore ».

Allemands et Français ont à ce propos identifiés les mêmes charges caractérisant la fonction de l’imamat, au nombre de quatre missions principales selon le rapporteur Abd-al-Wadoud Gouraud : « La célébration du culte en premier lieu, l’enseignement religieux voir de la langue arabe, l’accompagnement spirituel comme la médiation auprès des familles, et la représentation publique dans les conférences, le dialogue interreligieux, ou sa place dans la cité. » Les Français paraissent très préoccupés par le statut d’imam qui se trouve ne pas être inscrit dans le droit du travail. Ce sujet occupe d’ailleurs l’un des quatre groupes de travail du FORIF qui réfléchit à plusieurs pistes possibles. Les Allemands ne possèdent pas non plus de statut spécifique pour l’imam mais disposent peut-être de plus d’efficacité communautaire pour assurer la digne rémunération des imams et, surtout, d’aides publiques sur la formation théologique appliquée.

Une constance nécessaire pour obtenir des résultats concrets

Le détachement des pays d’origine, ne signifiant pas leur ignorance, reste une priorité pour les deux pays. L’invitée gouvernementale fait savoir qu’outre-Rhin, « nous menons un travail de dialogue avec le gouvernement turc pour réduire le nombre d’imams détachés selon un calendrier clair afin de produire des résultats tangibles ».

Quant à Sonia Backès, elle a bien confirmé la fin des imams détachés à partir du 31 décembre 2023. « La France comporte la plus grande communauté musulmane d’Europe estimés entre 6 et 8 millions de personnes caractérisées par une relative jeunesse des individus concernés. Nous avons essayé beaucoup de choses en terme d’organisation, notamment le Conseil français du culte musulman dont l’efficacité n’a pas répondu aux attentes », a-t-elle déclaré. Des propos qui font écho à ceux de Céline Beraud quand elle évoquait « l’échec du CFCM qui n’a jamais su accompagner les aumôneries musulmanes, voire les a fragilisés dans son incapacité à mener des nominations ». Trop centralisé et trop calqué sur le modèle catholique qui privilégie des rapports très hiérarchisés et descendants sont les explications avancées.

A présent, la secrétaire d’État dit fonder beaucoup d’espoir sur le FORIF, inauguré en février dernier et s’inspirant du modèle allemand qui a l’avantage de ne pas s‘encombrer avec l’épineux sujet de la représentation ni d’une structure juridique mais qui en revanche permet d’avoir un dialogue et d’avancer sur les sujets pratiques.

Sur la DIK (Deutsche Islam Konferenz) qui existe depuis 16 ans et qui a tenu sa dernière édition le 7 décembre en présence de Nancy Faeser, ministre de l’Intérieur, Juliane Seifert a réaffirmé la volonté de l’Etat allemand de « dialoguer avec l’ensemble de ces acteurs, car ils influencent tous le visage de l’islam en Allemagne qui a beaucoup évolué ces dernières années. En revanche, nous nous ne donnons pas l’obligation d’inviter toujours tous les acteurs en même temps. Nous pouvons inviter quelques groupes selon les sujets, ce qui nous donne plus d’agilité, même si nous avons invité tout le monde » à la dernière réunion de la DIK.

Focus sur l’islamophobie en Allemagne

Au cocktail, un haut fonctionnaire allemand ne cachait pas sa satisfaction de voir la coalition gouvernementale dirigée par Olaf Scholz capitaliser et poursuivre ce qui avait été commencé sous la chancelière Angela Merkel. En effet, les fonctionnaires tant français qu’allemands savent que ce sujet nécessite de la constance pour obtenir des résultats concrets, même si des sensibilités propres à l’exécutif peuvent s’exprimer.

Ainsi pour cette législature, Juliane Seifert a annoncé poser un focus sur l’islamophobie : « Nous avons un conseil d’experts indépendants constitué de chercheurs qui sont en train de mener des travaux passionnants. Je les ai rencontrés récemment. Ils analysent le phénomène de l’islamophobie dans le domaine politique, dans les médias, au sein des écoles, sur le marché du travail, dans l’économie au sens global. A l’été, ils nous présenteront un rapport qui nous permettra d’analyser de manière différencier où se situent les principaux défis. »

Un après-midi de travail riche et dense qui, même sur un sujet réputé complexe, à savoir l’islam en milieu séculier, montre une nouvelle fois que le couple franco-allemand reste le moteur de l’Europe. Les deux responsables politiques ont manifesté leur satisfaction de ce format d’échange entre la DIK et le FORIF et encourage à son renouvellement. Peut-être à Berlin pour la prochaine édition.

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