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L’épreuve de l’amour : pourquoi la parole de Rûmî est plus que jamais d’actualité

Rédigé par | Vendredi 13 Novembre 2020 à 11:30

Traduit en français à partir des enseignements de H. Nûr Artiran sur le Mathnawî donnés en turc, « Rûmî, l’épreuve de l’amour » met à la portée des lecteurs francophones un message d’une valeur inestimable en ces temps d’épreuves que nous traversons. Transmise par H. Nûr Artiran, la Parole de Rûmî, universelle et actuelle, nous touche au plus profond et nous apporte des réponses appropriées à nos questionnements.



La vie, la personnalité, la pensée, les œuvres de Jalal ud-Din Rûmî (m. 1273) sont tout d’abord parvenus à un large public francophone grâce au travail d’Eva de Vitray-Meyerovitch (m. 1999) qui s’est passionnée pour cet auteur éloigné de nous dans le temps mais infiniment proche en esprit. Lorsqu’en traduisant, en 1955, l’ouvrage de Mohammed Iqbal (m. 1938) The Reconstruction of religious thought in Islam, elle découvre, fascinée, la dimension spirituelle de Rûmî, que Mohammed Iqbal considérait comme son maître, elle n’aura de cesse de le faire découvrir et aimer au public francophone.

Au service de Mevlânâ/Rûmî qu’elle considère aussi comme son maître, sa vie entière sera consacrée à traduire, expliquer, enseigner et faire découvrir à un large public en France et ailleurs la profondeur et la beauté de cette figure majeure de l’islam et du soufisme. Ce fut la première vague qui a porté Mevlânâ à la connaissance des francophones et dans le cœur de très nombreux adeptes occidentaux.

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Ce travail intellectuel d’une grande chercheuse engagée dans l’islam soufi a rendu le nom et la pensée de Mevlânâ familier à un très large public. A cette première faveur divine devait s’ajouter une seconde vague, une lame de fond qui amène au grand jour la profondeur du message du maître de Konya. Au public francophone occidental est octroyée la faveur divine d’accéder au sens profond de l’enseignement de Mevlânâ, à la substantifique moelle de ce qu’un enseignement initiatique, de maître à disciple, a transmis depuis huit siècles au sein de la voie mawlawiyya.

Un condensé de grands secrets initiatiques enseignés par Rûmî

C’est en 2015 que, pour la première fois, H. Nûr Artiran, présidente de la Fondation Şefik Can pour l’éducation et la culture, vient s’adresser à un public francophone venu de tous les horizons pour transmettre le contenu ésotérique de l’œuvre majeure de Jalâl ud-Din Rûmî, le Mathnawî. Enseignements en groupes restreints et conférences publiques se sont succédés sans relâche en France et ailleurs, jusqu’au coup d’arrêt du premier confinement en mars dernier. En attendant la reprise des activités de H. Nûr Artiran, un livre vient de paraître, intitulé « Rûmî, l’épreuve de l’amour ».

Cet ouvrage majeur est un condensé des grands secrets initiatiques enseignés par Mevlânâ dans son Mathnawî. Avec la puissance d’une grande poésie inspirée et un style narratif unique en son genre, ce sont autant d’éclairages sur ce qu’est l’islam vrai, « l’autre islam » cher à Eva de Vitray-Meyerovitch, et autant de voies d’accès aux profondes vérités contenues dans le texte coranique et les hadiths du Prophète.

Il fallait une personne très spéciale pour révéler ce message de Mevlânâ au grand jour. Pour reprendre les termes d’Eric Geoffroy, préfacier de l’ouvrage, « H. Nur Artiran est de nos jours une des interprètes les plus autorisés de l’œuvre de Rumi, et en particulier de son Mathnawî ». Il précise en quoi consiste cette fonction très particulière de Mesnevi-han (lecteur, mais aussi commentateur qui livre les clés du Mathnawî), sert à manifester « la perception d’une présence spirituelle, d’un souffle singulier, ce qui demande en définitive une réceptivité très exigeante. Poèmes, contes et autres récits, dont le style très imagé émane en fait du Coran, ne sont que des moyens, des voies d’accès, et il ne faut pas perdre de vue le but : réaliser en soi l’Unicité, le Tawhîd ! »

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L’épreuve de l’amour passe aussi par le chagrin et la maladie

Quel sont ces grands secrets initiatiques révélés dans cet ouvrage, condensé des enseignements de H. Nûr Artiran ? Le livre tord déjà le cou à bon nombre de préjugés. Afin de les dépasser, elle insiste sur la nécessité d’expliquer Rûmî par lui-même, citant son maître Şefik Can : « N’apprenez pas à connaître Mevlânâ à droite et à gauche, mais de Mevlânâ lui-même : Mevlânâ est caché dans ses propres œuvres. »

Une lecture trop superficielle de la relation entre Shams de Tabriz et Mevlânâ a conduit à des interprétations erronées. L’amour qui lie ces deux grands mystiques n’a rien d’humain, ni même de spirituel car « l’amour est étranger aux deux mondes : il s’y trouve soixante-douze folies et déraisons ».

Et pour Mevlânâ, « l’amour est l’endroit où nous prenons nos leçons. C’est Dieu le Majestueux qui nous donne des leçons au plan spirituel ». (Grand Diwân, livre I, 162) Aussi, « sache que celui que tu considères comme un amoureux est le bien-aimé. Si ceux qui ont soif cherchent de l’eau dans ce monde, l’eau aussi cherche dans le monde ceux qui sont assoiffés. » (Mathnawî, livre I, 1740).

L’épreuve de l’amour passe par le chagrin, la maladie et la souffrance qui sont, nous dit-elle, citant Mevlânâ, « des messagers tout spécialement envoyés aux êtres humains ». Car « même les incroyants qui disent : "Si Dieu existe, où est-Il ?" se mettent à implorer inconsciemment Dieu en disant "Ô mon Dieu" lorsqu’ils sont en proie à une maladie ou à un malheur quelconque. » (Mathnawî, livre V, 758). Vérité à méditer en ces temps troublés que nous traversons.

Mais le temps de l’épreuve, s’il est vécu avec patience et gratitude, se révèle message de joie et d’espoir : « Accueille avec jovialité la souffrance et le chagrin afin d’obtenir le Trésor de Vérité. » (Mathnawî Livre III, 4008) C’est là l’effet de la sagesse du Créateur pour nous détacher des préoccupations matérielles et nous ramener vers notre origine divine : « Ô Mon serviteur ! Reviens vers Notre porte, enlève le coton de l’insouciance de ton oreille afin d’entendre la voix de Dieu disant : "Allons ! Venez, ne restez plus là-bas. Jusqu’à quand, ô homme misérable, vas-tu t’échiner à courir sur l’arbuste épineux du monde, et qui plus est, pieds nus ? Alors que Nous avons ouvert pour toi les portes des jardins de roses dans l’autre monde." » (Grand Diwân, livre I, 71)

L’amour est un procès et il faut apporter des preuves de son amour devant la Très Haute Cour

Pour Mevlânâ, le « Sultan des amoureux », la vision de cet amour divin est à double face : c’est l’extase du « jardin de roses » et l’ivresse du « vin des amoureux » qui fait tourner les derviches dans un ravissement cosmique, et c’est le prix à payer pour ce vin divin. L’amour est un procès et il faut apporter des preuves de son amour devant la Très Haute Cour : l’adoration, la gratitude, le contentement et la considération pour toutes les créatures.

Il y a dans ce livre des pages et des pages admirables sur la gratitude envers Dieu, mais aussi envers les créatures. H. Nur Artiran ne cesse de le rappeler avec la parole de Rûmî : « Puisque tu n’as pas remercié celui qui t’a offert une faveur, tu as commis une injustice à son égard ! Pourquoi ne l’as-tu pas remercié ? Mes bienfaits ne sont-ils pas venus à toi de la main de Mon serviteur ? » (Mathnawî, livre VI, 3254)

L’amour de Dieu est inséparable de l’amour pour toutes Ses créatures, quelles qu’elles soient, car « toute chose a une âme ». C’est là, nous dit-elle, la spécificité des derviches, ce qu’elle démontre, entre autres, par le « baiser du soufi » :

« Les derviches s’entretiennent avec toutes choses, qu’ils prennent dans leurs mains et qu’ils touchent, les embrassant. Ils posent ainsi un baiser sur le tapis au sol lorsqu’ils achèvent leur prière. Ce geste est demeuré célèbre au cours de l’histoire. Les soufis embrassaient l’endroit où ils se trouvaient assis, qu’il s’agisse d’une natte, d’un tapis de prière, etc. Ils témoignaient ainsi de ce que la terre, à partir de laquelle ils ont été créés jadis, et au sein de laquelle ils reposeront demain, est digne, plus que toute autre chose, d’être embrassée et remerciée. Il s’agit de remercier et de demander pardon à la terre qui nourrit, qui fait grandir, et qui en retour est foulée aux pieds. »

Nous ne pouvons ici que donner un petit aperçu de tous ces thèmes qui sont éminemment d’actualité dans le contexte de pandémie, de défense de l’environnement et du vivre ensemble en paix. Peu d’ouvrages offrent autant de moyens de réflexion profonde et de remise en perspective de notre façon de voir les choses. Transmis de maître en maître depuis Mevlânâ Jalâl ud-Din Rûmî qui se disait « esclave du Coran tant que je vivrai et poussière sur la Voie de Muhammad, le Prophète élu », c’est un enseignement qui ne laisse « aucune question sans réponse ». Puisse-t-il toucher les cœurs et répandre sa Lumière !

H. Nûr Artiran, Rûmî, l'épreuve de l'amour, Bayard, novembre 2020, 240 pages, 16,90 €.
Pour en savoir plus, La Porte de Nur



Clara Murner est doctorante en langue et littérature arabes à l'Université de Strasbourg, au sein… En savoir plus sur cet auteur