Religions

La charte de l’imam à peine dévoilée, des fédérations du CFCM offusquées

Rédigé par | Jeudi 30 Mars 2017 à 17:50

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a adopté une charte de l'imam. Du moins selon un communiqué en date du mercredi 29 mars. Cinq fédérations musulmanes de cette instance ont vivement déploré la communication de documents de travail sans souci de leur avis. Des représentants de ces fédérations, de même qu'Anouar Kbibech, s'expliquent sur Saphirnews.



Imbroglio. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a dévoilé, mercredi 29 mars, sa charte de l’imam proclamant, pour tout signataire, leur adhésion aux valeurs de la République et au principe de laïcité, leur attachement à un islam du juste milieu, ainsi que leur engagement avec la mosquée dans laquelle le ministre du culte exerce sa fonction.

Si on s'en tient au communiqué en date du 29 mars, le CFCM invite les mosquées de France à faire de la signature de la charte « un élément essentiel à prendre en compte lors du recrutement d’un imam ». L’instance représentative du culte musulman, par la voix d'Anouar Kbibech, précise que la charte, annoncée depuis son arrivée à la présidence en 2015, a fait l'objet d'un « large consensus » en son sein, élargi à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF).

Des fédérations musulmanes se rebiffent

Mais à peine la communication faite, des fédérations, y compris membres du CFCM, se sont offusquées, jeudi 30 mars, des méthodes employées pour rendre public des documents de travail, « pourtant encore en cours d’élaboration au sein du bureau du CFCM ». Parmi les signataires figurent, outre l'UOIF, la Comité de Coordination des Musulmans Turcs de France (CCMTF) - qui prendra la présidence au 1er juillet 2017 -, la Confédération islamique Milli-Görüs (CIMG), la Fédération nationale de la Grande Mosquée de Paris (FNGMP) et Foi et Pratique, qui déplorent tous d'être citées comme signataires de ladite charte « sans nous consulter ni se soucier de notre avis ».

« Nous appelons à ce que la gestion des affaires du culte musulman en France se fasse dans le respect des règles statutaires du CFCM et reste toujours animée par l’esprit de collégialité et de concertation, loin de toute influence partisane et politique », concluent-elles, ajoutant au passage avoir « toujours cherché à éviter toute précipitation sur ce sujet (le rôle de l’imam en France, ndlr) et toute injonction à vocation politique ».

Contacté par la rédaction, Ahmet Ogras, président du CCMTF, déplore la décision de communiquer la charte « sur la forme » plus que sur le fond. « On a le droit d’avoir des avis divergents sur le sujet. Mais tant qu’on n’a pas atteint l’unanimité, on n’avait pas à la publier », a fait part Ahmet Ogras, qui figurait parmi les absents de la réunion du bureau organisée mercredi 29 mars. Dans le même temps, il estime que « ce ne doit pas être un sujet qui nous divise (au CFCM). La charte n’est pas, pour moi, une priorité pour les musulmans de France » et, à cet effet, « elle doit pouvoir encore être modifiée jusqu’à atteindre l’unanimité » des fédérations.

Une accélération des prises de décision vivement déplorée

De son côté, Anouar Kbibech a dit son incompréhension de la démarche et n'en démord pas : il y a bien eu « une élaboration collégiale » de la charte dont la version rendue publique est « stable depuis le 9 mars » après qu’elle ait été enrichie de remarques remontées par des fédérations, assure-t-il auprès de Saphirnews. Il précise qu'il avait notamment obtenu « un accord de principe » de la Grande Mosquée de Paris, et que la décision de communiquer la charte a été prise car « le quorum a été atteint » et que, en conséquence, les règles statutaires ont été pour lui respectées. Il déclare aussi laisser ouverte la possibilité de modifier la charte, selon les remontées de terrain qui seront faites au CFCM.

Pour la Grande Mosquée de Paris, qui vient de faire paraître une « Proclamation de l’islam en France », si le quorum a bien été atteint, l’absence de représentants d’importantes fédérations auraient dû pousser la présidence du CFCM à ajourner la décision. Anouar Kbibech « a travaillé en bonne intelligence sur ce dossier » mais « il y a eu précipitation » dans la prise de décision s'agissant de la communication, ce que regrette la GMP. D'autre part, « c’est une belle idée qu’est la charte », indique Slimane Nadour, chargé de la communication de la GMP, mais « il faut faire attention à ne pas infantiliser les imams de France ».

S'engager à élever des prières pour la France

Avant que n'éclate le conflit, le communiqué du CFCM indiquait que la charte contribuerait « à l’amélioration et au renforcement du "statut de l’imam" en France ». Dans sa version actuelle, le document, qui rappelle des engagements évidents pour tout ministre du culte musulman - que sa mission découle « de la foi en Dieu l’Unique et la fidélité envers Lui, ainsi que le choix de transmettre et de faire partager aux fidèles l’héritage de notre Prophète Muhammad » -, n’a, en l'état, aucune valeur juridique ni caractère obligatoire ; sa portée est symbolique pour ses signataires.

Au-delà du cafouillage né autour de la communication de la charte, le plus difficile sera encore de convaincre des imams, d'une part, de la nécessité ou même de l'utilité de signer la charte ; et des gestionnaires de mosquées, d'autre part, de l'importance d'un tel document déclaratif dans le recrutement d'un imam. Entre 1 800 et 2 000 imams exercent en France. « Cette charte se fait sur la base du volontariat mais on espère qu’elle devienne avec le temps un référentiel », répond Anouar Kbibech. « C’est ce que démontrera sa mise en œuvre dans des CRCM pilotes » comme l’Alsace ou la Bretagne, indique-t-il.

Il engagerait notamment l’imam signataire auprès de ses fidèles à élever des prières pour la France à l’occasion du prêche du vendredi et de cérémonies religieuses, « partant du principe que "l’amour de la patrie est le fruit d’une foi sincère", qui rappelle aux fidèles leur obligation à l’égard de leur patrie et de leurs concitoyens ». Ils sont aussi appelés à « créer des espaces d’échange entre imams » sur le plan local afin de « renforcer leur unité et de mutualiser leurs moyens à travers des actions collégiales ».



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur