Points de vue

Les musulmans de la région PACA se mobilisent contre la radicalisation

Rédigé par Collectif de musulmans de PACA | Mercredi 28 Janvier 2015 à 06:15



Onze propositions visant à lutter contre la radicalisation ont été émises solennellement à l'issue de la rencontre du 24 janvier, qui a rassemblé pour la première fois plus de 150 imams et aumôniers de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
À l’initiative du Conseil régional du culte musulman de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur (CRCM-PACA), avec le soutien de la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme, plus de 150 imams et aumôniers se sont retrouvés, ce samedi 24 janvier 2015, pour réfléchir ensemble sur ce qu’il convient de faire face au phénomène de la radicalisation qui touche une frange de la jeunesse française.

La participation de centaines de jeunes Français à des combats au sein de groupes terroristes en Syrie et en Irak, dont Daesh, n’a cessé depuis plus de deux ans. Les actes de terrorisme qui ont frappé ces derniers jours notre pays et ont fait 17 morts parmi nos concitoyens renforcent le besoin d’une réflexion commune sur ce phénomène et viennent nous rappeler l’ampleur du danger qu’il peut représenter pour ces jeunes radicalisés, pour la paix et la sécurité de notre pays et pour notre cohésion nationale.

Une rencontre en deux temps

Après une présentation du cadre de cette initiative par Khalid Belkhadir, président du CRCM-PACA, la réflexion s’est déroulée en deux parties.

La première partie a été consacrée aux échanges avec des universitaires et des acteurs institutionnels engagés dans la lutte contre la radicalisation, dont le préfet des Bouches-du-Rhône Michel Cadot, qui a rappelé l’importance d’une mobilisation de tous, la nécessité de rejeter tout amalgame entre islam et terrorisme et l’importance du principe de laïcité comme un des fondements de notre pacte républicain.

Le préfet Pierre N’Gahane, secrétaire du Comité interministériel de prévention de la délinquance, a présenté la politique de prévention mise en place via la coordination des initiatives des préfectures et l’organisation de cellules dédiées au soutien des familles et à la prévention de la radicalisation. Frank Fregosi, directeur de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po Aix-en-Provence, a proposé une analyse assez détaillée et documentée de l’aspect sociologique de la radicalisation.

Mohammed Moussaoui, président d’honneur du Conseil français du culte musulman (CFCM) et président de l’Union des mosquées de France (UMF) a, quant à lui, rappelé, via de nombreuses références théologiques, que le discours radical est en totale contradiction avec les principes et les valeurs qui fondent la religion musulmane. Le politologue Asiem El Difraoui, s’est intéressé à l’histoire du « jihadisme global », depuis sa naissance dans les années 1980, en prêtant une attention particulière à la version développée par Daesh en Syrie et en Irak. Le président de l’Observatoire contre l’islamophobie Abdallah Zekri a, pour sa part, attiré l’attention sur la recrudescence inquiétante des actes antimusulmans à la suite des événements tragiques de ces derniers jours.

La seconde partie, sous forme de table ronde, a été consacrée à une réflexion sur la manière dont les imams pouvaient faire face à la radicalisation. Ainsi étaient présents autour de la table Mohamed Aiwaz, professeur à l’institut Al Ghazali de la Grande Mosquée de Paris, Mohsen Ngazou, imam de la mosquée Ibn Khaldoun, Abderrahmane Ghoul, vice-président du CRCM-PACA et imam de la mosquée Tahara, Haroun Derbal, imam de la mosquée Islah et Ahmed Ndiguen, imam de la mosquée Bilal.

Onze propositions pour lutter contre la radicalisation

À l’issue de cette journée de réflexion, d’échanges et de propositions, les participants parmi les imams, les aumôniers et les responsables musulmans ont réaffirmé leur engagement à poursuivre leur mobilisation dans le cadre de la mission qui est la leur et à apporter toute leur contribution en matière de lutte contre la radicalisation et à l’effort national en matière d’éducation aux valeurs qui fondent notre vivre ensemble.

Plusieurs propositions ont été faites dans ce sens :

1. Trouver le moyen de pérenniser ce type de rencontre, qui pourrait passer par la création de conseils des imams et d’aumôniers au niveau de chaque région.

2. Le prêche du vendredi, un rendez-vous hebdomadaire très important dans la vie religieuse des musulmans, doit retrouver le rôle qui est le sien comme moyen d’enseignement et d’élévation spirituelle. Son contenu, sur le fond comme sur la forme, doit faire l’objet d’un travail collégial digne des défis auxquels sont confrontés les musulmans de France.

3. L’enseignement religieux dispensé dans les mosquées, les écoles et les instituts doit fixer parmi ses objectifs de donner aux jeunes des clés de compréhension et des « filtres de connaissances » qu’ils leur permettraient de faire face aux idées et aux propagandes extrémistes. Cet enseignement doit insister davantage sur les valeurs qui rassemblent et créent le lien entre tous les citoyens.

4. Constatant que la radicalisation s’effectue essentiellement à travers l’Internet et les réseaux sociaux et que les radicaux utilisent des techniques de communication faisant appel à des ressorts spécifiques à la jeunesse, il convient de mettre en place des moyens de lutte contre la radicalisation adaptés à cette réalité. La recherche d’une forme de coopération entre imams et professionnels de la communication pourrait s’avérer nécessaire.

5. Les parents doivent s’investir davantage dans l’éducation de leurs enfants qui sont confrontés à des réalités complexes et des risques accrus. Ils doivent également apporter toute leur aide et tout leur soutien aux équipes pédagogiques de l’Éducation nationale qui sont leurs premiers alliés dans leur mission d’éducation et de transmission du savoir et des valeurs.

6. Les participants réaffirment leur attachement au principe de la laïcité, qui par la neutralité de l’État et la séparation du politique et de religieux, garantit à tous la liberté en matière de religion et l’égalité de tous indépendamment de leur conviction religieuse ou philosophique. Les imams doivent tout mettre en œuvre afin de permettre au citoyen musulman de concilier son engagement religieux et son engagement citoyen et de vivre ces deux engagements dans la paix et la sérénité.

7. Les musulmans de France doivent participer activement au dialogue interreligieux qui est, aujourd’hui plus que jamais, un devoir et une nécessité pour la paix et la cohésion nationale. Ce dialogue doit se traduire au sein de nos lieux de culte avec nos fidèles, comme au sein de nos familles avec nos enfants, par un discours présentant avec estime et respect le choix de nos concitoyens en matière de conviction ou de religion.

8. Constatant que les terroristes ayant agi ces dernières années à Toulouse, à Montauban, à Bruxelles et à Paris se sont radicalisés en prison, il convient d’y renforcer la prévention et l’accompagnement des plus fragiles. Cela doit passer par une présence plus importante des aumôniers et une meilleure formation de ces derniers.

9. Tout en dénonçant les actes d’hostilité qui visent les musulmans de France et les symboles de leur foi, les imams doivent appeler sans cesse les musulmans de France à avoir une attitude digne et à ne pas céder à la provocation, d’où qu’elle vienne.

10. La condamnation, par les imams, des exactions et cruautés commises en France par des individus se réclamant de l’islam doit être systématique ; et dans la mesure du possible dans le cas où ces faits sont commis ailleurs.

11. Partant de la parole de sagesse « L’amour de la patrie est le fruit d’une foi sincère », invoquée dans la tradition musulmane, pour rappeler aux fidèles leur obligation à l’égard de leur patrie et de leurs concitoyens, les imams sont appelés à élever une prière pour la République française et pour le peuple français à l’occasion du prêche du vendredi et des rencontres et cérémonies religieuses.

Appel à l’unité et à l’engagement citoyen

Enfin, les participants saisissent cette occasion pour appeler les institutions musulmanes à l’unité et à une meilleure coopération entre elles dans l’intérêt de tous. La rencontre du 24 janvier 2015, une première à Marseille, à laquelle ont pris part toutes les composantes musulmanes de Marseille, a démontré une fois de plus qu’avec un peu de volonté agir dans l’unité et la fraternité est toujours possible.

Ils appellent les musulmans de France à participer également à toute action citoyenne et à tout effort national destinés à préserver l’unité et la cohésion nationale et à renforcer les liens de fraternité républicaine.

Prière de clôture

Louange à Dieu, le Clément, le Très-Miséricordieux. Paix, grâce et bénédictions soient sur Son Messager Muhammad et sur sa famille ainsi que ses compagnons.
Que la France vive heureuse et prospère, qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde.
Seigneur ! Le Clément, le Tout-Miséricordieux,
Regarde avec bienveillance notre pays, la France,
Bénis et protège la République française et le peuple français.


Fait à Marseille, le 24 janvier 2015.

Signataires par ordre alphabétique des noms :
Jamel BEDRA, vice-président du CRCM-PACA, président de la Fédération de la Grande Mosquée de Paris (FNGMP) de la Région PACA
Khalid BELKHADIR, président du CRCM-PACA, président de l’Union des mosquées de France (UMF) de la Région PACA
Haroun DERBEL, imam de la Grande Mosquée Islah de Marseille
Abderrahman GHOUL, vice-président du CRCM-PACA, président de l’association Grande Mosquée de Marseille
S’aide MCHANJAMA, président des Imams comoriens de France
Ahmed NDIGUEN, représentant de la FFAIACA, imam de la mosquée Bilal, à Marseille
Mohsen NGAZOU, délégué de l’Union des organisations islamiques (UOIF) de la Région PACA, directeur du collège Ibn Khaldoun, imam
Mohammed MOUSSAOUI, président d’honneur du CFCM, président de l’Union des mosquées de France (UMF)