Points de vue

Sortie des radars médiatiques, la Palestine n’est plus

Les récits de Bent Battuta

Rédigé par | Vendredi 3 Mars 2017 à 14:33



TARQUMIYA. – Tarqumiya est un village qui ne vous dira rien. Tarqumiya est un village rural du Proche-Orient où la plupart des habitants étaient et sont des paysans qui font depuis des siècles de l’agriculture de l’olive et du raisin les sources de leur subsistance.

Tarqumiya est un village palestinien dans la région d’Hébron ; Al Khalil pour les arabophones ; et Khévron pour les populations hébraïques.

C’est grâce à Sumod que j’ai découvert ce petit village loin des sentiers qu’empruntent certains militants et quelques touristes osant défier la réputation de violence qu’arbore la ville.

Sumod a été ma collègue avant de me lier d’amitié avec elle. Lors de notre première rencontre, nous nous sommes retrouvées à Berlin sur l’ancienne ligne de fracture de la Guerre froide entre l’Est et l’Ouest, qui avait divisé l’Allemagne et des familles entières.

Autour de nous, nous avions composé une équipe, d’activistes, d’insoumis du Proche-Orient. De Beyrouth à Rabat, en passant par Sana et Jérusalem, nous étions jeunes et farouchement optimistes. La plupart de mes camarades avaient connu au moins une guerre, un conflit armé. Nous étions aux lendemains des Printemps arabes. Nous avions rêvé et écrit pendant une semaine passée dans cette capitale européenne les grands desseins de notre mouvement et actions, dont l’objectif était de faire émerger une génération d’hommes et de femmes capables de dessiner un avenir radieux, démocratique et pluraliste.

À l’heure où j’écris, la jeune Gazaouie, après avoir survécu au pilonnage de sa maison par l’armée israélienne, a fui à l’étranger ; Mohamed le Yéménite a vu sa ville détruite et son pays mourir sous le joug et les bombardements saoudiens ; les militants de la démocratie égyptienne meurent lentement sous la dictature d’Al-Sissi ; Nimrod et Henriette, les deux Israéliens, l’un juif, l’autre chrétienne, ont quitté Tel Aviv et sa fausse insouciance pour New York.

À nos dépens, nous avons appris que l’Histoire n’est jamais linéaire et qu’après des bouleversements immenses l’avenir n’est pas (toujours) radieux.

Sumod et moi sommes de la même génération, partageons une langue en commun, de nombreuses passions et ce lien indéfectible, doux et vivant qui nous lie avec la Palestine, sa langue et son Histoire.

Lorsque j’étais plus jeune, ma première marche militante, de manifestation, était pour manifester mon soutien pour la Palestine. Aussi loin que je puisse remonter, Jérusalem m’a toujours fascinée. C’est en m’y recueillant et me prosternant aux côtés de ma mère que j’ai mesuré mon amour pour ce centre de la civilisation. Ma civilisation et mon histoire. Et c’est en voyant les larmes de ma mère couler que j’ai compris cet ineffable pour moi.

Il y a encore quelques années, dans certains cercles, la cause palestinienne constituait l’alpha et l’oméga de tout militant qui se respecte. J’en faisais partie. Depuis l’actualité des Printemps arabes, l’apparition de l’État dit islamique, les attentats terroristes dans notre pays et en Europe, la Palestine est sortie de nos radars.

Il y a quelques mois, un professeur d’Histoire m’a demandé d’animer dans ses classes des ateliers sur la région proche-orientale. J’ai été étonnée de voir à quel point les jeunes de la nouvelle génération ignoraient ce champ. L’Irak et la Syrie sont sur toutes les bouches. La Birmanie aussi.

La Palestine n’est plus. Ici et là, de temps en temps, on se souvient que des terres sont inlassablement spoliées. Il y a quelques années, un ami et ancien juriste international consultant pour les diplomates palestiniens a écrit un livre où il déclare que l’État palestinien ne verra jamais le jour ( (Ziyad Clot, Il n’y aura pas d’État palestinien, Éd. Max Milo, 2010). J’aurais tant aimé qu’il eut tort.

Avant sa mort, Edward Saïd, éminent intellectuel du siècle passé, palestinien et arabe, avait écrit un essai intitulé Les Causes perdues, parmi lesquelles la cause palestinienne...

La semaine passée, j’ai échangé au téléphone avec Sumod. Entre deux banalités et échanges sur les derniers plats cuisinés appris, nous parlons de son petit frère. En Palestine, il y a une réputation selon laquelle toutes les familles palestiniennes ont eu au moins un frère, un père, un oncle, un fils dans les geôles israéliennes au moins une fois dans leur vie. Autant vous dire que ce n’est absolument pas une légende urbaine. Karim, son frère cadet, a été arrêté dans son lit à l’âge de 15 ans. La raison invoquée ? D’avoir eu envie ou l’idée de jeter des pierres sur la colonie installée sur la montagne d’à côté. Il y passera un an et demi, sans vraiment de procès. Sorti, il ne finira jamais ses études contrairement aux autres membres de sa fratrie. Il y a moins d’un an, l’armée israélienne est repassée. Cette fois-ci, il sera emprisonné quatre mois.

Karim et Sumod sont des victimes. Victimes d’un conflit séculaire. D’un conflit qui ne fait plus la une de nos journaux télévisés.

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.



Ancienne professeure d'Histoire-Géographie dans le 9-3 après des études d'Histoire sur les… En savoir plus sur cet auteur