Culture & Médias

Y'a Bon Awards, l'humour au service de l'antiracisme

Le best-of du pire du racisme pointé du doigt

Rédigé par | Jeudi 12 Mai 2011 à 15:42

A chacun son festival de Cannes. Les Y'a Bon awards, la cérémonie qui « récompense » les auteurs des répliques médiatiques les plus racistes, tient sa troisième édition lundi 23 mai au Cabaret sauvage, à Paris. Claude Guéant, Eric Zemmour, Marine Le Pen et bien d’autres personnalités politiques et médiatiques devraient se voir remettre des récompenses par un prestigieux jury composée, entre autres, de Josiane Balasko, Pape Diouf, Sihem Souid ou encore le cinéaste Radu Mihaileanu. Retour sur l’initiative lancée par l’association les Indivisibles avec Gilles Sokoudjou, son président.



Les auteurs de propos racistes de l'année seront « recompensés » aux Y'a Bon Awards, qui se dérouleriont le 23 mai prochain au Cabaret Sauvage.

Saphirnews : Quel sens donnez-vous à l’existence des Y’a Bon Awards ?

Gilles Sokoudjou : Notre objectif est de lutter contre le racisme et de montrer que les Indivisibles existent. On est une association composée de 150 membres, principalement en région parisienne, et nous avons décidé de créer, il y a trois ans, un évènement « les y’a bon awards » [voir teaser plus bas] dans le but de combattre le racisme, devenu quelque peu ordinaire de la part d’élites, de journalistes, de philosophes, d’écrivains et surtout d’hommes politiques qui avaient et qui ont toujours un discours plein de préjugés et empreint de racisme et de xénophobie.

On a jugé, avant la création des Y’a Bon Awards, que leurs propos n’étaient absolument pas combattu. C’est un travail qu’on faisait dans le quotidien mais dans la lignée de notre identité et de ce qui nous différencie des autres associations (de lutte contre le racisme, ndlr), à savoir combattre le racisme avec une pointe d’humour et d’ironie, on a décidé d’aller jusqu’au bout de notre logique en décernant carrément des prix aux auteurs de propos racistes au cours de l’année.

Vous le dites vous-même : le racisme se banalise, notamment auprès des élites et cela ressurgit auprès de l’opinion publique. A-t-on vraiment raison de rire du racisme?

G. S. : On ne considère pas qu’il faille rire du racisme mais nous utilisons le rire, l’humour et l’ironie pour retourner contre les auteurs de propos racistes notre indignation et montrer que leurs propos nous choque et nous dérange. Plutôt que de prendre le parti de les mettre à l’index, de jouer les censeurs et les donneurs de leçons, on a décidé d’aller à l’encontre de cela et d’utiliser le rire pour ridiculiser d’autant plus les auteurs.
On ne rigole pas du racisme mais on utilise l’humour comme arme contre ceux qui se croient drôles, intelligents et qui croient que ce qu’ils disent est une vérité absolue pour faire réagir nos concitoyens. C’est notre mode d’expression. On déconstruit les préjugés, on les explique et les analyse. L’humour n’est pas le seul vecteur mais ça fait partie de l’ADN des Indivisibles mais cela ne nous empêche pas de s’interroger sur les carences de la société, ses progrès et ses défaillances.

La cérémonie récompense les auteurs de répliques racistes mais peu d’entre eux sont poursuivis par la justice. Comment l’expliquez-vous ? Les Y’a Bon Awards implique-t-il d’éventuelles poursuites ou plaintes ?

Gilles Sokoudjou, président des Indivisibles
G. S. : Il y a deux types de propos qu’il faut pouvoir différencier : d’une part les propos racistes qui tombent sous le coup de la loi et du délit d’incitation à la haine raciale ou à la discrimination raciale ; et d’autre part des propos qui sont empreints de préjugés, des raccourcis faciles qui tendent à expliquer certains faits en faisant des associations malheureuses mais qui ne peuvent être punis par la loi. Si on prend l’exemple de Liès Hebbadj, des amalgames ont été réalisés sur sa personne en raison de son parcours et de son mode de vie et qui n’avait pas lieu d’être.
On se bat sur les deux types de propos, notamment ceux qui sont du vocable commun et que personne ne relève comme les propos stigmatisant à l’encontre d’une population. Lorsqu’on a des débats sur les minarets, la burqa ou la place de l’islam au sein de la République, ce ne sont pas des propos qui peuvent être sanctionnés mais ils stigmatisent une population et cela nous dérange.

Porter plainte quand on trouve des propos racistes, il y a déjà d’autres associations qui le font mais on ne s’interdit pas de le faire. Seulement la loi est très claire : ne peuvent porter plainte ou bien se constituer parties civiles que les associations qui ont cinq ans d’existence. Nous allons fêter notre cinquième anniversaire l’an prochain. On ne s’interdira pas de porter plainte alors dès lors qu’on aura reçu toutes les assurances pour que nos plaintes puissent être recevables.

Que faire pour prévenir ce genre de dérapages ?

G. S. : Nous mettons à l’index les personnes qui ont une responsabilité dans la société civile. Deux exemples : Eric Zemmour a été condamné pénalement pour ses propos mais il est toujours à l’antenne des médias où il officie. Brice Hortefeux a aussi été condamné pour ses propos stigmatisant les Arabes mais il n’a pas été démis de ses fonctions ministérielles. Même lorsqu’il y a sanctions pénales, il n’y a pas de sanctions de la part de la société. Les gens restent en place et on fait comme s’il ne s’était absolument rien passé.

Face à cela, renforcer tout cet arsenal législatif servira-t-il à quelque chose ? Certainement, il peut prévenir les dérapages mais nous insistons sur le fait qu’il faut déconstruire les préjugés et expliquer en quoi ce que certains disent est raciste. Dernier exemple en date : celui de la FFF où les verbatim montrent très clairement qu’il y a eu projet de discriminations. Mais cela n’a pas suffit à la ministre des Sports pour transmettre le dossier au parquet.

Vous sentez-vous de plus en plus écouté au fil des éditions des Y’a Bon Awards ?

G. S. : On se sent beaucoup plus écouté, c’est normal. On a construit un mouvement qui est relativement identifié par les médias parce qu’il communique d’une certaine façon et que l’utilisation de l’humour n’est pas banal comme procédé. Notre voix n’est pas encore déterminante mais les médias et surtout nos militants attendent notre réaction désormais.

Quel bilan dressez-vous depuis la dernière cérémonie ? Quels changements observez-vous ?

G. S. : Il y a un changement manifeste, on est tombé dans une surenchère au niveau des propos les plus racistes sans qu’ils ne soient combattus. L’islamophobie a été à son paroxysme lorsque on a commencé à opposer l’islam et la laïcité ou à parler du halal, des minarets, de la burqa. Nous sommes dans une situation très grave et qui n’augure rien de bon à l’approche des élections présidentielles de 2012 où on est déjà en train de nous vendre la présence de Marine Le Pen au second tour. On n’est évidemment pas satisfait de ce qui se passe et on est même plutôt dans une phase de régression puisque qu’on est même en train de remettre en doute l’existence des associations antiracistes.

La faute aux personnalités politiques ?

G. S. : La réponse est toute trouvée. Pour nous, la politique menée par le gouvernement actuel stigmatise une population et certaines catégories de Français non-blancs et qui a pour conséquence l’augmentation des actes islamophobes depuis un an. Cela n’est pas le fruit du hasard. Il y a un mouvement de fond et une politique menée sur le terrain qui veut déchoir la nationalité à des Français « d’origine étrangère ». Il y a eu un projet de déchéance de la nationalité pour ces derniers et cela nous indique finalement qu’on n’est pas Français à part entière. Tout cela participe bien évidemment au durcissement et à la radicalisation de certains discours.

Quels sont les nouveaux venus dans la liste des nominés cette année ?

G. S. : Nous ne communiquons pas encore sur les nominés mais les catégories, qui changent tous les ans, seront bientôt dévoilées. Mais ce n’est très difficile à savoir. Des hommes comme Claude Guéant, Eric Zemmour et Robert Ménard seront bien évidemment aux Y’a Bon, ce n’est pas une surprise si vous faites un flash-back de l’année écoulée.

Enfin, quel impact pensez-vous qu’une telle initiative a sur l’opinion publique ou la sphère médiatique ?

G. S. : L’impact est à double tranchant. Je trouve que la société accepte beaucoup de propos et d’actes qui nous indignent. Avec le travail de compilation fait en l’espace d’un an, on en arrive à ce que la cérémonie soit reconduite et en ça, c’est une marque de régression. Si on arrive à faire une troisième édition, c’est qu’on a su trouver des propos qui valaient le coup d’être mis en avant auprès de l’opinion publique. Maintenant, il faut voir quelles sont les actions à mettre en place pour que cela ne se répète pas. Un fort impact de cette cérémonie est aussi une façon de démontrer à nos membres et nos soutiens qu’on combat bien ces propos avec nos moyens.

Seriez-vous heureux le jour où vous n’aurez plus à organiser de Y’a Bon Awards ?

G. S. : On n’a pas vocation à faire les Y’a Bon Awards tous les ans. Peut-être que les Indivisibles n’existeront plus d’ici un ou 10 ans mais en tous cas, on agira sous d’autres moyens et formes d’expressions. Je ne pense pas qu’on puisse supprimer tous les propos racistes de la société d’un coup de baguette magique. Par contre, notre travail est de décortiquer, de déconstruire, d’aller à la rencontre des jeunes, de tenir des stands… Au-delà des Y’a Bon, nous devons faire connaître nos diverses activités pour mieux lutter contre le racisme.




Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur