Société

S'excuser pour l'EI ? Les musulmans de France disent leur exaspération

Rédigé par Maria Magassa-Konaté et Hanan Ben Rhouma | Vendredi 26 Septembre 2014 à 06:05

Trop nombreuses sont les exactions de l'Etat islamique et une des dernières en date, la décapitation du l'otage Hervé Gourdel, a choqué l'opinion publique française. Les projecteurs sont de nouveau braqués sur les musulmans de France, naturellement solidaires des victimes de l'EI. Mais l'exaspération a gagné les membres de cette communauté qui ne comprennent pas pourquoi ils devraient, plus que personne parmi leurs concitoyens, hausser le ton contre des extrémistes auxquels ils ne sont pas liés et des actes dont ils ne sont aucunement responsables. Les réseaux sociaux témoignent de leur agacement.



A chaque exaction de l'Etat islamique, une pluie de communiqués d'indignation des organisations musulmanes de France nous tombe. A nouveau, elles ont condamné sans détour la décapitation de Hervé Gourdel par le groupe algérien Jund al-Khilafa, nouveaux alliés de l'EI dans la construction d'un prétendu califat.

Pour renforcer l'impact de ses prises de positions publiques, elles ont lancé un appel commun réunissant notamment le CFCM, l’UOIF et l’Union des Mosquées de France (UMF), précédé par un rassemblement à la Grande Mosquée de Paris le 9 septembre en faveur des chrétiens d'Orient. Elles sont autant de réactions qui reflètent l'opinion d'une écrasante majorité de musulmans, qui se sont vigoureusement opposés au groupe terroriste dès cet été.

Veut-on vraiment prendre la peine de les écouter ? Malgré cette mobilisation, à laquelle il faut aussi compter les initiatives locales et individuelles aux quatre coins de France, des voix se font encore entendre pour réclamer plus aux musulmans. En somme, montrer systématiquement patte blanche. En écho à cet appel, Le Figaro ne s'est pas gêné, jeudi 25 septembre, de poser la question suivante : « Assassinat d'Hervé Gourdel : Estimez-vous suffisante la condamnation des musulmans de France ? »

Sur les réseaux sociaux, le tollé est immédiat. Parmi la flopée de réactions, l’ancienne ministre Cécile Duflot a vilipendé sur Twitter un sondage « irresponsable et indécent ». Le hastag #SondeCommeLeFigaro est même créé pour tacler le journal. Ces contestations forcent le journal à retirer son sondage. « Notre question du jour pouvant prêter à des interprétations regrettables, Le Figaro a décidé de la retirer », s'est expliqué le quotidien.

Le discours du « choc des civilisations » actualisé

Dans un communiqué, la Société des journalistes du Figaro a condamné « l’ineptie du sondage réalisé ce matin sur son site internet ». « La question laisse entendre que la communauté musulmane dans son ensemble puisse être complice ou faire preuve de complaisance à l’égard de terroristes », concèdent les journalistes.

Faute avouée est à moitié pardonnée, dit-on. Toujours est-il que cette question, déplacée au regard de la réalité du terrain, a légitimé les positions de politiques et d'intellectuels qui, comme BHL ou Christian Estrosi, favorisent l'amalgame. Après la mort d’Hervé Gourdel, le député-maire de Nice a aussi agité le spectre du choc des civilisations entre l’Occident et l’islam. « Que la France se réveille ; que la France soit capable de comprendre que nous avons aussi le devoir de défendre une civilisation dont nous sommes les héritiers et qui aujourd’hui subit des menaces sur tous les territoires », a-t-il lancé. Et voici que s'exprime la politique de la peur.

La dérision pour arme

La question du Figaro s’inscrit dans ce contexte de méfiance vis-à-vis de la communauté musulmane. Parce qu'ils n'ont rien à se reprocher, les musulmans de France ne sont pas prêts à se soumettre à cette exigence mal venue de justification car leur désolidarisation de l'EI coule de source.

Alors quand des musulmans britanniques ont lancé la campagne Not in my Name, et bien qu'elle réponde dans sa forme à cette exigence éthique consistant à dénoncer la défiguration de l'islam par l'EI, de très nombreux internautes n’ont pas adhéré à l'initiative, en signe d'agacement à l'injonction qui leur est faite de devoir (encore) prouver leur absence de liens avec l’EI. Au hashtag sans grand succès #PasEnMonNom, celui de #lesmusulmanss'excusent (ou #MuslimApologies) lui a succédé sur Twitter. La dérision est au rendez-vous.


Consciente de la stigmatisation vécue par les musulmans, la rédaction du site d’informations Rue 89 a lancé de son côté le hastag #onapasdemandé.


Le CCIF dit non aux manifestations

« Il serait temps d'arrêter de culpabiliser les musulmans pour des actes dont ils ne sont PAS responsables », fait remarquer dans la même veine le Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF) dans un communiqué, jeudi 25 septembre.

L’association dit ne pas soutenir le message porté par le hastag #NotInMyName. « Les musulmans ne doivent pas jouer le jeu islamophobe qui consiste à les placer en coupable et suspect idéal, les poussant sans arrêt à se justifier par rapport aux agissements de tiers », estime le CCIF, qui illustre son propos avec l’image d’un bouddhiste sous la légende « Dois-je m’excuser pour le génocide des Rohingyas en Birmanie ? » et celle d’un couple de juifs avec l’interrogation « Doit-on s’excuser pour le massacre de civils en Palestine ? » Le problème soulevé ici : que les musulmans sont toujours ceux à qui l’on demande de régler des comptes, pas les autres communautés, tout autant membres de la grande famille de l'humanité.

Le CCIF se « désolidarise également de l'appel à manifester lancé par des institutions cultuelles » comme la Ligue islamique du Nord et le CFCM, qui appellent à « un moment de recueillement et de solidarité devant la Mosquée de Paris », vendredi 26 septembre devant la Grande Mosquée de Paris.

Attentive à ne pas être taxée d’immobilisme par les autorités et la presse - malgré ses condamnations univoques de l’EI - l’institution a décidé d’organiser cette initiative. Mais son inaction face au conflit de Gaza, le plus cité parmi les internautes, lui est rappelée. Si le rassemblement du vendredi (annoncé tardivement) n’attire pas les foules,* il ne faudra pas y déceler une indifférence, synonyme de compassion pour les détracteurs de l'islam, à la cruauté de l'EI de la part de musulmans, qui aspirent à être considérés comme des citoyens à part entière, ni plus ni moins.

* Mise à jour vendredi 26 septembre : Des centaines de personnes se sont rassemblées devant le lieu de culte, en présence de nombreuses personnalités politiques dont la maire de Paris, Anne Hidalgo.