Points de vue

Avec l'attaque du 7-Octobre, que veut le Hamas ?

Rédigé par Michele Brignone | Jeudi 9 Novembre 2023 à 16:00

Le communiqué avec lequel les Brigades al-Qassam ont lancé l’attaque du 7 octobre permet d’évaluer les objectifs et la nature du mouvement islamiste palestinien.



© CC BY-NC-SA 2.0/Rainwiz
De quelle manière le Hamas a-t-il justifié la terrible attaque du 7 octobre et quels sont ses objectifs ? À la suite de l’opération « Déluge d’al-Aqsa », les dirigeants politiques du mouvement islamiste palestinien sont abondamment intervenus sur plusieurs chaînes arabes pour exposer leurs raisons ; ce sont surtout leurs paroles qui ont été commentées. En revanche, une moindre attention a été prêtée à l’enregistrement audio par lequel Mohammed Dayf, chef des Brigades Izz al-Din al-Qassam, le bras militaire du Hamas, a annoncé l’agression. L’analyse de ce document, qu’Oasis a traduit intégralement de l’original arabe, est toutefois utile pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce qu’il a été élaboré par les auteurs matériels de l’attaque. En effet, il existe des doutes sur la participation effective du leadership politique du Hamas à la conception de l’opération du 7 octobre. Certains commentateurs supposent même que ceux-ci n’ont même pas été informés du projet. Dans la fameuse interview qu’il a accordée à la chaîne saoudienne Al-Arabiya, le chef du Hamas à l’étranger Khaled Meshaal avait entre autres affirmé que les choix stratégiques du Hamas sont discutés par le bureau politique, mais que ce sont les Brigades al-Qassam qui prennent les décisions sur le terrain.

Viser le déclenchement d’une insurrection généralisée qui, pour le moment, n’a pas eu lieu

En second lieu, les raisons et les objectifs de l’attaque invoqués par le communiqué permettent d’évaluer plus précisément les attentes du Hamas et de son bras militaire, notamment au-delà des finalités d’autres acteurs régionaux, à commencer par l’Iran, avec lesquels le mouvement palestinien s’est vraisemblablement coordonné.

Le document met en avant beaucoup des thèmes ensuite amplement utilisés par les dirigeants de l’organisation islamiste: à l’origine de l’opération, il y aurait l’occupation persistante de la Palestine par « l’entité sioniste », l’expulsion et le meurtre des Palestiniens, la destruction de leurs maisons et la confiscation de leurs propriétés, l’inertie et le silence de la communauté internationale, la violation et la profanation de l’espace sacré de la mosquée Al-Aqsa et la détention de milliers de prisonniers dans des conditions inhumaines.

Mais le communiqué annonce également que cet état de choses est terminé et invite les Palestiniens de Jérusalem et de la Cisjordanie à se soulever, ainsi que ceux qui vivent en Israël (le message audio parle du Néguev, de la Galilée, du Triangle et de Haïfa, Jaffa, Acre, Lod et Ramla, villes israéliennes avec une importante population arabe). Un appel est aussi spécifiquement adressé aux frères de la « résistance islamique » au Liban, en Iran, au Yémen, en Irak et en Syrie – le célèbre « Axe de la Résistance » guidé par Téhéran –, précédant celui qui est lancé à tous les autres pays arabes et musulmans.

Il ressort de ces références que le bras militaire du Hamas visait évidemment le déclenchement d’une insurrection généralisée qui, pour le moment, n’a pas eu lieu. Dans leurs apparitions télévisées, les dirigeants politiques du mouvement ont d’ailleurs laissé transparaître une certaine déception devant l’inaction de leurs alliés régionaux. Comme l’a souligné l’experte américaine du djihadisme Nelly Lahoud, cet élément suggère un parallèle entre le Hamas et al-Qaida, en dépit de la différence entre les deux organisations. Avec les attaques du 11 Septembre, Oussama ben Laden voulait démystifier le mythe de la puissance américaine et déclencher une insurrection islamique mondiale, mais l’attaque des États-Unis en Afghanistan et le manque de mobilisation du côté musulman ont compromis ses plans.

À une échelle plus réduite, le Hamas aussi avait l’intention de démontrer la fin de l’invincibilité israélienne, galvanisant la population palestinienne et la rue arabe et musulmane, mais l’absence de soulèvement, l’attentisme de ses alliés et la brutalité des représailles israéliennes ont probablement compliqué les calculs du mouvement. Ces derniers jours, les déclarations contradictoires de plusieurs dirigeants du Hamas – le 24 octobre, Ghazi Hamad a réaffirmé que l’objectif demeure l’élimination définitive de l’État d’Israël ; le 1er novembre, le chef du mouvement Ismail Haniyeh s’est plus prudemment (et de façon opportuniste) dit ouvert à des négociations en vue de la solution des deux États – témoignent des difficultés de l’organisation et de l’absence d’une ligne politique claire et partagée. Le discours de Hassan Nasrallah du 3 novembre dernier a par ailleurs confirmé que les objectifs stratégiques du Hamas et des autres membres de l’« Axe de la Résistance » peuvent converger, mais ils ne coïncident pas.

Entre le Hamas et Daesh, d'importantes divergences

Une dernière observation concerne le style du communiqué. Il est vrai que la violence aveugle avec laquelle les assaillants ont frappé le 7 octobre a estompé certaines différences entre le Hamas et Daech, mais le langage utilisé par l’annonce du « Déluge d’al-Aqsa » met également en lumière des divergences importantes entre les deux groupes. Organisation nettement salafiste, l’État Islamique veille à afficher la conformité doctrinale de ses idées et de ses actions, en les justifiant ponctuellement par des citations, certes sélectives et décontextualisées, du Coran, de la Sunna et d’auteurs classiques qui font particulièrement autorité. Le vocabulaire religieux est évidemment très présent dans le communiqué des Brigades al-Qassam, qui contient plusieurs renvois au Coran, mentionne à diverses reprises le secours que Dieu fournira à travers ses anges et insiste sur l’importance de la mosquée Al-Aqsa. Mais les références islamiques sont traitées différemment par les deux organisations, à commencer par l’image même du Déluge dont le nom a été donné à l’attaque du Hamas, thème typiquement millénariste très utilisé également par Daech.

Le deuxième numéro de Dabiq, la revue en langue anglaise de l’État Islamique, portait exactement ce titre (The Flood) et l’on y trouvait un parallèle long et détaillé entre l’histoire de Noé, racontée également par le Coran, et la condition actuelle de l’humanité. Dans la déclaration du Hamas, le ton apocalyptique est bien présent – les Palestiniens sont invités à « incendier la terre sous les pieds des occupants usurpateurs » – mais l’allusion au déluge n’est pas inscrite dans un cadre doctrinaire rigoureux et l’ennemi n’est pas identifié selon la dichotomie théologique classique employée par les mouvements salafistes (croyant/infidèle), mais en termes plus clairement politiques (l’occupant criminel).

Surtout, ce qui contraste avec le lexique des organisations djihadistes salafistes, c’est le rappel des violations du droit international et des droits humains, deux institutions que Daech refuse catégoriquement en tant que pur produit de l’Occident idolâtre. Cela ne signifie pas que le Hamas ait vraiment à cœur la légalité internationale, mais ce mélange entre rhétorique religieuse et langage séculier est un indicateur de son appartenance à la galaxie des Frères musulmans, l’organisation islamiste à l’origine du mouvement palestinien, plus qu’à la galaxie salafiste.

En réalité, le communiqué présente également une similitude préoccupante avec les documents d’autres organisations islamistes radicales. Il invite en effet tous ceux qui possèdent un fusil à le sortir, et encourage ceux qui en sont dépourvus à recourir au couteau, à la machette, à la hache ou au cocktail molotov, ou encore à des camions ou voitures, équipements qui rappellent de très près les moyens suggérés par de nombreux manuels djihadistes pour frapper l’ennemi.

Bien qu’il n’ait pas donné les résultats peut-être espérés par les Brigades al-Qassam, le « déluge » déclenché le 7 octobre n’a malheureusement rien de métaphorique. Le cycle de la violence a commencé et ses conséquences sont déjà catastrophiques.

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Michele Brignone est directeur de la revue Oasis. Il a obtenu en 2008 le doctorat de recherche en Histoire, Institutions et Relations internationales des pays extraeuropéens à l’Université de Pise. Il est depuis 2009 professeur de Langue arabe à l’Université catholique du Sacré-Cœur de Milan, où il tient un cours sur le discours et la pensée politique arabo-islamique. Première parution de l'article sur le site de la fondation Oasis.

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