Points de vue

Lynchage d'un Rom à Pierrefitte : le gouvernement complice ?

Rédigé par Nicolas Bourgoin | Jeudi 19 Juin 2014 à 06:00



Expulsion forcée de Roms à Marseille, France, juillet 2013.© Raphaël Bianchi.
Soupçonné d’avoir commis un cambriolage, un jeune rom se trouve toujours dans le coma après avoir été roué de coups par une douzaine de personnes et retrouvé inconscient dans un chariot de supermarché, à Pierrefitte-sur-Seine en Seine-Saint-Denis où il vivait avec sa famille.

La communauté rom vivant en France, ostracisée, accusée de vols ou de déprédations, est régulièrement la cible de violences racistes et cette dernière agression est la dernière d’une longue liste. Leurs campements sont fréquemment la cible d’incendies parfois d’origine criminelle. En janvier dernier, des Roms ont été agressés à l’acide en plein Paris. Quoi d’étonnant ? Les stéréotypes anti-Roms sont relayés par les médias et même au plus haut niveau de l’État. On se souvient (peut-être) de cette note de service interne d’un commissariat parisien demandant aux policiers « d’évincer » les familles roms vivant dans la rue. Manuel Valls lui-même, quand il était ministre de l’Intérieur n’a pas cessé de les ostraciser, considérant qu’ils n’ont pas « vocation à s’intégrer en France » mais plutôt à rentrer en Roumanie ou en Bulgarie et Bernard Cazeneuve se situe dans la (droite) ligne de son prédécesseur.

L’acharnement de Valls et Cazeneuve contre les Roms relève de la logique du bouc-émissaire particulièrement rentable en période de crise et ne peut que conforter les stéréotypes racistes d’une partie de la population française. Le gouvernement responsable du lynchage de Pierrefitte ? La question mérite en tout cas d’être posée et l’on peut s’étonner du silence des médias et des associations antiracistes sur ce point, si promptes à mettre en cause « la contamination des esprits par les patrons de l’antisémitisme francophone » quand les victimes sont juives et les agresseurs musulmans. Encore le deux poids/deux mesures ?

Des actes anti-roms en progression

Un nouvel épisode dans la chronique de la saloperie ordinaire : pas moins d’une douzaine de personnes sont venus chercher un jeune rom dans le campement où il se trouvait pour le séquestrer dans une cave où il a été roué de coups.
Grièvement blessé, l’adolescent a été transporté à l’hôpital Lariboisière à Paris, où il se trouve toujours dans un état critique. « Son pronostic vital est engagé. Il est dans le coma », a précisé une source judiciaire.
 D’après le maire socialiste de Pierrefitte-sur-Seine, Michel Fourcade, le jeune homme avait été interpellé à plusieurs reprises pour des faits de vol depuis le début du mois. Plusieurs voitures ont eu leurs vitres cassées ces dernières semaines dans la cité des poètes, suscitant la rancoeur des habitants envers les tziganes du campement qu’ils accusent d’être les auteurs de ces vols.

Ce fait divers sordide a suscité bien peu de réactions, y compris de la part des associations de l’antiracisme institutionnel pourtant en théorie les premières concernées, alors que les violences contre les Roms sont en constante augmentation. Pour SOS Racisme, « ce grave passage à l’acte renvoie à la dégradation alarmante de l’image des citoyens roms ou supposés roms dans notre société et au résultat manifeste des tensions nauséabondes dans lesquelles sont plongés nos concitoyens ». « On attend un changement radical de discours et une dénonciation extrêmement claire des violences qui les concernent », a renchéri le président du mouvement antiraciste européen EGAM, Benjamin Abtan. Quid du gouvernement et de sa responsabilité dans ce climat propice aux agressions anti-Roms ? Les medias et les associations n’en ont soufflé mot alors qu’ils auraient pourtant, cette fois, du grain à moudre. Jugeons plutôt.


Les Roms oubliés de la lutte anti-raciste

Les Roms vivant dans des campements « ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution »… Cette formule que l’on croirait tout droit sortie de la bouche de Brice Hortefeux ou de Jean-François Copé, et qui avait provoqué la colère de nombreuses associations dont la Voix des Roms et le MRAP, est de… Manuel Valls. Le même qui avait affirmé poursuivre sans relâche la politique de démantèlement des camps de Roms, à l’image de son prédécesseur, et qui avait affiché son accord avec le Premier ministre roumain Victor Ponta estimant que les Roms « ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner ».

L’actuel ministre de l’Intérieur n’est pas en reste : il avait soutenu activement son prédécesseur dans sa politique de démantèlement des camps et d’expulsion des Roms qu’il poursuit d’ailleurs sans état d’âme. Cette politique droitière et discriminatoire a valu à la France d’être une nouvelle fois placée sous surveillance par la Commission européenne et contribue à expliquer pourquoi les Roms sont les premières victimes de la libération de la parole raciste constatée depuis deux ans dans les enquêtes, juste devant les musulmans arabes également ostracisés par le gouvernement actuel.

Ce constat est éloquent et pourtant pas un seul média n’a eu l’idée de relier le lynchage de Pierrefitte à la politique anti-rom du gouvernement. On sait que de telles campagnes discriminatoires ont un effet sensible sur l’opinion, notamment par les études qui ont par exemple montré les regains de l’islamophobie au moment des débats publics sur la question du voile. Ce silence est encore plus étonnant si on le compare au tapage médiatique contre la dissidence française et belge après la tuerie de Bruxelles, quand Laurent Louis, Alain Soral et Dieudonné furent accusés d’avoir créé un climat propice aux actes antisémites. Tapage d’ailleurs vite assourdi par les révélations sur le passé djihadiste de l’agresseur présumé…

Que faut-il en penser ? Que la récupération politique d’un fait divers sordide est à géométrie variable et dépend du profil ethnique ou religieux des victimes ? Une chose est sûre : le gouvernement fabrique des boucs émissaires à tour de bras, attisant ainsi les tensions intercommunautaires, afin de faire diversion et protéger les vrais responsables de la crise actuelle (qui sont ni Roms, ni musulmans…). Et cette politique est bien trop rentable pour être abandonnée pour ce que les médias considèrent comme un simple fait divers.

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Nicolas Bourgoin est démographe, maître de conférences à l’université de Franche-Comté, membre du Laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Franche-Comté (LASA-UFC). Dernier ouvrage paru : La Révolution sécuritaire, Éditions Champ social, 2013.