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Politique

Ces musulmans qui usent de la religion pour (dé)légitimer le vote

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Samedi 29 Mars 2014 à 11:18

           

A l'heure où des responsables de mosquées n'hésitent plus appeler leurs fidèles à aller voter, une voix singulière a émergé lors de ces municipales : celle de musulmans qui choisissent délibérément de s'abstenir pour des raisons religieuses. L'abstention risque une fois de plus de battre des records au second tour des municipales, mais la religion n'en sera la cause que pour une infime minorité.



Voter, est-ce halal ou haram ? Bien que rares, des musulmans en sont encore à se poser la question, relancée en cette période d'élections municipales par une petite frange de la communauté bien décidée à faire campagne contre le vote pour des raisons religieuses.

Les militants d'Anâ-Muslim (« Je suis musulman » en arabe) sont de ceux-là. Sur son site Web, l'association, qui existe depuis trois ans, se présente comme « une structure associative islamique francophone promouvant la restauration idéologique de l’esprit, du dogme et de l’identité musulmane ainsi que sa protection pour le musulman vivant en Occident et en France plus particulièrement ». Pour se conformer à cet objectif, elle a lancé une campagne, ces dernières semaines, qui surprend, y compris parmi les musulmans. Sous l'Intitulé « Préserve ta foi, ne vote pas », Anâ-Muslim milite pour l’abstention, en propageant l'idée que voter va à l'encontre des valeurs islamiques.

Le tract d'Anâ-Muslim
Le tract d'Anâ-Muslim

Des tracts pour l'abstention

Pour sensibiliser à sa cause, Anâ-Muslim a choisi les mêmes armes que les candidats aux élections municipales. Des tracts et des affiches sont les supports choisis pour diffuser ses messages. Les internautes sont invités à les imprimer, puis à les distribuer et à les coller dans des lieux où se concentre la communauté musulmane.

Sur ses documents, une argumentation est développée pour montrer le caractère haram (illicite) du vote. On peut ainsi lire que « voter, c'est reconnaître le pouvoir des hommes sur terre et leur donner la souveraineté absolue de créer leurs lois qui n'ont rien à voir avec l'islam » ou qu'« élire des personnes qui auront pour fonction de créer des lois, c'est donner des associés à Allah ». Chaque argument se veut infaillible par une sourate du Coran ou des hadiths.

Sur le site, on trouve aussi une vidéo d'un musulman anglophone réfutant point par point les arguments de savants ayant émis des fatwas autorisant le vote. Celui-ci met surtout en évidence le fait que voter est haram lorsqu'on se trouve dans un Etat non islamique et qu'il ne faut donc pas élire des personnes qui pourront faire passer des lois allant à l'encontre des lois religieuses comme le mariage homosexuel.

« Des jeunes revenus vers Allah »

Convaincus, plusieurs musulmans ont joué le jeu à quelques jours du premier tour. Sur une vidéo publiée sur la page Facebook de l'association, on s'aperçoit ainsi que des tracts ont été distribués à Lyon aux musulmans qui sortaient de la mosquée après la prière du vendredi, le 21 mars.

« De Paris à Marseille, en passant par Toulouse et Lyon (et leurs banlieues), nos tracts ont été distribués partout. Nous avons eu des échos assez retentissants de notre campagne ! », écrit Anâ-Muslim dans un bilan de sa campagne publié sur son site après le premier tour. « Nous avons eu – lors de nos distributions – des surprises extraordinaires. Une grande majorité de jeunes que nous avons rencontrés – convaincus de l’intérêt du vote – sont revenus vers Allah après notre argumentation. Ils ont décidé de ne plus voter », poursuit l'association.

Selon leurs dires, leur message passerait mieux qu'ils ne l’espéraient alors qu'il doit être compris par les musulmans qu'ils ne sont pas de bons fidèles d'Allah en allant voter. « Nous nous apercevons que tout ce fléau d’immobilisme n’est que le fruit de l’ignorance semée par les démocrates et républicains "musulmans" parmi les prédicateurs et imams de nos mosquées », ajoutent-ils, en référence aux multiples appels au vote lancés par des responsables de lieux de prière et d'associations musulmanes.

Des mosquées militent pour le vote

Une soixantaine de mosquées et d'associations musulmanes de la région parisienne s'étaient ainsi réunies sous ce mot d'ordre, samedi 15 mars, à l’invitation du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). D'autres lieux de culte en ont aussi fait de même en divers lieux et diverses occasions électorales.

Le CCIF, partie prenante de la campagne « Aux urnes, citoyens ! », a renouvelé son message. En pleine hausse continue des actes islamophobes, l'ensemble des musulman-e-s sont invité-e-s à « prendre part à une citoyenneté active et ne plus laisser les propos stigmatisants dominer le débat politique ». L'association n'a pas donné de consignes de vote mais, ailleurs, des responsables associatifs musulmans n'hésitent plus à soutenir un candidat ou à appeler à en sanctionner un autre. Pour tous, la participation électorale n'est en rien opposée à l'islam, bien au contraire.

L'exemple des prophètes contre Anâ-Muslim

Entre les deux visions du citoyen musulman qui s'affrontent et devant le taux d'abstention élevé observé pendant les municipales, faudrait-il conclure qu'Anâ-Muslim a mieux réussi son pari auprès des musulmans que les partisans du vote ? Loin de là. « Nous sommes très loin encore de cette abstention active que nous souhaitons (celle qui sera volontaire et militante vers le dîn d'Allah) », concèdent eux-mêmes les membres de l'association. Comme souvent, l’abstention est le fruit de la perte de confiance des citoyens – musulmans ou non – dans les politiques.

« La responsabilité de cet absentéisme incombe à des personnes qui ne sont pas soucieuses de l’avenir de la communauté. Des imposteurs qui appellent clairement à ne pas aller voter. Ils n’ont pas le moindre sens des priorités. C’est scandaleux de voir sur Internet des slogans comme "Préserve ta foi, ne vote pas" », a dénoncé Havre de savoir sur son site. L'association proche de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) avait été alertée par le message porté par Anâ-Muslim qui totalise plus de 6 000 J'aime sur Facebook.

« C’est scandaleux et épuisant d’être aussi naïfs et de suivre ces imposteurs qui appellent à l’abstention », déplore-t-elle, rappelant « l’exemple du prophète Youssouf (Joseph, ndlr), sur lui la Paix, qui a occupé la fonction de ministre dans un pays dirigé par un homme qui se prenait pour Dieu (Pharaon) ».

« La vie du Prophète (Muhammad) à La Mecque, que ce soit avant ou après la Révélation, fut remplie de participations engagées dans la vie sociale », indique également Ounis Guergah, professeur de droit musulman comparé et directeur scientifique de l'Institut européen des sciences humaines de Paris (IESH) de Paris, dans un texte publié sur le site de l'UOIF en décembre 2013. Le Conseil européen de la fatwa et de la recherche, dont il est membre, a d'ailleurs émis une résolution qui autorise la participation aux élections, précise-t-il.

Cheikh Ounis Guergah.
Cheikh Ounis Guergah.

Le vote interdit pour les uns, obligatoire pour d'autres

« La participation aux élections est ainsi non seulement autorisée, mais elle est très recommandée, car elle constitue une forme d’alliance et de soutien au profit du bien de la société en général et des musulmans en particulier. Cette participation peut parfois devenir obligatoire » comme lorsque « les musulmans sentent que leur abstention peut profiter aux extrémistes et à ceux qui veulent instituer une société d’intolérance, d’exclusion ou de racisme », argumente-t-il. C'est en présentant ce cas de figure que des organisations musulmanes montent au créneau pour inciter les musulmans à se rendre aux urnes. Le vote est présenté comme une arme de contre-pouvoir. Malgré cela, l'appel au vote massif de la communauté musulmane n'est pas encore d'actualité.

Attribuer un caractère obligatoire au vote laisse des musulmans perplexes. C'est oublier que ne pas voter est aussi un droit, plus encore quand elle fondée par la conviction. En face, la démarche d'Anâ-Muslim ne saurait convaincre pour son sectarisme qui ne dit pas son nom et qui ne prend pas en compte les réalités du terrain. Et ne pas voter ne signifie pas ne plus participer au « système » politique et économique tant dénoncé... Comme dans toute situation, les musulmans sont invités à faire le choix du juste milieu, selon la situation qui se présente à eux.






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