Points de vue

Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « islamophobie »

Rédigé par Pierre Henry | Jeudi 24 Février 2022 à 11:25

Les mots qui fâchent, les mots du vocabulaire politique, souvent mal connus, employés de manière inappropriée, instrumentalisés sont nombreux. Ils se répètent et se buzzent en réseaux, confortant postures et partis pris. Ils font débat et nous divisent. Ce sont les mots piégés du débat républicain. Ces mots, nous allons les déminer, les expliquer ou simplement vous permettre de mieux les connaître. Le mot du jour ici décrypté : l’islamophobie.



© CC BY-NC-ND 2.0 / Gustave Deghilage
Autant vous avertir, nous n'allons pas vider de sa charge polémique le mot « islamophobie », mais nous allons au moins essayer de vous éclairer, d'abord en vous disant que le mot ne vient pas d'être inventé. Il fut utilisé pour la première fois par un ethnologue français en 1910 afin de critiquer la politique de la France dans les colonies qui se fondait, disait-il, sur des préjugés religieux.

Ce terme a rapidement resurgi dans le débat politique à partir des attentats du 11 septembre 2001. Mais alors, qu'est-ce qui fâche aujourd'hui dans l'emploi du mot islamophobie en France ? C'est que le terme d'islamophobie sous-entend, qualifie sous le même mot deux attitudes qui ne sont pas de même nature.

D'une part, une attitude d'hostilité systématique envers les musulmans. D'autre part, une attitude d'hostilité systématique envers l’islam. Avec l'islamophobie, deux réalités se confondent : l'injure faite aux fidèles en tant qu'individus, ce qui tombe sous le coup de la loi, et la critique d'une religion, ce qu'autorise la liberté d'expression. C'est de cette confusion et de l'ambiguïté que certains aiment entretenir avec une islamophobie fourre-tout que naît le malaise. L'employer tendrait à disqualifier toute critique de la religion qui, je le rappelle, est pourtant permise dans notre pays, y compris de manière caricaturale.

En France, il faut le savoir, le délit de blasphème n'existe pas. Ce qui n'est pas permis, ce sont les actes et propos contre les individus, les lieux de culte. Exagération, appropriation partisane d'un débat ? Peut-être, mais quand un terme ne fait pas consensus, sans doute est-il sage, dans une période aussi tendue que la nôtre, d'en changer pour se faire comprendre. Parce que qu'est ce qui nous importe ? De vivre ensemble dans le respect des lois de la République. De poursuivre les faiseurs de haine. De condamner les actes antireligieux, antimusulmans, en hausse en 2020.

Alain Rey, célèbre linguiste, estimé que le mot « islamophobie » était terriblement réducteur, approximatif, inexact, insuffisant. Il lui préférait le terme de « musulmanophobie ». D'autres spécialistes jugent que c'est le suffixe « phobie », dérivé du grec ancien phobos, signifiant peur, crainte, terreur, qui est mal adapté. Ce qui est certain, c'est que les faits antimusulmans ont augmenté de 53 % en 2020 dans notre pays et que c'est la lutte contre tous les faits de haine qui doit nous rassembler prioritairement.

Après être revenu sur l'origine du mot « islamophobie » et sa balade dans l'actualité, un intervenant nous aide à y voir encore plus clair. Ici Tareq Oubrou

*****
Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.

Voir aussi les vidéos de La Casa del Hikma :

Contre le racisme, à chaque communauté son combat ?
Rejeter toutes les exclusions, un engagement impossible ?
Racisme: « Se concentrer que sur sa propre lutte est un cul-de-sac intellectuel et stratégique »

Lire aussi :
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « antisémtisme »
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « racisme »
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « séparatisme »
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « laïcité »
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « discrimination »
Les mots piégés du débat républicain : à l’assaut du mot « universalisme »