Points de vue

L'énorme ficelle du « racisme anti-Blanc »

Par Olivier Estèves*

Rédigé par Olivier Estèves | Vendredi 12 Octobre 2012 à 08:53



La sortie récente de M. Copé sur le « racisme anti-Blanc » ne constitue qu'un épisode du débat oiseux autour d'un concept bien mal nommé.

Ainsi, le 14 mars 2011, l'hebdomadaire L'Express couvrait la parution d'un court essai de 58 pages, écrit en grosses lettres, sans notes de bas de page, et consistant presque exclusivement en des entretiens.

Le titre de l'opuscule : « Le racisme anti-Blanc », le sous-titre : « Ne pas en parler : un déni de réalité ». L'auteur, Tarik Yildiz, est un contributeur du Bondy Blog de 25 ans, et qui étudie la sociologie. Son essai se présente comme « modeste » (p. 52), se limitant à « l'établissement d'un constat » (p. 13). L'expression « Français de souche », avec ou sans guillemets, y est utilisée 25 fois, soit presque une page sur deux, 13 fois dans la bouche de l'auteur et 12 chez les personnes interrogées.

Un rapport majorité-minorité inversé

La logique d'ensemble est ici comparable au buzz autour de l'essai Le Déni des cultures, d'Hugues Lagrange (Fayard, 2010).

On décerne un satisfecit à des chercheurs qui ont le « courage » d'énoncer des vérités scientifiques qui sont « dérangeantes » car préserver le tabou serait nier une évidence qui pourrait faire le jeu du Front national (FN). Mais, en réalité, on se trouve face à une aporie politique : nier certaines « réalités » nourrit le sentiment de ne pas être entendu et fait le jeu du FN, mais « en parler » légitime tout autant les problématiques posées par l'extrême droite, en apportant une caution universitaire (solide pour Hugues Lagrange) à des thèses récusées par les auteurs de ces livres, dont les « révélations » – c'était d'ailleurs couru d'avance – sont très vite exploitées par l'extrême droite.

Le problème majeur du livre de M. Yildiz est qu'il ne contextualise ni ne commente l'« Appel contre les ratonnades anti-Blancs » qui sert de socle à l'essai, sauf à présenter Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff et Bernard Kouchner comme des figures « souvent classées à gauche » (p. 9) et à dater ledit appel de 2008 (p. 55) alors qu'il fut en réalité lancé en 2005 !

L'appel lui-même est parcouru d'amalgames en tous genres. Il assimile deux débordements violents mais fort dissemblables lors de manifestations, le premier contre quatre jeunes juifs du mouvement Hachomer Hatzaïr lors d'un défilé contre la guerre en Irak (26 mars 2003), l'autre presque exactement deux ans plus tard, lors d'une mobilisation lycéenne contre la loi Fillon, où des jeunes Parisiens ont été mis par terre et agressés par des jeunes de banlieue dans le but de voler leurs téléphones portables.
Le premier événement a délibérément ciblé des juifs, le second relève d'un acte de délinquance, même si l'appartenance raciale « blanche » a peut-être été invoquée par les agresseurs. Aucun blessé grave n'a heureusement été à déplorer, ni en 2003 ni en 2005. Pourtant, l'appel parle pour 2003 de « tentative de lynchage, en plein Paris », et pour 2005 de « ce qu'on peut appeler des i[« ratonnades anti-Blancs ».

En procédant de la sorte, il exagère la gravité des faits en leur conférant une dimension tragique et unilatéralement raciale, puisqu'il évoque les lynchages aux Etats-Unis et ratonnades pendant la période coloniale en Afrique du Nord.

Surtout, le procédé rhétorique inverse le rapport majorité-minorité : il arrive désormais que les Blancs, en France, soient démographiquement minoritaires, comme les Noirs outre-Atlantique, ou bien qu'ils constituent une majorité démographique, certes, mais qui survit sous la férule d'une minorité ayant pris le pouvoir, comme les Arabes dans l'Algérie coloniale, victimes des « ratonnades » de la minorité européenne.

Quoi qu'il en soit, les Blancs ou Français sont devenus citoyens de seconde zone dans leur propre pays : c'est aussi en cela qu'il faut comprendre la sortie de M. Copé, qui fait écho à des propos semblables des Sarkozy ou Guéant.

Nouveau martyr idéologique

Chez les personnes qui lancent l'appel, l'inversion minorité-majorité permet en outre de poser en intellectuels critiques qui « disent la vérité au pouvoir au nom des opprimés ». Sans oublier que le risque réel d'être instrumentalisé par le Front national (Bruno Gollnisch exploita le filon dès le lendemain de l'appel dans Le Monde) permet de poser en martyr idéologique au nom de la Vérité. Ou, pour citer l'appel : « Ecrire ce genre de textes est difficile parce que les victimes sont kidnappées par l'extrême droite. »

En réalité, le « racisme anti-Blanc » n'est qu'une illustration relativement récente du galvaudage que ce terme de « racisme » a pu subir, et qu'ont pu déplorer Claude Lévi-Strauss, Robert Miles ou Gérard Noiriel plus récemment. « Racisme » surtout renvoie à des situations bien réelles d'oppression dans l'histoire, notamment coloniale. Lorsqu'un écolier prénommé Mohamed est appelé « Sale Arabe », l'effet, compte tenu de ce poids historique, ne peut pas être le même que lorsqu'un Sébastien est appelé « Sale Céfran », « Gaulois » ou « Gouar ».

Il ne s'agit pas du tout de nier ni de minimiser les brimades ou insultes dont peuvent être la cible des Français blancs et non-musulmans, et la souffrance qui peut en résulter chez des collégiens, mais tout simplement de rappeler l'influence considérable d'un héritage colonial et postcolonial douloureux, qu'ont notamment intériorisé les enfants d'immigrés du Maghreb, qu'ils aient étudié ou non l'histoire de leur pays d'origine.

Certains sociologues préfèrent appeler « contre-racisme » ce « racisme anti-Blanc » cher à messieurs Copé et Finkielkraut. Ce choix est de bon aloi, premièrement car il ne nie pas l'existence d'une profonde hostilité contre les « Blancs » dans certains quartiers, deuxièmement et surtout parce qu'il y voit une réaction résultant d'un racisme réel ou perçu émanant de la majorité.

Car le principal problème de l'expression « racisme anti-Blanc » est bien qu'il naturalise une hostilité considérée comme viscérale et endémique d'« immigrés » scandaleusement ingrats envers la France, oblitérant de ce fait tout le champ complexe des causes historiques, sociologiques, politiques et économiques : discriminations sur le marché du travail, politique du logement, politique d'éducation, stigmatisation policière pour ne citer qu'elles.

Loin donc de susciter un débat après avoir brisé un « tabou » pas si tabou que cela, l'expression dit la stigmatisation et empêche de penser un vrai problème.


Première parution de cet article dans Le Monde, 1er octobre 2012 et Délinquance, justice et autres questions de société, 2 octobre 2012.


* Olivier Estèves est maître de conférences à l’université de Lille-III. Il a notamment publié De l’invisibilité à l’islamophobie, les musulmans britanniques (1945-2010), Presses de Sciences-Po, 2011 ; a coordonné, avec Denis Lacorne et Emmanuelle Le Texier, Les Politiques de la diversité, expérience anglaise et américaine, Presses de Sciences-Po, 2010. À paraître en 2012 : Immigrés de douzième génération.