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Points de vue

Rapport HCI : la dernière attaque des fondamentalistes laïcards contre les libertés

Par Alain Gabon*

Rédigé par Alain Gabon | Mercredi 14 Août 2013 à 06:00

           


C’est à la fin du ramadan et comme pour leur gâcher ce moment de fête que les musulmans viennent d’apprendre deux nouvelles alarmantes : si l’on en croit le sondage IFOP-Le Figaro du 9 août, 78 % des Français seraient opposés au port du voile dans les universités, annonce qui fait suite à la proposition du Haut Conseil à l’intégration (Le Monde, du 6 août) d’interdire tout signe religieux à l'université.

Sans cibler exclusivement les musulmanes voilées (le rapport mentionne également certains « courants chrétiens évangéliques ou néobaptistes »), cette proposition de loi se traduirait bel et bien par le bannissement de toute tenue islamique à commencer par le voile, qui se verrait interdite dans les universités, du moins « dans les salles de cours, lieux et situation d’enseignement et de recherche ».

Théoriquement, les signes religieux resteraient permis sur les campus, dans les résidences et restaurants universitaires, etc., mais les musulmanes devraient changer de tenue en entrant dans une salle de classe ou un laboratoire, sous peine d’expulsion. Il s’agit donc bien d’une extension considérable de la loi de mars 2004, cette fois-ci appliquée à des adultes hautement éduqués. L’impact d’une telle mesure serait dramatique pour toute personne affichant un signe religieux, au premier rang desquelles, bien évidemment, les musulmanes voilées qui se verraient contraintes encore une fois, comme au lycée, de choisir entre leur liberté religieuse et leur éducation, avec toutes les conséquences qui s’ensuivraient pour leurs carrières.

Dans le même souffle, le Haut Conseil à l’intégration (HCI) propose aussi d’interdire sur les CROUS tout « lieu de culte », salles de prière ou autre, ainsi que toute « restauration de nature confessionnelle » (menu halal, etc.).

Une escalade dans l’offensive contre les musulmans

Notons d’abord que cette nouvelle proposition s’inscrit dans une offensive bien plus large : dramatique recrudescence d’agressions pour le coup véritablement physiques contre des femmes voilées ; incidents qui dégénèrent comme celui de Trappes le 18 juillet, dont les témoignages convergent et laissent à penser qu’il y a eu bavures de la part de policiers racistes ; entreprises législatives répétées pour interdire les signes, tenues et pratiques religieuses dans le secteur privé, associations y compris, comme le voulait le récent projet de loi déposé en avril dernier par le chef de file des députés UMP Christian Jacob. Proposition finalement rejetée en juin dernier par les députés mais qui revient en ce moment sous des formes plus ou moins similaires, cette fois-ci par l’entremise de la gauche. Chassez l’islamophobie et ses lois liberticides par la porte de droite, elles reviennent par la fenêtre de gauche.

Aussi divers qu’ils puissent paraître, tous ces phénomènes convergent dans les faits soit pour exclure, soit pour attaquer une même cible : les musulmanes voilées, qui encore plus que les « barbus » honnis, semblent désormais cristalliser sur elles toutes les peurs, rancœurs, ressentiments et haines vis-à-vis de l’islam.

Concernant le versant proprement législatif de cette nouvelle chasse aux sorcières, il est important de s’arrêter ici quelques secondes pour imaginer quelle serait la situation si le type de lois actuellement en gestation venaient à être adoptées : comme on propose désormais ouvertement rien de moins que d’imposer la « neutralité laïque » à tout lieu et espace accueillant un public (crèche, magasin, entreprise privée, café, cinéma, etc.), les libertés religieuses et leur expression même non prosélytes se verraient purement et simplement reléguées au domicile privé et aux lieux de culte.

Tout le reste de l’espace public et de la vie en société serait en effet soumis à l’obligation de « neutralité », qui, rappelons-le, ne s’applique pourtant dans la loi de 1905 qu’à l’État et à ses représentants officiels (membres du gouvernement, professeurs, juges, etc.).

Mais, depuis la loi de mars 2004, on cherche de plus en plus à étendre et à imposer cette obligation à l’ensemble du corps social. La proposition du HCI s’inscrit donc parfaitement dans cette entreprise visant à imposer à tous, partout, un type de totalitarisme laïcard qui est en fait une trahison, une violation complète tant des textes que de l’esprit des lois de 1905.

Et si tel n’était pas le cas, on n’aurait d’ailleurs pas besoin de faire de nouvelles lois, celles de 1905 suffiraient. Il faut continuer à exposer ces fondamentalistes laïcards qui sévissent en France dans les médias, les gouvernements et l’enseignement, pour ce qu’ils sont : les véritables ennemis de la laïcité, qu’ils n’invoquent hypocritement que pour mieux la trahir et la pervertir en en faisant une arme de guerre contre les religions en général (et l’islam en particulier) mais aussi, par là même, une arme contre les libertés et droits civiques, libertés religieuses, de conscience, d’expression.

Du fait que ces lois doivent être formulées de façon générale et s’appliquer à tous pour échapper à l’interdit constitutionnel, la majorité finit par être, elle aussi, la victime collatérale de projets visant des minorités souvent infimes.

Un scénario désormais convenu

Autre observation sur cet épisode HCI : les raisons invoquées pour justifier une telle interdiction dans les universités sont les mêmes que celles utilisées pour les lois de mars 2004 et d’octobre 2010.

On s’y attendait, tant la formule est désormais rodée dès qu’il s’agit d’exclure, ironiquement au nom même du « vivre-ensemble », ces musulmans qui déplaisent. On retrouve donc sans surprise les grosses tartes à la crème, pseudo-arguments et alibis maintes fois entendus dans le passé : « montée du communautarisme et du prosélytisme », « refus de la mixité » et critique de certains « contenus d’enseignement », « actions souterraines » (?) sous couvert d’associations culturelles, etc., le tout produisant un « malaise croissant » chez les enseignants, qu’il serait bon de « résoudre par une loi » qui « clarifierait la situation ».

En somme, les vulgaires clichés conformistes mille fois rebattus, le kit clés en main des vieilles formules magiques, épouvantails et grigris habituels, dépoussiérés pour l’occasion.

Bien évidemment, tout comme dans le rapport Gérin sur le voile intégral, farce grotesque pour qui prit la peine de lire ce monument d’amateurisme et de malhonnêteté de la part de nos parlementaires, rien n’est chiffré, rien n’est spécifié (quelles sont ces prétendues « actions souterraines » ?), aucun des incidents invoqué n’est localisé, daté, corroboré. Tout est fondé, dit-on, sur des « auditions » de professeurs et présidents d’université. Qui, quoi, quand, où ? Allez savoir !

Déjà dans le rapport Gérin, les prétendues « preuves » de cette « offensive islamiste » n’étaient an fait que des anecdotes invérifiables de seconde, voire de troisième main, des ouï-dire de ouï-dire, des « Nous avons entendu dans la bouche d’un directeur d’école qui nous a rapporté qu’il connaissait un collègue du nord de la France, dont un des professeurs lui avait dit que... ». Et c’est sur la base de ce type de farce sinistre que l’on justifia la mise hors la loi de toute une minorité religieuse.

Ces mascarades seraient risibles si elles ne présidaient pas à des lois d’exception qui, elles, ont des effets bien réels sur nos libertés civiques tant pour les minorités qu’elles visent que pour la majorité, victime collatérale. À n’en pas douter, les « preuves » recueillies par le HCI sont du même acabit que celles du rapport Gérin, à savoir le genre qui ne survivrait pas 30 secondes dans un tribunal.

Encore mieux : alors même que cette proposition se dit essentiellement fondée sur des témoignages de la Conférence des présidents d’université (CPU), le président de cette instance en personne, Jean-Loup Salzman, a immédiatement démenti, et avec force, les conclusions du rapport, déclarant non seulement qu’« il n’y a aucune aggravation de la situation dans les facs » mais aussi que les présidents d’université « ne sont pas favorables à une loi » (Libération, du 6 août).

Positions qu’il avait d’ailleurs fait parvenir par écrit au HCI en mars dernier, qui l’a donc superbement ignoré. Quant à l’Observatoire de la laïcité, désormais responsable de ce dossier, selon les propos de son président Jean-Louis Bianco rapportés dans Le Figaro du 6 août, son rapport du 25 juin remis au président Hollande expliquait lui aussi que « la France n’a pas de problème avec sa laïcité », ajoutant « la loi ne règle pas tous les problèmes ».

On est donc en droit de se poser des questions sur les véritables intentions et la vraie nature de ce HCI. Surtout quand on sait qu’y figurent des personnages tels Abdennour Bidar, animateur de radio sur France Inter et « expert » autoproclamé de l’islam, ou Abdelwahab Meddeb, un autre « philosophe » dont le crédit auprès des musulmans est aussi nul que sa compétence pour faire des propositions de lois au gouvernement. On se souviendra pour l'occasion de ses propos odieux dans l’émission « Ce soir ou jamais » face à Tariq Ramadan, quand il déclara sèchement, après avoir approuvé une guerre d’Irak meurtrière et illégale au regard du droit international, que les victimes innocentes de cette boucherie, hommes, femmes et enfants sans défense, n’étaient après tout selon lui que des « victimes collatérales » dont il n’avait pas à se soucier. Et c’est ce genre d’individus, qui font cyniquement fructifier leur petite aura médiatique en exploitant leurs 15 minutes de célébrité pour obtenir des positions officielles au gouvernement, qui nous dicteraient nos lois ?

Signalons que ces imposteurs, exemples parfaits de ces « intellectuels faussaires » si bien épinglés par Pascal Boniface, sont également bien connus pour leurs propos souvent ignorants et insultants vis-à-vis des musulmans qui leur déplaisent. Et on se demande si ce n’est pas précisément pour cela que ces baudruches sans légitimité ne seraient pas choisies pour siéger dans ces organes gouvernementaux afin de justifier l’islamophobie d’État par des « rapports ».

Au regard de ses « travaux », dont une grande partie consiste à instrumentaliser et dévoyer la laïcité pour restreindre de plus en plus nos libertés civiques, en premier lieu les libertés religieuses, le Haut Conseil à l’Intégration devrait être rebaptisé Haut Conseil à la Désintégration, ou Haut Conseil à l'Anti-Intégration !

Car quel degré d’aveuglement, voire d'imbécillité, faut-il avoir atteint pour penser qu’exclure par milliers des femmes musulmanes voilées de l’université contribuera à leur intégration ? On voit l’hypocrisie et la bigoterie d’une instance qui déclare œuvrer pour l’intégration, mais n’a de cesse de proposer des lois iniques qui ne peuvent que mener à son contraire ­– l’exclusion –, même pour des citoyennes françaises déjà parfaitement intégrées, et ce sans l’aide du HCI.

Avec des amis comme le HCI, les minorités religieuses n’ont même plus besoin d’ennemis !


* Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférence. Il est l’auteur de nombreuses présentations et articles sur la France contemporaine et la culture française.






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