Société

La Fédération de l’enseignement privé musulman fait sa première rentrée

Rédigé par | Vendredi 19 Septembre 2014 à 06:00

À l’instar du Conseil scolaire de la Fédération protestante de France qui regroupe cinq établissements protestants sous contrat ou encore du Secrétariat général de l’enseignement catholique qui compte plus de 8 000 établissements, la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman voit le jour, marquant l’ancrage de la future élite musulmane en France.



École privée musulmane : la panacée ? On pourrait le croire, à observer les nombreux appels aux dons qui fleurissent sur le Net pour financer tel ou tel projet d’école privée à référence islamique. Il faut dire que plusieurs facteurs ont contribué à cet engouement.

La crise de confiance à l’égard du système scolaire, qui jette chaque année 140 000 jeunes sans diplôme à la sortie de l’école, s’est accentuée par la mise à distance des parents envers l’institution scolaire, notamment observable à travers la circulaire Chatel interdisant, depuis 2012, aux mères voilées d’accompagner les sorties scolaires, sous prétexte de l’argument de « neutralité religieuse ».

Amar Lasfar, président du lycée Averroès
Plus loin dans l’Histoire : en privant l’accès aux établissements publics des vingtaines de filles refusant d’enlever leur foulard, la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux à l’école a donné un sacré coup de fouet à ceux qui avaient en tête d’ouvrir un établissement scolaire privé.

Hormis la Medersa Taalim oul-Islam, née en 1947 à l’île de la Réunion et sous contrat avec l’État depuis 1990, mais aussi le précurseur en métropole qu’est le collège-lycée La Réussite (Aubervilliers) créé en 2001, tous les autres établissements secondaires ont ouvert leurs portes à la suite des débats houleux sur l’« interdiction du port de signes religieux » : le lycée Averroès (Lille), en 2003 ; le collège-lycée al-Kindi (Décines), en 2007 ; le collège Éducation et savoir (Vitry-sur-Seine), en 2008 ; le collège-lycée Ibn Khaldoun (Marseille), en 2009 ; le collège Institut de formation de Saint-Quentin-en-Yvelines, en 2009 ; le collège EducActive (Villeneuve-Saint-Georges), en 2009, lequel, s'il s'inspire de la pensée de l'intellectuel musulman turc Fethullah Gülen, ne dispense pas de cours de religion ni n'accepte le port du foulard, tous les élèves portant l'uniforme.

Sur ces neuf établissements, cinq sont affiliés à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). Forts de leur expérience, quatre d’entre eux (Averroès, Al-Kindi, Éducation et savoir, Ibn Khaldoun) se sont regroupés ainsi que l’école primaire La Plume (Grenoble), qui existe depuis 13 ans, pour créer la toute nouvelle Fédération nationale de l’enseignement privé musulman.

L’école de l’excellence, avec un supplément d’âme musulman

Le 22 mars 2014 était officiellement lancée, sous l’égide de l’UOIF, la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM), devant un parterre de directeurs d’écoles, de responsables associatifs en charge de projets d’établissement privés, du staff dirigeant de l’UOIF, de responsables du bureau des cultes du ministère de l’Intérieur et de quelques journalistes.

« La première instance représentative de l’enseignement musulman en France » est née, déclare son président Makhlouf Mamèche, également directeur adjoint du lycée Averroès. La FNEM entend « œuvrer pour la promotion, la structuration et le développement des écoles et des établissements scolaires musulmans en France, mais aussi concourir pleinement au service public d’éducation français aux côtés de l’enseignement privé catholique, de l’enseignement privé juif, de l’enseignement privé laïque ».

« Ce qui m’a frappé dans la déclaration de la FNEM, ce sont d’abord les valeurs de la République, de la laïcité et le supplément d’âme musulman, note Bernard Godard, consultant sur les questions liées au culte musulman auprès du ministère de l’Intérieur. « C’est exactement la définition qu’on doit attendre des instances confessionnelles dans l’esprit de la loi Debré de 1959. » Les établissements privés musulmans sont « plus proches du modèle catholique, issu du XIXe siècle, qui est celle de l’école de l’excellence : former des élites », analyse Bernard Godard. « Le modèle juif est plus confessionnel : l’enseignement religieux est plus important dans les yeshivot. »

L’engagement des parents et des enseignants

Pour Makhlouf Mamèche, la mission de la FNEM se résume en trois points. « Premier point : être l’interlocuteur des établissements privés musulmans auprès des pouvoirs publics pour transmettre les demandes de signature de contrat d’association avec l’État. » Il est vrai que, pour l’heure, seuls trois établissements sont passés sous contrat avec l’État. « Deuxième point : mutualiser les expériences entre nous, échanger sur plusieurs plans (la formation, les programmes, le financement des établissements….). » Enfin, « orienter, accompagner les porteurs de projet pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs qu’on avait pu commettre autrefois… ».

Michel Soussan (à g.), ancien inspecteur de l’Éducation nationale, et Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman.
En juin dernier, la FNEM a ainsi organisé un premier séminaire de formation d’une journée auprès de 28 associations, sachant qu’une « quarantaine de projets » sont en cours. Une demande croissante de la part de familles musulmanes qui s’explique par « la réussite scolaire des établissements existants aujourd’hui comme Averroès et al-Kindi », avance M. Mamèche.

« La réussite d’Averroès est une alchimie très particulière : c’est la rencontre entre l’engagement des parents d’élèves et l’engagement des enseignants, qui depuis le début sont les fondateurs de l’établissement », explique Michel Soussan, ancien inspecteur de l’Éducation nationale dans l’académie du Nord et aujourd’hui plume et éminence grise de la FNEM. « C’est aussi le fait du climat particulier que porte l’ambiance musulmane, estime-t-il. Les enfants sont très respectueux, ils se comportent à l’école comme ils se comportent vis-à-vis de leur religion. »

L’éducation, défi numéro un

Pour l’année 2014, les établissements privés musulmans continuent de s’afficher en haut du tableau : 96,7 % de réussite au baccalauréat au lycée Averroès, 100 % de réussite au brevet des collèges pour Éducation et savoir ; 94 % de réussite au brevet pour le collège Ibn Khaldoun …

Reste que leur nombre se situe bien en-deça de la demande. Compte tenu de l’histoire du pays, rappelons que plus de 8 300 établissements catholiques accueillent plus de 2 millions d’élèves, 280 établissements juifs scolarisent 30 000 élèves, alors que l’on compte une vingtaine d’établissements musulmans pour 2 000 élèves. Une pénurie… qui fait que les effectifs d’écoles privées catholiques peuvent parfois atteindre jusqu’à 90 % d’élèves musulmans selon les secteurs géographiques, estime le Secrétariat général de l’enseignement catholique.

Outre l’aspect quantitatif, le défi est aussi d’ordre pédagogique : quelques écoles musulmanes recherchent de plus en plus des enseignants formés aux pédagogies alternatives de type Montessori, qui entend favoriser la confiance en soi et l’initiative des enfants.

Aussi, bien que les établissements privés musulmans soient encore peu nombreux, la nouvelle FNEM compte bien jouer un rôle de premier plan tant auprès des pouvoirs publics que des porteurs de projets d’école. Makhlouf Mamèche en est convaincu : « Avant, les musulmans construisaient des mosquées. Aujourd’hui, l’éducation est le défi numéro un de notre communauté mais aussi de toute la société française. Qui dit éducation dit école, qui constitue le moyen d’éducation par excellence. »



Journaliste à Saphirnews.com ; rédactrice en chef de Salamnews En savoir plus sur cet auteur