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Histoire

Père Christian Delorme : « La fraternité est le seul avenir de la société française »

Rédigé par Mérième Alaoui | Mardi 10 Décembre 2013 à 01:33

           

Le Père Delorme fait partie des marcheurs historiques de 1983. C’est lui qui a coordonné toutes les étapes et organisé les contacts avec les pouvoirs publics.



Christian Delorme et Farid Arar, en 1983.
Christian Delorme et Farid Arar, en 1983.

Salamnews : Avec le recul, 30 ans déjà, comment percevez-vous cette aventure incroyable ?

P. Christian Delorme : C’est vrai qu’on se dit : quelle force il a fallu, quel enthousiasme, quelle espérance à quelques jeunes d’un quartier assez défavorisé pour avoir envie de se lancer dans pareille épopée pour finalement arriver au but ! Il a fallu qu’il y ait beaucoup de confiance. Encore aujourd’hui, c’est cela qui me sidère ! Beaucoup de ces jeunes n’avaient jamais quitté leur quartier ni leur famille. Et ils sont partis à la rencontre d’une France qu’ils ne connaissaient pas, c’est ça qui tient un peu du miracle. Dans cette Marche, ils étaient porteurs d’une parole de fraternité, on aurait pu l’appeler « la Marche de la fraternité » !

Est-ce que la place de la religion faisait partie des débats des marcheurs en 1983 ? Quelle place a eu l’Église ?

P. Christian Delorme : Quasiment pas, c’est là qu’il y a un grand changement avec aujourd’hui. Bien sûr, l’islam est présent de manière importante au début des années 1980, mais cela ne fait pas débat dans la société française ou très peu. Beaucoup de ceux qui ont fait la Marche étaient habités d’une spiritualité musulmane ou chrétienne, mais cette dimension n’était pas mise en avant. Le mouvement était très pluriel, c’est ce qui fait son originalité. Quant à l’Église, on ne peut pas séparer cet événement de toute une histoire de solidarité qui remonte aux années 1950. L’Église avait déjà une longue tradition, depuis la guerre d’Algérie, d’accueil et de solidarité avec les familles immigrées. C’était très enraciné dans l’Histoire de France…

Quel est votre plus beau souvenir de la Marche ?

P. Christian Delorme : Je retiens surtout une très grande fraternité, assez étonnante d’ailleurs… Car ce groupe était composé de gens d’âges différents, de milieux sociaux différents, d’histoires familiales différentes, de religions différentes. Dans un contexte très difficile qui était celui des meurtres racistes, on a vécu un temps de fraternité, un peu comme un rêve !

Avez-vous des regrets sur l’organisation ou les conséquences de la Marche ?

P. Christian Delorme : Je n’ai pas de regret sur l’organisation. Mais sur les fruits de la Marche, oui. La manière dont les pouvoirs publics ont manqué la main tendue offerte, c’est un ratage. Ils se sont retrouvés avec le mouvement de toute une jeunesse de France qui demandait à être reconnue, à être aimée et à être partenaire de la société. Or les pouvoirs publics et les médias n’ont pas su saisir l’occasion de reconnaître la pleine citoyenneté et la pleine légitimité de cette jeunesse. Encore aujourd’hui, c’est difficile…

Justement, si comparaison n’est pas raison, car les années 1980 étaient les plus meurtrières en actes racistes, quels parallèles peut-on établir entre 1983 et 2013 ?

P. Christian Delorme : Le racisme est une maladie et même une réalité monstrueuse qui est toujours tapie dans le cœur de l’homme. À l’occasion de situation de crise, de rivalité sur le marché de l’emploi, il y a de nouveau le surgissement de ce mal. On voit aujourd’hui que c’est du refoulé. La manière dont la ministre Christiane Taubira est insultée renvoie à des images véhiculées pendant des siècles de mépris de l’Occident à l’égard du monde noir. Je reste persuadé que la société française n’est pas guérie de son passé colonial ! Heureusement, les meurtres racistes sont beaucoup plus rares. Mais il ne faut pas se leurrer, on peut très bien retrouver des périodes de grandes violences. Il faut faire très attention.

Cela ne vous donne-t-il pas envie comme hier de vous engager politiquement ?

P. Christian Delorme : Aujourd’hui comme hier, je suis resté fidèle à ces combats. À l’époque, j’avais une position importante car j’avais déjà un passé militant et des réseaux. Mais il était important de m’effacer ensuite pour laisser la place aux jeunes. Mais c’est difficile de militer quand on est jeune et au chômage. Et lorsque j’entends ces discours ouvertement racistes, cela donne envie de monter plus souvent au créneau, c’est vrai… La fraternité est le seul avenir de la société française.

Christian Delorme, La Marche. La véritable histoire qui a inspiré le film, Bayard Éd., novembre 2013, 212 p., 16 €.





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