Connectez-vous S'inscrire

Points de vue

Al-Sissi, Salan, Habré : divergences et convergences (1)

Rédigé par Jamal Mimouni | Mercredi 26 Août 2015 à 10:44

           


Le maréchal Abdel Fattah al-Sissi est devenu l'homme fort de l'Egypte après son coup d'Etat entériné par une élection présidentielle, avec 96,1 % des suffrages. Il est ici au côté du président François Hollande, invité d'honneur de l'inauguration du nouveau canal de Suez, le 6 août 2015.
Le maréchal Abdel Fattah al-Sissi est devenu l'homme fort de l'Egypte après son coup d'Etat entériné par une élection présidentielle, avec 96,1 % des suffrages. Il est ici au côté du président François Hollande, invité d'honneur de l'inauguration du nouveau canal de Suez, le 6 août 2015.
Il y a des personnages qui se ressemblent sans s’assembler. Au risque de mettre à dure épreuve les connaissances des lecteurs de Saphirnews sur l’Histoire contemporaine, nous nous risquerons de mettre dans un même panier trois tristes sires dont les vicissitudes de l’Histoire ont fait que leur parcours divergent bien qu’ils soient fait du même bois, celui des tyrans.

Il s’agit de Salan, la tête pensante de la première tentative de coup d’État militaire de l’Europe contemporaine, Hissène Habré le sanguinaire dictateur tchadien, et « Sissi imperator », le général félon et nouveau dictateur égyptien. Beaucoup d’autres combinaisons auraient été possibles vu la richesse de la faune de dictateurs, mais cette combinaison particulière liée à la terre africaine présente des similitudes frappantes et une poignante leçon de morale.

Nous accorderons cependant à Abdel Fattah al-Sissi la part du lion dans nos propos, compte tenu de la proximité des événements qui le concernent, notamment le massacre de Rabia al-Addawiyya, dont nous commémorons les deux ans, et l’impitoyable répression contre l’opposition qui se déroule devant nos yeux. Un élément additionnel est la turpitude de l’Égypte de Sissi envers la cause palestinienne et son revirement historique qui est bien le résultat direct du coup d’État.

La position déshonorante des gouvernements occidentaux n’était pas trop inattendue au vu de l’histoire contemporaine qui démontre à chaque fois que leurs grands principes s’évaporent lorsqu’ils interfèrent avec leurs intérêts. Ici c’est le support de leurs intérêts vitaux, où figure en bonne place la politique d’Israël, en échange de leur silence pour la terrible répression. En fait, on ne peut comprendre la position de l’Égypte vis-à-vis de Gaza sans une rétrospective concernant l’Égypte de Sissi, ce quoi nous nous attellerons à faire en premier lieu.

Égypte : la révolution de 2011 mise en prison

Le gouvernement actuel en Égypte est le fruit d’un coup d’État exécuté en juin 2013 sous couvert de manifestations populaires anti-Morsi et par lequel le président élu démocratiquement fut déposé, le gouvernement démis, le Parlement ‒ cette autre instance élue ‒ dissout et la Constitution tout juste adoptée par référendum suspendue puis abrogée. Toutes ces instances légales furent suspendues au nom d’une force illégitime non issue de la volonté populaire. Même le mouvement de contestation civil Tamaroud, fortement manipulé par l’armée par ailleurs, ne demandait, faudrait-il le rappeler, que des élections anticipées.

Tous les éléments d’un coup de force étaient là aveuglants de clarté. Et pourtant le reste du monde, à part l’Organisation des pays africains, la Turquie et les pays d’Amérique du Sud, hypocritement se refusa de le nommer pour ce qui l’était, notamment un coup d’État militaire. Ce dernier, exécuté dans la pure tradition du tiers-monde, fut couvert par les « forces vives » de la nation, les partis libéraux, les socialo-nasséristes, al-Azhar, l’Église copte, une partie des Salafistes, et un cache-sexe du nom de Mohamed el-Baradei, Prix Nobel de la paix, dont son parti était crédité de quelques pourcents des intentions de vote dans toute consultation populaire. Bref un aréopage de forces que rien n’unit à priori si ce n’est, pour des raisons assez évidentes, leur manque de courage de se présenter à toute consultation électorale pour changer démocratiquement les choses.

Puis ce fut le massacre un certain 14 août 2013 sur la place de Rabia al-Adawiyya, juste après l’Aïd, sous les caméras du monde, d’un bon millier d’opposants au coup d’État, des hommes, des femmes et des enfants mitraillés, brûlés, écrasés. S’ensuivit une répression sanglante et des vagues de centaines de condamnations à mort de dirigeants et cadres du parti vainqueur, ainsi que de simples manifestants lors de procès grotesques et iniques qui feraient rougir de jalousie les dirigeants nord-coréens.

Le double problème de légitimité du général Sissi

En fait, le général al-Sissi a un double problème de légitimité. Tout d’abord, en toute logique, il aurait dû être proscrit pour avoir entériné toutes les décisions du cabinet de Morsi où il siégeait pendant tous ces mois et pour lequel le président Morsi fait maintenant l’objet d’accusations souvent grotesques telles que intelligence avec l’ennemi, complot contre l’État égyptien, sabotage de l’économie nationale. Puis il renversa la table et se rebella contre Morsi, qui était constitutionnellement le chef des forces armées.

Dans le premier cas, il est coupable selon le « nouvel ordre » égyptien d’avoir fait partie du gouvernement Morsi et donc d’avoir trempé dans ses « complots » et autres malversations dont ce gouvernement est accusé. Il devrait donc être arrêté et jugé pour purger une peine de prison comme la plupart des autres ministres de Morsi, puisque ‒ circonstances aggravantes pour al-Sissi en tant que ministre de la Défense et chef de la Sécurité militaire ‒ il était nécessairement au courant de tous les « complots » de son président qu’il n’a pas dénoncés…

Dans le second cas, il est un général félon, traître à la légalité constitutionnelle durant l’ère Morsi pour avoir organisé un coup d’État contre son supérieur hiérarchique et pour lequel dans tous les États au monde la punition est le peloton d’exécution.

Le chant du cygne du nationalisme arabe

Comment expliquer que l’Égypte, ce chantre du panarabisme depuis Nasser ait pu devenir le partenaire de Netanyahou dans l’agression sauvage contre Gaza ? Comment comprendre qu’une coalition militaire arabe se constitue avec pour but l’écrasement d’une rébellion tribale des Houthis au Yémen alors que le monde arabe du Soudan en Irak et en Syrie, en passant par la Libye croulent sous des crises immensément graves, et qu’Israël, l’ennemi déclaré de tous sans aucune voix discordante, se complaît dans son occupation sauvage et sa colonisation rampante des Territoires occupés ?

En fait, ce nationalisme arabe qui est le socle idéologique de bien des pays arabes et dont l’Égypte en était le héraut, est devenu une coquille vide. La Ligue arabe qui n’a jamais brillé par son efficacité est devenue, quant à elle, dans les mains des pays du Golfe, qui achètent les décisions par leur influence financière malgré leur poids démographique négligeable, et est même accessoirement au service de la propagande Israélienne [1].

Comment une armée qui s’est distinguée lors de la guerre d’Octobre 1973 pour reconquérir le Sinaï et que l’on pensait être imbue de nobles sentiments de solidarité pour un peuple frère dans la tourmente peut-elle accepter sans aucun état d’âme apparent de jouer de complice dans un jeu immonde de massacre comme a subi l’été dernier les quelque 2 millions de Palestiniens de Gaza, puis de sceller encore plus hermétiquement sa frontière avec eux ?

Si l’Histoire nous était contée à rebours, nous aurions considéré comme impensable que l’armée égyptienne accepterait sans se révolter cette ignominie pour laquelle l’Égypte n’a finalement rien à gagner si ce n’est l’impitoyable jugement futur de l’Histoire. Cela est bien la preuve historique que ce nationalisme arabe était surtout un fonds de commerce juteux et que, lorsqu’il ne rapporte plus de dividendes, on le sacrifie aux intérêts immédiats.

Note
[1] Mark Regev, porte-parole du gouvernement israélien, dans ses interviews considère clairement la Ligue arabe comme un partenaire indispensable aux négociations et un gage de « sérieux » de l’initiative de cessez-le-feu égyptienne. En revanche, la proposition américaine du vice-président John Kerry, le plus proche allié d’Israël, fut descendue en flamme ! Voir aussi ici.

****
Jamal Mimouni est professeur au département de Physique à l'université de Constantine-1 et vice-président de l'Arab Union for Astronomy and Space Sciences.





SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !