Points de vue

Un héros mystique dans le soufisme : la figure de l’Homme parfait

Rédigé par Abir Bee et Nadia Kamel | Vendredi 10 Mars 2017 à 14:30



La voie mystique du soufisme serait, selon Eric Geoffroy, la dimension spirituelle, ésotérique, intérieure de l’islam, la tariqa. Elle prône la recherche de l’excellence (« ihsan ») auquel le soufi tend.

Désigné comme la science des cœurs, le soufisme expérimente une observation profonde et intuitive de la religion. Bagdad, capitale du califat abbasside, a formé l’essentiel de la doctrine soufie aux IXe et Xe siècles. Les soufis travaillent sur divers thèmes, tels que l’Unicité (« tawhid ») comme l’imam Junayd qui est le premier soufi à s’être interrogé sur la signification de l’Unicité.

L’école soufie va ainsi montrer que ce n’est pas la peine de chercher à renoncer au monde, il faut connaitre le monde parce que le monde est une théophanie divine, c’est-à-dire la manifestation de Dieu sur Terre. En observant le monde et en voyant la beauté du monde, je vois la beauté divine. Ibn Arabi explique, par ailleurs, que « tout ce qui est créé est en perpétuel voyage ». Le soufi n’a jamais rien d’acquis, il y a avant tout une remise en question de soi-même à chaque instant.

Peinture de S. a. Noory.
Le concept d’Homme parfait (« al Insan al Kamil ») implique le délaissement des sciences exotériques usant du raisonnement et de la logique tel que le droit pour mieux éclairer de l’intérieur la loi et les rites de l’Islam en utilisant l’intuition, la gustation et la contemplation. Il y a ainsi une volonté de percer l’opacité et les mystères de ce monde. Il initie la recherche et l’aspiration à la Vérité intérieure et spirituelle du monde (haqiqa) qui est son instrument de création.

Ibn Arabi explique en effet que la haqiqa, est la réalité intérieure, spirituelle du monde, de l’Islam et de soi-même : c’est une seule et même chose. Quelqu’un qui a un éveil spirituel vit la charia comme une réalité spirituelle.

Durant la civilisation arabo-musulmane, pléthores de héros se sont succédé tels que Ibn Arabi, Junayd Al-Baghdadi ou encore l’Emir Abdelkader. Ils ont contribué à la société tant au niveau intellectuel que spirituel.

En suivant la voie initiatique, et par extension la voie de la perfection, le soufi renouvelle le pacte scellé entre Dieu et les hommes avant l’incarnation sur Terre. C’est ainsi que le soufi lutte contre les attaches mondaines et corporelles.

Ainsi, l’Homme parfait est la copie totalisante de tout ce qui se trouve dans le monde et de tous les Noms de la présence divine. En ce sens, il se distingue de l'homme ordinaire. En effet, « serviteur de tous les Noms », il est le serviteur d'Allah par excellence. A travers le passage par un certain nombre d’étapes et d’états spirituels, l’Homme parfait va se rapprocher de Dieu et donc devenir le réceptacle de la théophanie divine. Il peut, dans ce cas, représenter et manifester de par son aspiration à la haqiqa, un héros.

Calligraphie « Allah » de Yacine Deradra
Selon Eric Geoffroy dans son ouvrage « Le soufisme », « le soufi est l'amoureux de la Vérité, c'est celui qui par les moyens de l'amour et de la dévotion va vers la Perfection dont tout le monde réellement est en quête. Comme le nécessite la jalousie de l'amour, le soufi est détaché de tout à l'exception de la Vérité Réelle. Pour cette raison, il est dit dans le soufisme que "ceux qui sont intéressés par l'au-delà ne peuvent pas donner d'importance au monde matériel. De la même façon, ceux qui sont préoccupés par le monde matériel ne peuvent pas être intéressés par l'au-delà. Mais le soufi (à cause de la jalousie de l'amour) est incapable de s'occuper de l'un ou de l'autre de ces deux mondes." »

Dieu se qualifie comme étant le « trésor caché », l’Homme parfait devant extraire les perles de ce trésor en lui-même. Ainsi, l’Homme parfait n’est pas un héros usuel. C’est de par la quête qu’il va mener que tout homme n’initie pas qu’il va devenir son propre héros mais aussi par extension l’Héros de l’humanité car il aura mené les tumultes de son existence avec une volonté continuelle de rapprochement vers Dieu.

L’accès à l’état d’Homme parfait est ainsi conditionné par des voies d’accès exotériques à la haqiqa, vivifiées par un préalable nécessaire de cheminement ésotérique vers cette même haqiqa.

Quelques références bibliographiques

Eric Geoffroy, Le soufisme, Eyrolles, Paris, 2013.
Eric Geoffroy, Le soufisme, voie intérieure de l’islam, Seuil (coll. Points-Sagesses), 2009.
Faouzi Skali, La voie soufie, Albin Michel, Spiritualités Vivantes, 2000.
Ahmet T. Karamustafa, Sufism : the formative period, Edinburgh University Press, 2007.
Attar, Farid, Ud-Din. — La Conférence des Oiseaux. “Routledge Kegan Paul”, L., 1961.
Rumi Jalaluddin — Le Mathnawi. Vol. 1-8. L.-Leiden, 1925-1940.

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Abir Bee, juriste, et Nadia Kamel, linguiste, sont membres d'El Médina, une association animée par la volonté de partager la connaissance et la compréhension de l'histoire, la culture et l'héritage de la civilisation arabo-musulmane. El Médina, en partenariat avec Saphirnews, propose chaque semaine de partir à la redécouverte de cette civilisation.