Points de vue

Musulmans de France, ne tombez pas dans ce (nouveau) piège du foulard !

Rédigé par Saïd Daoui | Lundi 30 Décembre 2013 à 06:05

24 ans après la première affaire dite « du foulard » à Creil et quasi 10 ans après la loi du 15 mars 2004 portant sur les signes « ostensibles », voilà que nous assistons à un nouvel épisode avec la (non)décision du Conseil d’Etat. En effet, cette haute juridiction saisie par le Défenseur des droits devait expliciter, ce 23 décembre, la circulaire Châtel sur les « mamans voilées » accompagnatrices des sorties scolaires.



L'avis du Conseil d'Etat rendu lundi 23 décembre pose en réalité davantage de problèmes qu’il n’en résout. Il donne effectivement une fausse apparence d’équilibre en rappelant que les mères voilées ne sont pas soumises à une neutralité religieuse tout en autorisant les chefs d’établissement à « recommander [aux parents accompagnateurs] de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

Bien que le rappel juridique sur la liberté religieuse soit fait, cet avis constitue une brèche qui ne manquera pas d’être exploitée. Au lieu de trancher définitivement, dans les faits, elle laisse le personnel de l’Education nationale interdire à certaines mamans d’accompagner des élèves lors de sorties scolaires.

Cet avis pour le moins nuancé fait penser à celui qui fut rendu par la même juridiction il y a près d’un quart de siècle. A l’époque, des principes clairs pour le coup avaient été établis tolérant le port de signes religieux à la condition que cela ne contrevienne pas à l’ordre public. Or, cette décision, qui laissait les établissements juger du trouble à l’ordre public, a servi de point de départ au législateur pour modifier la loi dans le sens d’un durcissement après bien des atermoiements et des polémiques.

Une histoire qui se répète

C’est bien ce que met en évidence ce nouvel épisode : la répétition d’un cycle infernal qui va cliver davantage la société. Cette même spirale à laquelle l’on assiste depuis près d’un quart de siècle déjà. Car cet avis va très probablement relancer une énième polémique sur la question dite du foulard et déchaîner les passions ; et ce, comme souvent, à quelques mois d’échéances électorales majeures…

Les défenseurs autoproclamés de la « laïcité-en-danger-face-au-communautarisme » vont de nouveau crier au loup en répétant à qui veut l’entendre qu’il y a péril en la demeure à cause de quelques foulards que l’on ne saurait voir : le durcissement de la loi de 2004, déjà très restrictive, serait donc inéluctable si l’on veut sauver notre modèle républicain.

D’un autre côté, beaucoup de musulmans, se sentant stigmatisés, vont réagir à la vindicte médiatique et politique par une indignation plus ou moins véhémente en réaffirmant leur citoyenneté ou en dénonçant cette « islamophobie institutionnalisée ». C’est peu ou prou la même spirale infernale qui se met en marche depuis près d’un quart de siècle. Cela fait effectivement 25 ans que les musulmans sont acculés à se déterminer « pour ou contre le foulard » ; le débat glisse ensuite rapidement vers la question de l’adhésion ou non des musulmans à la laïcité quand il ne s’agit pas carrément de la compatibilité de l’islam avec la démocratie.

Au final, les musulmans se trouvent dans l’obligation de prouver leur réelle citoyenneté. Il n’est d’ailleurs pas exclu que d’autres sphères de la société soient concernées par une interdiction de signes religieux dans quelques temps. La tentative avortée de l’adoption d’une loi contre le port de signes religieux pour les « nounous » en est l’illustration ou encore les évocations récurrentes des entreprises et universités

Ces longs et pénibles débats laissent de profondes séquelles dans les consciences des uns et des autres. Cela permet de renforcer les hérauts autoproclamés de la laïcité dans leur prétention à défendre et à renforcer les principes laïques de la République. La laïcité sert ainsi de prétexte pour légitimer des mesures de plus en plus restrictives pour, pensent-ils, préserver la « maison France » d’une dénaturation venue d’ailleurs…

Cela a également ancré chez beaucoup de musulmans l’idée qu’ils sont régulièrement stigmatisés et que leur place n’est pas tout à fait entière en France. En d’autres termes, ils sont les mal-aimés de ce pays qui est pourtant le leur.

En finir avec la réaction passionnelle et émotionnelle

Soyons clair : indéniablement une partie influente de la classe politique et médiatique utilise de basses manœuvres pour empêcher l’épanouissement serein du fait musulman en France. Elle refuse de regarder le visage du pays tel qu’il est. Cependant, les musulmans se doivent de ne pas être constamment dans la réaction émotionnelle et passionnelle.

Ainsi, les musulmans, au lieu d’être acteurs du jeu politique, comme tout citoyen, deviennent les enjeux de celui-ci. Ils sont réduits en définitive à être spectateurs d’une pièce de théâtre qui se joue bien souvent à leur encontre. Après déjà un quart de siècle de cette même mise en scène, il est enfin temps d’endosser des rôles qui n’ont pas été décidés par d’autres !

En effet, en réagissant souvent dans la passion et l’émotion, les Français de confession musulmane ne font que jouer le jeu que d’aucuns souhaitent les voir jouer : celui de repoussoir et d’« épouvantail » politique. Et ce stratagème fonctionne à merveille : une grande majorité de Français perçoit l’islam et les musulmans au mieux comme des éléments exogènes à la France, au pire comme des « dangers » ou des « risques ».

Les musulmans ne sont certes pas entièrement responsables de cette instrumentalisation politique qui est faite sur leur dos mais il est de leur responsabilité de bien réfléchir sur les rouages de la société pour les investir. Une réflexion concertée doit être menée notamment par les acteurs de différentes sphères (associatives, économiques, intellectuelles, politiques…) pour agir en amont de toutes ces polémiques stériles. S’indigner d’être malmenés par les médias et certains politiques de tous bords ou de la montée des extrêmes ou encore de l’islamophobie est bien dérisoire pour qui veut être pleinement un citoyen respecté.

Agir en amont en étant présent dans les lieux décisionnels semble incontournable pour espérer sortir des fourches caudines du jeu politicien. Pour ce faire, il faut sortir d’une position victimaire constamment revendicatrice pour être dans l’action contributive dans différents domaines. Autrement dit, il s’agit d’adopter un comportement rationnel totalement dépassionné et sans rancune.

Sans quoi les musulmans seront toujours condamnés lors d’échéances électorales à choisir, au mieux, entre la « peste et le choléra » ou, au pire, à se demander s’il est « halal » de voter pour un personnel politique perçu comme « islamophobe »…

S’investir réellement

Chaque citoyen de confession musulmane sensibilisé se doit, en fonction de ses préférences politiques et de ses disponibilités, de s’investir au niveau local dans un premier temps puis national dans un second temps.

Cela peut paraître une lapalissade aujourd’hui de dire que seul un investissement politique important et intelligent (accompagné d’un poids économique encore plus important et d’une action sociale significative) permettra de rééquilibrer la balance des rapports de force ; mais la réalité est implacable : le taux de participation électorale des musulmans est encore très faible au regard de ce qu’il pourrait être. Pendant que les musulmans se demandent s’il est nécessaire (voire « halal ») de voter, des stratégies d’accession au pouvoir à leur détriment s’érigent. Les musulmans doivent faire preuve d’audace en s’investissant de façon massive.

Par ailleurs, il est, à mon sens, vain d’attendre que tous les musulmans adoptent un comportement politique homogène. Les Français de confession musulmane, et c’est heureux, ne forment pas un corps monolithique compacte. Leurs opinions, leur parcours et aspirations sont naturellement très divers. En revanche, cela n’empêche pas d’élaborer des plateformes d’échanges communes au-delà des sensibilités politiques des uns et des autres. C’est une erreur de penser que les musulmans occuperont une place digne dans ce pays par la seule voie contestatrice, revendicatrice ou juridique. Les situations évoluent, avec les mentalités, aussi et surtout par un travail de terrain réfléchi et posé, loin des fantasmes et des lamentations.

Beaucoup parmi les musulmans se sont déjà engagés dans cette voie. Il est nécessaire aujourd’hui que toutes ces initiatives dans leur grande diversité trouvent un début de synergie pour espérer un changement. Il faut pour cela cesser de dénigrer et de délégitimer les différentes actions de musulmans engagés sur le terrain politique et/ou associatif.

En changeant de perspectives, on s’aperçoit rapidement qu’il ne faut pas tomber dans ce piège pas si nouveau qu’est le débat sur le foulard. Aux musulmans d’être les réels acteurs de leur destin dans leur pays.