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Nada al-Hassan : « Après-guerre, le patrimoine a un rôle de réconciliation »

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Rédigé par | Mercredi 30 Novembre 2016 à 08:00

Face aux destructions de sites archéologiques et de bâtiments historiques à une échelle jamais atteinte depuis la Seconde Guerre mondiale, comment sauvegarder le patrimoine ? Entretien avec Nada al-Hassan, chef de l’Unité des États arabes, au Comité du patrimoine mondial à l’Unesco.



(de g. à dr.) Assaad Seif, archéologue, conseiller du ministre de la Culture du Liban ; Nada al-Hassan, chef de l’Unité des États arabes, au Comité du patrimoine mondial à l’Unesco ; Maamoun Abdulkarim, directeur général des Antiquités et des Musées de Syrie.

Parmi les 55 sites classés dans la liste du patrimoine en péril, quels sont, pour vous, les plus emblématiques ?

Nada al-Hassan : Les sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial ont une valeur universelle exceptionnelle : en ce sens, ils sont tous emblématiques. La destruction de certains d’entre eux était instrumentalisée pour gagner une guerre psychologique : plus ces sites avaient une valeur universelle, plus leur destruction intentionnelle était spectaculaire et médiatisée.
Ce qui me vient à l’esprit, c’est Palmyre, bien sûr, mais aussi le musée de Mossoul. Il y a des bâtiments ou des sites qui ne sont pas inscrits sur la liste du patrimoine mondial mais qui sont d’une très grande valeur comme le site archéologique de Khorsabad, en Irak, ou comme une mosquée du IXe siècle au Yémen, qui a été détruite parce qu’il s’y trouve une tombe d’une soufi vénéré par la communauté.

A-t-on estimé les pertes financières ?

Nada al-Hassan : C’est comme si vous me demandiez pour La Joconde ! Peu importe le coût, c’est la valeur morale, infinie, que l’on perd. C’est inestimable et irrécupérable.

En quoi la qualification des destructions des 14 mausolées de saints musulmans par Ansar Dine en « crimes de guerre » par la Cour pénale internationale apporte une avancée ?

Nada al-Hassan : La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a fait une déclaration significative, parce qu’elle a expliqué à quel point détruire le patrimoine culturel est une destruction de l’être humain, de ses droits, de sa dignité, de son intégrité. Ce procès montre que les crimes contre le patrimoine ne sont pas impunis. Car les destructions intentionnelles œuvrent à la destruction, à l’annihilation de l’autre et pour l’imposition d’une certaine vision du monde. La condamnation par la CPI est, espérons-le, un pas pour empêcher que ces destructions se perpétuent à une échelle importante comme ces dernières années au Yémen, en Irak, en Syrie, en Tunisie et ailleurs.

Quelles sont les mesures mises en œuvre pour renforcer la protection du patrimoine culturel et archéologique ?

Nada al-Hassan : En 2003, la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU interdit le commerce d’œuvres en provenance de l’Irak pour empêcher le trafic illicite après le pillage du musée de Bagdad en 2001. L’an dernier, la résolution 2199 du Conseil de sécurité de l’ONU, consacrée à la lutte contre le financement du terrorisme, réitère l’interdiction du commerce des œuvres irakiennes et ajoute l’interdiction du commerce des œuvres en provenance de Syrie. Dans le cadre de la convention pour la lutte contre le trafic illicite, l’Unesco et Interpol sont appelés par le Conseil de sécurité à suivre la mise en œuvre de cette résolution.

Cela n’empêche pas le marché noir. Comment y remédier ?

Nada al-Hassan : Cela est très difficile de remédier au marché noir. Mais nous mettons en place des formations pour les polices de douane dans les pays concernés et les pays qui leur sont limitrophes. Nous organisons des réunions internationales avec les acteurs du marché de l’art pour rappeler les codes d’éthique et essayer de créer des mécanismes nouveaux pour empêcher toute vente illégale d’objets. Mais les mafias sont au-dessus de la loi et le trafic ne va pas seulement dans les pays limitrophes, il s’étend en Europe, dans les pays du Golfe, en Asie du Sud-Est et en Asie centrale : c’est un marché international.

Une fois que bâtiments, œuvres ou sites archéologiques ont été détruits, envisage-t-on de les reconstruire ? Comment en conserver la mémoire ?

Nada al-Hassan : Ces questions importantes sont débattues au sein du Comité du patrimoine mondial et au sein de l’ICOMOS (Conseil international des monuments et des sites), qui est notre organe consultatif pour la culture. Nous avons travaillé avec des experts du patrimoine sur la question de la restauration et de la reconstruction après guerre. Il n’y a pas de normes internationales, de réflexions assez articulées sur ces questions, car beaucoup de ce qui se passe est nouveau. Ces destructions intentionnelles à une échelle aussi grande n’existaient pas vraiment depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous réfléchissons avec les acteurs de ces pays où le patrimoine a été restauré dans le cadre de réconciliation après guerre. Je pense à la Bosnie-Herzégovine, à l’Afghanistan, au Cambodge, où la restauration du site d’Angkor est toujours un moteur de reconstruction du pays.

Détruits par les talibans en 2001, les bouddhas géants, hauts de 53 m et de 38 m, édifiés il y a plus de 1 500 ans dans la vallée de Bâmiyân, en Afghanistan, n’ont pas été reconstruits. Le site archéologique de Bâmiyân est inscrit sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’Unesco. (photo © Graciela Gonzalez Brigas / UNESCO)
Il y a plusieurs niveaux : un niveau social où le patrimoine est appelé à jouer un rôle de réconciliation. Un niveau philosophique sur le rôle du patrimoine et quelle approche avoir.
Pour le moment, le Comité du patrimoine mondial recommande, pendant les guerres, de ne pas prendre de décisions ni de faire des projets de restauration. Mais de se limiter aux consolidations et aux protections d’urgence, pour laisser la place à une réflexion approfondie, inclusive et participative de tous les acteurs concernés, après, dans les situations de paix. Pour ne pas avoir à prendre des décisions hâtives et pour œuvrer à ce que le patrimoine joue vraiment un rôle positif dans la restauration et la reconstruction des pays.

L’une des voies est-elle aussi de sensibiliser les religieux ?

Nada al-Hassan : L’Unesco travaille avec les États membres de l’Unesco et ses interlocuteurs ne sont pas les leaders religieux. Ce qui est dans notre mandat, c’est la promotion de la diversité culturelle et de l’acceptation et du respect de l’autre. Et dans ce cadre, la directrice générale a lancé une campagne #Unite4Heritage lancée sur les réseaux sociaux, qui est faite pour les jeunes, pas seulement dans les pays arabes, car nous pensons que les jeunes de tous les pays du monde qui peuvent être unis pour le patrimoine. Elle ne s’adresse pas seulement aux jeunes musulmans ni qu’aux pays arabes car ce n’est pas de leur responsabilité si des extrémistes, en leur nom, détruisent leur culture. S’adressant au monde entier, #Unite4Heritage est une campagne qui justement veut déplacer le débat d’un débat religieux à un débat universel.

Première parution de cet article dans Salamnews, n° 60, novembre-décembre 2016.



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur