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Vivre ensemble

Ramadan : l’examen de conscience

Par Mustapha Cherif*

Rédigé par Mustapha Cherif | Mardi 17 Août 2010 à 16:26

           


Ramadan, nom unique, qui marque un rapport singulier au Divin, au temps et à l’au-delà, devrait être le moment de l’examen de conscience pour tout musulman digne de ce nom.

Tout citoyen musulman a le devoir de réexaminer les significations qu’il se donne. Est-on à la hauteur des aspirations des nouvelles générations ? Quelles interprétations donner à la vie pour notre temps, comment se souvenir de nos valeurs abrahamiques et humanistes pour se projeter dans l’avenir, sans tomber dans le passéisme ? Comment apprendre à vivre, à réinventer et à penser la civilisation? Jeûner est un moment fort pour prendre du recul et méditer le but de la vie.

Ramadan : l’examen de conscience
Nous sommes pris entre deux outrances imbriquées.
Premièrement, après mille ans d’une grandeur sans équivalent, le monde musulman décadent est en difficulté depuis cinq siècles pour produire de l’émancipation et de l’indépendance, à l’exception du temps de la lutte anticoloniale. Les solutions proposées restent insuffisantes par rapport aux besoins.
Deuxièmement, malgré des progrès scientifiques prodigieux, l’hégémonie du monde occidental est marquée par la marginalisation des valeurs spirituelles, le libéralisme sauvage et la politique des deux poids et deux mesures. Les périls, les manipulations et les incertitudes sont croissants, dans une crise systémique du savoir.

Chez le premier, l’obscurantisme, la violence aveugle, l’instrumentalisation de la religion-refuge nuisent gravement à l’image du troisième rameau monothéiste, qui a le droit de viser le progrès sans perdre son âme.
Chez le deuxième, l’iniquité, la déshumanisation et la désorientation sont flagrantes. Tout philosophe, tout sociologue ou tout être de bon sens constate que nous sommes dans une phase régressive de l’Histoire de l’humanité. La crise, morale, du comportement et des valeurs est sous-jacente à la crise économique.

Le dialogue, maître-mot de ceux qui sont lucides

Comment retrouver de la civilisation qui allie authenticité et progrès ? Le monde musulman faute de bonne gouvernance, semble incapable de soutenir la concurrence économique et technoscientifique. Le monde matériellement développé ne conjugue pas éthique et puissance, science et conscience, justice sociale et efficience.

Le dialogue s’impose de lui-même dans le cadre d’une mondialisation, qui nivelle et produit de la violence anarchique. Privilégier le dialogue est le maître-mot de pays lucides ; mais c’est cela que des courants refusent, car le dialogue signifie traiter en égaux ceux qui sont considérés comme des inférieurs ou des adversaires. Le dialogue est le contraire de la stratégie de domination. Comment ne pas dialoguer, alors que la tradition et la modernité sont en crise ?

Au Nord, malgré des acquis, la société du « culte du Veau d’or », de consommation, de la jouissance à tout prix et de la xénophobie s’éprouve en impasses. Pour la première fois, la crise atteint non pas la périphérie mais le centre, qui s’avère incapable de solution globale et poursuit sa logique mortifère. Des régimes occidentaux pratiquent la fuite en avant et la diversion, en s’inventant un nouvel ennemi comme hier le juif : le citoyen de confession musulmane.
Au Sud, des régimes arabo-musulmans aggravent l’état de leur pays, en refusant toute forme de changement réel et d’intelligence qui permettent de mettre en œuvre le noble principe de communauté médiane.

Réinventer de la civilisation : logique, justice et sens

Il faut énoncer de nouvelles formes de vie, de nouvelles voies, un nouveau projet de société qui articule les trois conditions fondamentales pour réinventer de la civilisation : de la logique, de la justice et du sens. Sinon la régression obscurantiste, le cynisme et la marchandisation du monde vont mener à l’abîme. Les êtres humains revendiquent des compensations à nombre de privations. Si ne pointent pas à l’horizon ni éducation équilibrée et société du savoir, ni participation politique, ni débats, ni critères clairs d’élévation dans la hiérarchie sociale, ni possibilité de travail, ni dignité : la rébellion, la subversion, la violence sociale et la fuite seront les répliques d’interminables séismes.

Il n’est ni impossible ni impensable de mettre fin au sous-développement. Il faut s’attaquer aux causes. Le poids nouveau dans les relations internationales de courants humanistes et leur tentative d’allier authenticité et modernité est un signe d’espérance.

Sans apologie ni dénigrement, mobiliser, responsabiliser les citoyens en phase avec leur État de droit est le chemin porteur d’avenir, de civilisation. C’est à ce niveau que le problème se pose. Il n’y a pas de malédiction, mais il y a des irréductibles raisons d'espérer, comme les valeurs du jeûne et le refus vivace de s’abandonner à la lassitude. Il y a des approches ouvertes à retrouver et des nouvelles alliances à bâtir. Jeûner, c’est aussi penser, pour éveiller, anticiper et civiliser.


* Mustapha Cherif est philosophe, professeur des universités et auteur d’ouvrages sur le vivre-ensemble et le dialogue des cultures.





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