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Points de vue

Mais où sont passés tous les martyrs occidentaux de Daesh ?

Rédigé par Alain Gabon | Lundi 11 Juillet 2016 à 12:54

           


Mais où sont passés tous les martyrs occidentaux de Daesh ?
Ramadan vient juste de se terminer, et l’on peut factuellement évaluer l’ampleur de la réponse des musulmans de France, et au-delà du monde occidental (Amérique du Nord et Europe incluses), aux appels répétés de l’État Islamique (EI) sommant les musulmans de transformer nos sociétés en un bain de sang à l’occasion de ce mois sacré.

En effet, depuis mai dernier, un mois avant le début du Ramadan (et depuis 2014 plus généralement à la suite de la décision du président François Hollande de participer à la coalition Obama), l’EI n’a de cesse d’appeler les musulmans du monde entier à attaquer tous les pays « mécréants » ennemis du « califat », au premier rang desquels se trouve la France.

Le 22 mai dernier, son porte-parole Abou Mohamed al-Adnani avait réitéré cet appel à transformer les Etats-Unis et l’Europe en bain de sang ininterrompu pendant cette période de jeûne.

Ramadan 2016 : une période particulièrement propice au jihadisme

Le risque d’une vague d’attentats terroristes à travers toute l’Europe, nous affirmèrent nos professionnels de la peur, se trouvait encore accru du fait de deux facteurs exacerbant grandement ce risque :

1. le début de la saison touristique et estivale, période propice aux attentats avec ses foules considérables et ses nombreux évènements qui drainent les masses dans toute la France, comme l’Euro 2016 ;

2. les défaites militaires et les pertes territoriales de plus en plus sévères de l’EI sur son territoire « syrakien » : c’est désormais l’existence même du « califat » qui se trouve menacée après la perte des deux tiers de son territoire en Irak et de 20 % de ses terres syriennes, sans compter les morts de militants en hausse et les recrutements et financements, eux, en baisse vertigineuse. La nécessité de « punir » ceux qui l’attaquent s’en retrouvait grandement intensifiée.

Pour l’EI et ses sympathisants, la motivation à commettre des attaques est donc bel et bien passée au stade de survie existentielle depuis déjà plusieurs mois, et la période du Ramadan devait signaler cela à tous les pays occidentaux.

De plus, le Ramadan accroit les motivations de passer à l’action : en effet, dans la théologie jihadiste d’Al-Qaida ou de Daesh, un combattant qui meurt en martyr pendant le Ramadan accède plus rapidement au paradis. On avait donc pendant cette période un alignement parfait des étoiles jihadistes produisant un risque maximal, puisque tous les facteurs (géopolitiques, religieux, circonstanciels et autres) se trouvaient brusquement réunis pour pousser les « radicaux » à l’action.

Par conséquent, ce mois de Ramadan nous offrit aussi une occasion parfaite d’évaluer empiriquement l’ampleur de cette « radicalisation violente » et de cette « menace jihadiste » avec laquelle tous nos médias, politiques et intellectuels ne cessent de nous effrayer.

Or, qu’a-t-on observé en France, dans le reste de l’Union européenne (28 pays en comptant la Grande-Bretagne qui en fait toujours à ce jour partie), aux États-Unis ou au Canada ?

Les accusations de « radicalisation islamiste violente » démenties

En tout et pour tout, même en considérant les attaques qui ont échoué, à peine une poignée de musulmans dans la totalité du monde occidental sont passés à l’action : Omar Nateen à Orlando, Larisso Abdalla à Magnanville, et tout au plus quelques déséquilibrés comme celui de Rennes qui le 14 juin tenta sans succès de tuer une jeune femme pour faire un « sacrifice » pendant le Ramadan.

Voilà donc à quoi s’est résumée la réponse de nos compatriotes musulmans français, américains, espagnols, allemands ou anglais aux appels de Daesh : deux attaques réussies commises par deux musulmans sur des millions (4 millions en France, 3,6 aux Etats-Unis, 20 millions dans toute l’Union européenne, etc.), plus une poignée de malades ici ou là qui s’étaient improvisés « jihadistes incompétents », dans le pire des cas.

Même en incluant les attaques déjouées ou ratées par des désaxés cliniques et isolés, la proportion des musulmans occidentaux qui ont répondu aux injonctions pressantes de Daesh est donc de l’ordre du 0,0001 %. Littéralement.

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Voilà donc l’étendue de cette « radicalisation jihadiste violente » avec laquelle les Valls, Cazeneuve et toutes les têtes parlantes de plateaux télévisés (genre Mohamed Sifaoui) nous assomment de jour comme de nuit.

Du fait que le risque était bien à son apogée, on est donc en droit de se demander : mais que sont donc devenus ces milliers d’« islamistes radicalisés » et de « jihadistes » réels ou potentiels qui constitueraient, nous dit-on, une menace imminente pour toute la civilisation occidentale ? Où sont donc passés ces hordes de dangereux « martyrs » avérés ou en puissance, qui prolifèrent prétendument par milliers dans nos pays et n’attendent que de se donner la mort lorsque le devoir les appelle ?

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Des politiques antiradicalisation aux résultats incertains

On rétorquera que s’il n’y eut quasi aucun attentat en France et en Europe pendant ce mois à hauts risques, cela est dû à l’efficacité des mesures de prévention contre la radicalisation ou au déploiement des forces armées dans la lutte contre le terrorisme.

Sans nier le rôle que ces mesures ont hypothétiquement pu jouer, ces contre-arguments sont cependant extrêmement faibles : d’abord, il n’existe absolument aucune preuve de quelque nature que ce soit (rapport, étude, etc.) que la prévention contre la radicalisation en France ou ailleurs (programmes « Prevent » ou « Channel » en Angleterre, etc.) est d’une quelconque efficacité.

De plus, on ne cesse de critiquer le gouvernement français sur le fait que, justement, il n’existe chez nous aucune politique de prévention de la radicalisation digne de ce nom. On ne peut donc attribuer cette absence de martyrs occidentaux au succès de politiques qui sont au mieux à leur phase embryonnaire.

Enfin, même dans les cas où ces politiques et programmes de contre-radicalisation existent et sont bien rôdés (le cas « Prevent » étant le mieux connu), non seulement leur efficacité reste non prouvée voire inexistante, mais on s’accorde généralement à dire que ces programmes ont échoué. Pire, ils auraient eux-mêmes contribué à radicaliser des individus initialement intégrés et pacifiques (du fait des effets de stigmatisation, de harcèlement, d’exclusion, etc., qui découlent de ces politiques contre lesquelles nombre de musulmans sont désormais vent debout.)

S’agissant de l’idée, déjà complaisante, que la présence policière ou militaire aurait dissuadé des jihadistes potentiels : depuis quand un jihadiste a-t-il peur des policiers ou peur de mourir ? C’est au contraire ce qu’il recherche car, sans cela, point de martyr.

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Moins d’attentats en Occident avant les plans antiterrorisme

Par ailleurs, les données françaises montrent qu’il y avait en réalité moins d’attentats « islamistes » avant la mise en place de tous ces plans, et que l’on ne peut établir aucune corrélation entre plans gouvernementaux antiradicalisation ou antiterrorisme et nombre d’attentats.

On consultera à ce sujet la plus grande banque de données existante, celle de la Global Terrorism Database, basée à l’université du Maryland, qui recense et étudie de façon exhaustive tous les attentats terroristes non étatiques commis ou tentés dans le monde. Pour la France, l’étude montre l’extrême rareté des attaques dites « jihadistes » que ce soit avant la séquence atypique Charlie Hebdo-13 novembre ou après. (En examinant toutes les données depuis 2006 ou en remontant encore plus loin, on voit clairement que 2015 fait exception). Il en est de même de tous les autres pays occidentaux, selon cette étude consultable pays par pays.

Certes, durant ce mois de Ramadan, on pourra dire qu’il y a eu beaucoup plus de morts et d’attentats ailleurs dans le monde, hors Occident. Cela est vrai. Mais, d’une part, cela ne change rien à ce qui est dit ici concernant la totalité des sociétés occidentales et qui est facilement vérifiable (pas ou très peu d’attentats même dans cette période de risque maximal du Ramadan 2016). D’autre part, la quasi-totalité de ces attaques ont eu lieu dans quelques pays pour la plupart déjà plongés en pleine guerre depuis des années, comme l’Irak et le Yémen, qui sont des « États faillis ».

Non, les musulmans européens ne seront pas des martyrs

Reste donc la question : « Que sont donc devenus tous ces martyrs occidentaux ? »

Question rhétorique, car certains chercheurs de pointe y ont déjà répondu. (Pour les anglophones, voir la remarquable étude universitaire américaine « Ces martyrs absents. Pourquoi il y a si peu de terroristes musulmans »).

Chez nous, la réponse est simple : si les martyrs du jihad ont encore une fois manqué à l’appel en ce mois de Ramadan 2016 comme ils y avaient déjà manqué pendant les mois de Ramadan 2015 et 2014 alors que Daesh était en pleine expansion et avait déjà ciblé la France, c’est tout simplement parce qu’il en existe depuis toujours si peu, et que cette « menace jihadiste » et cette prétendue vague de « radicalisation islamiste » sont exagérées jusqu’à l’absurde, et à dessein, par les médias et politiques qui trouvent tous leur beurre dans cette instrumentalisation de la peur.

Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y aura pas d’attentats dans le futur proche ou lointain. Il y en aura, et il est même possible que quelques illuminés se réservent pour l’après-Ramadan. D’autant que le risque ici semble accru de façon mathématique au fur et à mesure que l’EI perdra là-bas ses territoires : ne pouvant plus conserver leur précieux « califat », nos jihadistes « syrakiens » se reporteront sur l’étranger.

Quoi qu’il en soit, les musulmans de France et d'Europe, dans leur immense majorité, ont d’ores et déjà démenti les accusations sans cesse portées contre eux de complaisance, voire de sympathie, pour l'extrémisme et la « tentation jihadiste ».

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Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreux articles sur la France contemporaine et la culture française.







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