Points de vue

Ramadan 2014 : la Grande Mosquée de Lyon se positionne

Rédigé par Kamel Kabtane et Bruno Guiderdoni | Vendredi 20 Juin 2014 à 06:00



A quelques jours du début du Ramadan, le mois du jeûne rituel (ou siyam), la communauté musulmane de France constate avec inquiétude la persistance de divisions profondes en son sein, sur la façon de déterminer le premier jour du mois. La cacophonie de l’année dernière, qui a vu la décision de débuter le jeûne, prise le soir, être remise en cause au cours de la nuit, risque de se reproduire, sous une forme ou sous une autre, cette année. Nous nous alarmons de cette inquiétude et, plus encore, des divisions qui en sont la cause.

Que s’est-il passé, au juste, pour que l’on en soit arrivé là ? Un accord entre le CFCM (en fait, son ancienne présidence) et l’UOIF, signé en 2013, précisait que le premier jour du Ramadan devait être déterminé par le calcul astronomique. Cet accord, mal appliqué l’année dernière, demeure valable, selon une partie de la communauté, mais reste toujours contesté par une autre partie de la communauté, qui souhaite mettre en œuvre la méthode de l’observation directe.

Du point de vue théologique, les deux attitudes semblent défendables : les partisans du calcul insistent sur l’existence des lois de la nature, créées par Dieu, ceux de l’observation directe sur l’aspect symbolique de la contemplation directe du ciel, et la conformité à l’exemple des premiers musulmans.

Des questions doivent être posées

Comme toujours quand il s’agit du calendrier islamique, et donc de la détermination du début du Ramadan, neuvième mois de ce calendrier, il faut revenir aux principes. Le calendrier islamique est fixé pourvu que l’on réponde à trois questions : quel est le critère pour commencer le mois ? Peut-on se contenter de calculer ce critère ou faut-il aussi une observation directe ? Dans quelle zone la décision doit-elle s’appliquer ? L’accord du CFCM et de l’UOIF instaure le calcul sur la base du critère suivant : il suffit que le premier croissant lunaire soit visible en un point quelconque de la Terre.

Le vendredi 27 juin, la nouvelle lune ayant lieu à 10 h 08, heure française, le croissant ne sera visible, ce vendredi soir, ni en Asie, ni en Afrique, ni en Europe. Quand le croissant sera visible ce soir là, en Amérique du Sud avec un télescope et sur les îles du Pacifique à l’œil nu, nous serons le matin du samedi en France à cause du décalage horaire. Si nous décidions de jeûner à partir du samedi 28 juin, comme le prévoit l’accord CFCM-UOIF, cela signifierait que nous aurions pris cette décision en fait le vendredi soir (puisque l’entrée dans le mois se fait la veille au soir), alors que personne encore sur Terre n’aurait vu à ce moment là le croissant. Et ceux qui exigent l’observation visuelle, n’ayant pas vu le croissant le vendredi soir, ne pourront prendre leur décision qu’à partir du samedi soir, quand le croissant sera visible, et commencerons ainsi à jeûner le dimanche 29 juin.

La réconciliation impossible ?

Pourquoi donc l’accord entre le CFCM et l'UOIF, qui utilise le calcul, ce qui est incontournable dès lors que l’on doit faire des prévisions, adopte-t-il un critère pour le début du mois (la vision de croissant en un point quelconque de la Terre) si extrême qu’il rend impossible, dans la grande majorité de situations, la réconciliation avec les partisans de l’observation visuelle en France ?

Les deux méthodes sont incompatibles la plupart du temps, et spécialement cette année : en conséquence, il y aura deux dates pour le début du mois. Il aurait été si simple d’adopter le calcul, certes, mais avec un autre critère, la visibilité du croissant en un point quelconque de la France métropolitaine. A partir du moment où le croissant est visible, les moyens d’observation actuels permettent de le voir effectivement, en dépit des aléas météorologiques locaux, comme le montre l’expérience de réseaux d’astronomes amateurs musulmans (par exemple, l’Observatoire lunaire des musulmans de France fondé récemment). Les tenants du calcul avec ce nouveau critère et ceux de l’observation seraient alors tombés d’accord sur la date du dimanche 29 juin pour le premier Ramadan.

Il est sans doute trop tard pour cette année, mais il serait souhaitable que les autorités musulmanes puissent modifier légèrement leur accord en ce sens, pour produire un calendrier fondé sur le calcul de la vision en France, et établir en parallèle un partenariat avec des réseaux d’astronomes amateurs, voire le réseau d’observatoires nationaux, afin de garantir que la vision sera bien effectuée le jour prévu, indépendamment des aléas météorologiques locaux. Il faudra ensuite un grand effort de pédagogie, pendant toute l’année, pour expliquer cette position de réconciliation. C’est la seule voie pour réunir, au sein de la communauté musulmane nationale, les sensibilités les plus diverses, pour mettre d’accord ceux qu’on pourrait appeler les « anciens » et les « modernes » et aussi, d’une certaine façon, pour trouver une façon originale d’articuler l’approche scientifique et les différentes lectures des textes religieux.

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Kamal Kabtane est recteur de la Grande Mosquée de Lyon.
Bruno Guiderdoni est astrophysicien et directeur de l’Observatoire de Lyon.